
« Disproportionnée », selon la diplomatie américaine ; « démesurée », selon la chancelière allemande Angela Merkel… La peine de deux ans de camp de travail infligée à trois des jeunes femmes du groupe punk russe Pussy Riot a soulevé des critiques aux quatre coins du monde ainsi qu’un élan de sympathie de la part de Madonna, Paul McCartney, Kiss et bien d’autres. Le crime des trois Pussy : « hooliganisme » et « incitation à la haine religieuse ». Arrêtées début mars pour avoir investi l’autel de la cathédrale orthodoxe du Christ-Sauveur, à Moscou, et y avoir déclamé leur « prière punk » anti-Poutine, elles ont décidé, le 27 août, de faire appel de leur sentence.
Derrière cette saga, c’est la question de l’autoritarisme du régime Poutine qui refait surface. L’actualité a demandé à Jacques Lévesque, russologue et professeur émérite de science politique à l’UQAM, ce qu’il en pensait.
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Cette peine signale-t-elle une tendance générale du régime de Vladimir Poutine vers l’autoritarisme ?
Il y a un renforcement de l’autoritarisme si on compare la présidence de Poutine avec celle de Dmitri Medvedev. Alors que ce dernier voulait afficher une plus grande ouverture et libéraliser davantage le système politique et économique, Poutine est revenu au pouvoir, en mai, échaudé par les manifestations sans précédent qui ont eu lieu fin 2011 et début 2012.
Les règles qui encadrent désormais les manifestations sont un exemple de ce durcissement. Pendant la première présidence Poutine, des opposants au régime étaient souvent arrêtés, puis relâchés quelques heures plus tard avec une amende qui ne pouvait dépasser 60 dollars. Aujourd’hui, l’amende maximale est passée à 9 000 dollars !
Mais nuançons : le régime n’est pas beaucoup plus autoritaire. Il s’était produit des choses bien pires par le passé. En 2004, par exemple, le contestataire Maxim Gromov, membre du Parti national-bolchevique d’Édouard Limonov, avait été condamné à cinq ans de prison – peine ramenée à trois ans – pour avoir jeté un portrait de Poutine par la fenêtre d’un ministère à Moscou…
Le régime Poutine se sent-il menacé ?
Il est plus sur ses gardes qu’il ne l’était sous Medvedev et sous la première présidence Poutine, lorsque le taux de satisfaction à son égard se situait au-dessus de 70 %. Selon le centre d’analyse indépendant Levada, cette cote a chuté à 48 % cet été.
Le problème est dans les villes, où le taux de satisfaction oscille autour de 38 %. Quand Poutine resserre le contrôle de l’État sur la société et brandit la menace venue de l’étranger, il s’adresse surtout à la Russie profonde, où la population, plus conservatrice, est réceptive à ce genre de message.
Mais là encore, nuançons : on menace, on intimide, on resserre le contrôle, mais il y a des lignes que le régime n’a pas franchies. La radio Écho de Moscou, où les opposants s’expriment, n’a pas vu son contenu influencé, même si elle est financée par Gazprom, géant du gaz sur lequel l’État a la mainmise. Le quotidien Novaïa Gazeta, critique envers le pouvoir, continue de publier. Et Internet n’est pas bloqué.
Que nous apprend le procès sur les relations entre l’Église et le Kremlin ?
Les trois jeunes femmes ont dit vouloir dénoncer la collusion entre l’Église et le régime, une collusion bien réelle. Pendant la dernière campagne présidentielle, le patriarche Kirill, patron de l’Église orthodoxe russe, a dit que Poutine était « un don du ciel » !
Pendant la période soviétique, pour ne pas être inquiétée par un pouvoir athée, l’Église orthodoxe était extrêmement docile envers le pouvoir politique. Et ça a continué plus que jamais par la suite : des églises ont été reconstruites grâce à des fonds publics, et Poutine assiste souvent aux offices religieux.
Bien des membres de l’Église ont été outrés par le geste des Pussy Riot. Il est fort probable que la sanction exemplaire dont trois des jeunes femmes ont écopé soit un renvoi d’ascenseur de Poutine à l’Église.
La saga Pussy Riot est-elle finie ?
Poutine avait dit qu’il ne fallait pas juger ces jeunes femmes avec trop de sévérité. Et il n’aurait pas été impossible qu’il décide de les gracier. Mais l’ampleur de la critique internationale a probablement anéanti leurs chances : Poutine ne voudra sûrement pas laisser croire qu’il se fait dicter la marche à suivre par les étrangers.