Michael Bloomberg, une bombe dans la course démocrate à la Maison-Blanche

En se lançant dans la course, l’ancien maire de New York risque de donner une tout autre dynamique à la primaire démocrate. Rafael Jacob nous explique pourquoi cette décision fait l’effet d’une bombe. 

Michael Bloomberg (Photo : La Presse canadienne)

L’ancien maire de New York Michael Bloomberg a donc décidé de se lancer dans la course à la Maison-Blanche en se portant candidat à la primaire démocrate dans l’Alabama.

Pourtant, plus de quatre mois après la tenue du premier débat démocrate et à moins de trois mois du début des caucus et primaires, nul ne s’attendait sérieusement au lancement d’une nouvelle candidature majeure. Et nul ne s’attendait à ce que cette candidature soit celle de Bloomberg.

Les implications de cette candidature sont multiples. Et elles sont majeures. Voici les trois principales.

1. De sérieux doutes autour des candidats démocrates actuels

La quantité ne prime pas toujours sur la qualité. Même en étant une vingtaine de prétendants sur la ligne de départ — un record, tous partis confondus, depuis l’ère moderne des primaires — force est de constater que la course à l’investiture démocrate n’a pas permis jusqu’à présent d’améliorer l’image du parti.

Tout d’abord, l’inexorable virage vers la gauche du parti entamé avec le départ de Bill Clinton de la Maison-Blanche au tournant du siècle a pris une vitesse grand V.

Comme l’a souligné le représentant démocrate de l’Ohio, Tim Ryan, lors du deuxième débat, les candidats ont mis de l’avant des idées dont aucune n’est susceptible d’aider le parti à remporter une élection générale. Parmi ces propositions : abolir et interdire l’assurance-maladie privée de dizaines de millions d’Américains, fournir une couverture médicale publique exhaustive aux immigrants clandestins, ou encore, décriminaliser l’immigration clandestine. Bernie Sanders a même ouvert la porte à l’octroi du droit de vote aux terroristes, comme le poseur de bombe du marathon de Boston.

Même la présidente démocrate de la Chambre des représentants, Nancy Pelosi, longtemps reconnue comme une icône de la gauche américaine, a interpellé les candidats présidentiels du parti cette semaine. « Même en tant que libérale de gauche de San Francisco, je leur demande : “à quoi est-ce que vous pensez ? Vous devez pouvoir gagner le Collège électoral [en novembre 2020]”! »

Les rares candidats considérés comme plus pragmatiques, comme la sénatrice du Minnesota Amy Klobuchar, ont à ce jour peiné à faire entendre leur voix. Et plus le temps passe, plus celui qui est largement considéré comme la figure de proue du courant centriste du Parti démocrate depuis son début, Joe Biden, semble en perte de vitesse.

On ne peut pas surestimer l’onde de choc créée par la série de sondages publiés en début de semaine par le New York Times dans les six États — l’Arizona, la Caroline du Nord, la Floride, le Michigan, la Pennsylvanie et le Wisconsin — qui risqueront d’être les plus déterminants en 2020. Même avec un taux d’approbation relativement faible, même en plein cœur d’une enquête d’impeachment, et même avec un nombre grandissant d’Américains jugeant que Donald Trump devrait être destitué, l’actuel président se trouve au coude-à-coude dans les six États avec les trois meneurs actuels de la course démocrate — Joe Biden, Bernie Sanders, et Elizabeth Warren.

Pour bon nombre de démocrates, incluant visiblement Bloomberg, le coup de sonde a eu l’effet d’un réveil d’alarme.

2. Joe Biden peut s’inquiéter

Il faut remonter aux primaires républicaines avant les présidentielles de 2012 pour trouver la trace d’un candidat s’étant déclaré sur le tard, comme pourrait le faire Bloomberg. À l’époque, le gouverneur du Texas Rick Perry avait lancé une candidature impromptue à la fin de l’été 2011. Le meneur et favori de l’establishment du parti, Mitt Romney, manquait à ce moment-là d’aplomb, gaffait, et entretenait de sérieuses réserves quant à sa viabilité comme candidat.

La dynamique n’est pas sans rappeler celle de cette année avec Biden qui, bien qu’il s’accroche actuellement tant bien que mal à son avance à l’échelle nationale, tire clairement de l’arrière dans les deux premiers États qui voteront et donneront le ton au reste de la course : l’Iowa et le New Hampshire. Biden semble également éprouver des difficultés sur le plan financier comparativement à ses principaux rivaux. Et puis, force est de constater que la saga autour de son fils Hunter est aussi venue l’éclabousser.

Michael Bloomberg n’en fait pas de secret : comme candidat présidentiel, il s’adressera à l’électorat démocrate plus modéré. Et s’il se lance, c’est qu’il juge les candidats actuels trop faibles. En d’autres termes, Bloomberg voit le positionnement idéologique de Biden comme le bon, mais Biden comme le mauvais candidat pour aller jusqu’au bout. L’ex-vice-président doit déjà miser activement sur une division du vote à sa gauche entre des candidats comme Bernie Sanders et Elizabeth Warren pour remporter l’investiture. S’il doit en plus se frotter à un autre candidat centriste comme Bloomberg, l’air risque de commencer à se faire de plus en plus rare pour Biden.

Ce n’est pas suffisant pour affirmer que Michael Bloomberg aura d’énormes chances de remporter l’investiture du parti, ou même de doubler Biden dans la course. Les autres candidatures « tardives », comme Perry en 2011, Fred Thompson lors des primaires républicaines de 2008, ou Wesley Clark lors des primaires démocrates de 2003, se sont avérées être des étoiles filantes. Et Bloomberg possède d’énormes vulnérabilités, à commencer par un manque criant de charisme ou le simple fait d’être… un milliardaire new-yorkais.

Reste qu’au-delà même des votes qu’il pourrait soutirer à Joe Biden, le fait qu’il revienne sur sa décision de ne pas briguer la Maison-Blanche envoie un signal fort à l’endroit de l’ex-vice-président : ce type-là est peut-être moins solide qu’on le croyait au départ…

3. Les démocrates paient aujourd’hui pour leurs erreurs passées

L’année 2016 aura été le théâtre en Occident de deux erreurs de premier plan de la part d’élites politiques, colossales de par leur ampleur et leur portée historique.

La première fut celle du premier ministre conservateur britannique de l’époque, David Cameron, d’organiser un référendum sur le Brexit, se disant que ce dernier échouerait, mais qu’il lui permettrait au moins de « placarder » les supporteurs de son parti flirtant avec le parti indépendantiste UKIP. On connait le reste de l’histoire.

La deuxième fut celle de l’intelligentsia du Parti démocrate aux États-Unis, à commencer par Barack Obama, de tout faire pour couronner Hillary Clinton à la tête du parti.

En agissant de la sorte, les démocrates n’ont pas uniquement misé sur « la seule démocrate en Amérique que Donald Trump pouvait battre », comme le soulignait l’ex-président républicain de la Chambre des représentants John Boehner. Ils ont aussi activement étouffé des débats et des différends qui éclatent aujourd’hui au grand jour. Chassés de la Maison-Blanche et sans orientations claires, les démocrates ont exposé des fissures non négligeables entre l’élite et une partie importante de leur base.

C’est évident sur le spectre gauche-droite, mais c’est également vrai en ce qui a trait au schisme grandissant entre les éléments plus populistes comme Sanders et Warren d’un côté, et de riches donateurs proches de Wall Street comme Bloomberg de l’autre.

Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si à la fois Sanders et Warren ont tous les deux sauté à pieds joints littéralement dans les minutes suivant l’annonce de la candidature présidentielle possible de Bloomberg pour attaquer ce dernier de front. La déclaration de Sanders était éloquente de par sa concision : « La classe des milliardaires est affolée, et elle a raison de l’être ». L’ironie, bien sûr, est qu’une candidature comme celle de Bloomberg risque d’aider, plus que quiconque, Sanders et Warren, d’abord en leur donnant un nouveau souffre-douleur, puis en divisant le vote plus modéré.

Quiconque émergera éventuellement victorieux de ces primaires mènera un parti déterminé d’expulser Donald Trump de la Maison-Blanche. Cela dit, au-delà de la motivation de vaincre le président sortant, cette personne risque d’avoir un parti âprement divisé à gérer.