
Peut-on associer les attentats perpétrés par Anders Breivik en Norvège au phénomène plus vaste de l’extrême droite en Europe ?
D’une certaine façon. La comparaison la plus juste est avec Timothy McVeigh, qui a fait sauter un édifice fédéral à Oklahoma City, en 1995. Il ne faisait partie d’aucun mouvement. Mais il exprimait à sa manière, tel un déséquilibré, un sentiment qui, sous une forme moins violente, s’est manifesté et incarné depuis dans le Tea Party, notamment : l’hostilité envers les impôts, le gouvernement et ce qu’il représente. Breivik ne s’est pas attaqué aux immigrants, mais il a fait sauter un immeuble public et il a tiré sur des jeunes du parti au pouvoir. Les attentats de Breivik et de McVeigh sont tous deux la manifestation extrême d’une certaine atmosphère sociale et politique.
L’extrême droite a-t-elle le vent dans les voiles ?
Oui. Prenez les Pays-Bas, l’un des pays les plus multiculturels, tolérants et ouverts de la planète. Depuis l’assassinat du politicien Pim Fortuyn, en 2002, et du réalisateur Theo van Gogh, en 2004, il compte parmi les plus intransigeants et protectionnistes. En Hongrie, le parti d’extrême droite Jobbik a récolté près de 17 % des voix lors des dernières législatives. Ce ne sont que quelques exemples. Dans plusieurs pays d’Europe, des partis d’extrême droite font partie du gouvernement ou de la majorité dont le gouvernement a besoin pour gouverner.
Comment expliquer cette tendance ?
La révolte contre les impôts et le gouvernement a fortement gagné en popularité, en raison de la crise économique et du fait que les autorités démocratiques ne parviennent pas à assurer le plein-emploi. Mais il y a également des raisons identitaires et culturelles. La situation économique difficile pousse à la recherche de boucs émissaires : des gens ont tendance à dire que c’est la faute des étrangers, des immigrants.
Le concept d’« Eurabie », voulant que l’Europe soit absorbée par la culture arabo-musulmane, revient de plus en plus dans le vocabulaire de l’extrême droite. Qu’en est-il ?
– Il part de la conscience du déficit démographique de l’Europe. Afin de contrer ce déclin, bien des économistes affirment qu’on a besoin des immigrants pour assurer un rajeunissement et une croissance de la population. Mais cette approche rencontre une forte opposition. On peut dire que la réaction est dirigée, en somme, contre la mondialisation, qui implique l’ouverture des frontières, la venue d’immigrants et la délocalisation des industries. En Norvège, par exemple, le nombre d’immigrants admis a presque doublé depuis 2005. Le pays compte maintenant 10 % d’immigrants. Et ça suscite des réactions.
Comment les partis d’extrême droite européens s’insèrent-ils dans le jeu politique ?
– Il y a des rapports ambigus entre la droite et l’extrême droite. En France, Nicolas Sarkozy, qui est de droite, dit qu’il veut empêcher la montée du Front national [FN] de Marine Le Pen. Or, certains membres du parti de Sarkozy forment un courant nouveau du nom de « droite populaire » et affirment vouloir s’allier avec le FN plutôt qu’avec la gauche. Pour des raisons idéologiques, mais aussi pour des raisons stratégiques. C’est également le cas en Hongrie. Le parti d’extrême droite Jobbik, qui a récolté près de 17 % des voix lors des dernières législatives, est carrément fasciste : ses membres portent des uniformes noirs, défilent, font des raids sur les Tsiganes et veulent la « Grande Hongrie ». Le gouvernement conservateur, dirigé par Viktor Orban, joue avec ce parti un jeu ambigu : il s’appuie sur lui en empruntant certains de ses thèmes, mais dans le but de lui couper l’herbe sous le pied. Cela se produit souvent dans les grands partis de droite qui ont sur leur flanc une formation politique plus radicale. Sous prétexte de lutter contre les extrémistes – parfois avec succès -, on adopte une partie de leur programme.
Extrême droite et violence vont-elles de pair ?
– En quelque sorte, oui. L’extrême droite se définit idéologiquement et sentimentalement par une nostalgie de l’exploit individuel, de la violence, et considère ses adversaires politiques comme des ennemis absolus. Peut-être ne faut-il pas trop associer les extrêmes droites actuelles au nazisme et au fascisme, mais dans l’entre-deux-guerres, le vocabulaire était fortement imprégné de la guerre, de la fraternité combattante, etc. Dans ces milieux, on entend souvent la formule inversée du grand penseur de la guerre Carl von Clausewitz : on ne dit pas que « la guerre n’est qu’un prolongement de la politique par d’autres moyens », mais bien que « la politique n’est qu’un prolongement de la guerre par d’autres moyens » !
À VOIR PAGE SUIVANTE :
Une carte de l’extrême droite en Europe >>
1 – NORVÈGE
Parti du progrès
2005 : 38 sièges sur 169, 22,1 % des voix
2009 : 41 sièges, 22,9 % des voix
2- DANEMARK
Parti populaire danois
2005 : 24 sièges sur 175, 13,1 % des voix
2007 : 25 sièges, 13,8 % des voix
3- FINLANDE
Parti des Vrais Finlandais
2007 : 5 sièges sur 199, 4 % des voix
2011 : 39 sièges, 19 % des voix
4- SUÈDE
Parti Démocrates suédois
2006 : 0 siège sur 349, 2,9 % des voix
2010 : 20 sièges, 5,7 % des voix
5- BULGARIE
Union nationale Attaque
2005 : 21 sièges sur 240, 8,1 % des voix
2009 : 21 sièges, 9,4 % des voix
6- HONGRIE
Parti Jobbik
(Mouvement pour une meilleure Hongrie)
2006 : 0 siège sur 386, 2,2 % des voix
2010 : 47 sièges, 16,7 % des voix
7- AUTRICHE
Parti autrichien de la liberté
2006 : 21 sièges sur 183, 11 % des voix
2008 : 35 sièges, 18 % des voix
8- GRÈCE
Alerte populaire orthodoxe
2007 : 10 sièges sur 156, 3,8 % des voix
2009 : 15 sièges, 5,6 % des voix
9- ITALIE
Ligue du Nord
2006 : 26 sièges sur 629, 4,6 % des voix
2008 : 60 sièges sur 630, 8,3 % des voix
10- SUISSE
Union démocratique du centre
2003 : 55 sièges sur 200, 27,7 % des voix
2007 : 62 sièges, 29 % des voix
11- PAYS-BAS
Parti pour la liberté
2006 : 9 sièges sur 150, 5,9 % des voix
2010 : 24 sièges, 15,5 % des voix
12- BELGIQUE
Parti Intérêt flamand
2007 : 17 sièges sur 150, 12 % des voix
2010 : 12 sièges, 7,8 % des voix
13- FRANCE
Front national
Toujours aucun siège à l’Assemblée législative. Mais les sondages accordent à Marine Le Pen, présidente du parti, entre 18 % et 23 % des intentions de vote aux élections présidentielles de 2012.