Rétroviseur : chronique d’une catastrophe annoncée

Trois ans avant la catastrophe de Katrina, l’auteur Guillaume Vigneault visite La Nouvelle-Orléans et constate que si jamais cette ville est frappée par un ouragan majeur, elle sera perdue. Mais c’est la moindre des choses qu’il perçoit de cette fascinante langoureuse.

glamstock / Imazins / Getty Images ; montage : L’actualité

Chaque dimanche, le rédacteur en chef adjoint de L’actualité, Éric Grenier, vous invite à lire (ou à relire) dans son infolettre Rétroviseur un des reportages les plus marquants de la riche histoire du magazine. Vous pourrez ainsi replonger au cœur de certains enjeux du passé, avec le regard de maintenant.

Nous sommes trois ans avant Katrina. L’écrivain et scénariste Guillaume Vigneault visite La Nouvelle-Orléans pour L’actualité, et s’étonne devant le message inscrit sur certains t-shirts en vente dans les boutiques de souvenirs : « ‘Til the great flood, laissez les bon [sic] temps rouler ! » Appelé aussi « The Great One », ce grand désastre attendu n’est pas, comme à Los Angeles, un cataclysme propulsé des entrailles de la Terre, mais plutôt soufflé du ciel. Car c’était écrit là-haut : un jour ou l’autre, La Nouvelle-Orléans allait être frappée par un ouragan majeur, de catégorie 4 ou 5. Et probablement disparaître, engloutie telle une Atlantide.

La « Big Easy » borde un bassin fertile aux fortes tempêtes, le golfe du Mexique, trois mètres sous son niveau, au confluent du géant Mississippi et des bayous. « Cette ville ne devrait pas exister », lance un entrepreneur en construction à l’auteur de Chercher le vent (roman) et scénariste de Tout est parfait (film). Certains ouragans l’ont frôlée, comme Andrew en 1992, de catégorie 5. Il a chatouillé la Louisiane avant de bifurquer vers la Floride, où il allait semer la désolation. Il a toutefois causé peu de morts, grâce à la préparation et à la capacité de réaction de l’État de la Floride contre les tempêtes majeures. Andrew détenait d’ailleurs la palme de la catastrophe météorologique la plus destructrice de l’histoire des États-Unis. Jusqu’à l’arrivée de Katrina.

Cette préparation n’allait pas de soi à « N’Awlins ». Coupe-gorge et corrompue, La Nouvelle-Orléans collectionnait à ce moment-là les titres les moins enviables du pays : capitale du meurtre et de la corruption, les pires écoles, les routes à l’avenant et le plus haut taux de consommation de stupéfiants. 

N’empêche, La Nouvelle-Orléans reste la ville du tramway nommé Désir. Clinquante, colorée, berceau du jazz. Elle fascine quiconque la visite et y vit.

Je laisse Guillaume vous décrire quel avenir il entrevoit pour La Nouvelle-Orléans, alors qu’il s’apprête à la quitter. « La Nouvelle-Orléans semblait faire la grasse matinée, émergeant à regret des vapeurs d’une autre nuit de débauche. […] À la voir ainsi […] j’ai songé que La Nouvelle-Orléans avait l’air aussi prête à affronter un ouragan que moi un double bourbon sans glace, c’est-à-dire pas du tout. Mais cette ville, qui a vu naître le poker, semble jouir d’une chance infatigable. Et d’un talent certain pour… le bluff. »

Le 29 août 2005, elle a perdu son pari. Face à un des plus puissants et vastes ouragans jamais observés, les digues qui protègent cette « petite grosse ville » de 500 000 habitants (1,5 million avec la banlieue en 2005) se sont effondrées. Les trois quarts du territoire ont été engloutis sous six mètres d’eau et d’abandon par incurie des autorités fédérales et locales. On y a recensé entre 1 500 et 2 000 décès.

Dix-huit ans plus tard, La Nouvelle-Orléans n’a pas fini de s’en remettre. Après la catastrophe, la région métropolitaine a perdu la moitié de ses résidants. Il aura fallu attendre cette année avant qu’elle retrouve le nombre d’habitants pré-Katrina. Mais une grande partie de la population afro-américaine, la plus touchée par cette catastrophe biblique, n’est jamais revenue.

Reste que la ville qui ne devait pas exister a résisté à sa disparition pratiquement programmée. Et l’on comprend pourquoi quand un formidable écrivain comme Guillaume Vigneault nous la raconte et nous présente sa faune humaine digne de sa légende.

Bonne lecture.

Éric Grenier, rédacteur en chef adjoint

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