
Jeb Bush, au travers de son équipe de campagne et de son comité d’action politique (les fameux super PAC), a récolté plus de 150 millions de dollars pour financer sa course à la Maison-Blanche – plus que n’importe quel autre candidat républicain. De ce magot, 84 millions ont d’ores et déjà été dépensés. Pourtant, à l’échelle nationale, Jeb Bush ne se classe que cinquième dans les sondages parmi les candidats présidentiels du Grand Old Party (GOP). Une preuve supplémentaire que le véritable carburant des campagnes politiques n’est pas l’argent, mais l’élan populaire. Et à ce petit jeu, personne ne rivalise avec Trump.
La dynamique est semblable du côté démocrate: Hillary Clinton a levé (164 millions) et dépensé (90 millions) bien plus de fonds que Bernie Sanders (75 millions rassemblés, 47 millions investis), mais sa campagne perd actuellement la bataille du «buzz».
Donald Trump et Bernie Sanders, deux candidats anti-establishment que personne n’attendait voilà un an, sont indiscutablement les deux phénomènes des primaires américaines. Leurs victoires respectives dans la primaire du New Hampshire, ce mardi 9 février, a fini par concrétiser la vague de popularité sur laquelle ils surfaient depuis plusieurs semaines.
Aux antipodes sur le plan politique — l’un est l’incarnation du capitalisme sauvage, l’autre est la voix de la social-démocratie à la scandinave —, ils ont cependant un point commun, et non des moindres: leur élan est la résultante d’un nouveau populisme, nourri par un sentiment d’injustice sociale et d’inégalité économique, et bercé par une volonté de révolte populaire, à droite comme à gauche.
Le discours de Bernie Sanders après sa victoire au New Hampshire est, à cet égard, éloquent. «Ce soir, nous donnons un avertissement à l’establishment politique et économique de ce pays: le peuple américain n’acceptera pas un système de financement électoral corrompu [NDLR: les lobbys et les multinationales peuvent financer sans limite les campagnes des candidats au travers des super PAC] qui discrédite la démocratie américaine, et nous n’accepterons pas une économie truquée», a-t-il lancé à une foule conquise.
Selon le New York Times, Donald Trump a quant à lui puisé «dans un réservoir profond d’anxiété chez les républicains et les indépendants du New Hampshire […], et il est arrivé en tête chez les électeurs préoccupés par les immigrants illégaux, la crise économique naissante et la menace d’une attaque terroriste aux États-Unis».
Populisme, quand tu nous tiens…
L’analyste politique John Cassidy a d’ailleurs fait la genèse de ce nouveau populisme pour le compte du New Yorker.
«De ce côté de l’Atlantique, dans les années qui ont suivi la crise économique et le plan de sauvetage, Occupy Wall Street et le Tea Party ont vu le jour. Les deux mouvements ont reflété une aliénation croissante envers la classe politique, qui était largement considérée comme étant trop proche des intérêts des entreprises. Aucun des deux groupes n’était suffisamment puissant pour donner naissance à un nouveau parti politique ou prendre le contrôle d’un déjà existant, mais ils ont tous deux laissé leur empreinte. Aujourd’hui, nous avons Bernie Sanders et Donald Trump, qui vont puiser dans un grand nombre de ces sentiments populaires.
Ce nouveau populisme, comme il pourrait être qualifié, dénote une profonde méfiance envers les élites politiques, corporatives et médiatiques, ainsi qu’un empressement à mobiliser ceux qui s’éveillent à la politique et une volonté d’adopter des mesures qui ont longtemps paru interdites. À droite, cela s’est traduit par des propositions visant à sévir contre les immigrés, les musulmans et les étrangers de toutes sortes. À gauche, cela s’est manifesté par des demandes pour réduire les capacité des grandes banques, sévir contre les multinationales cherchant à éviter l’impôt, passer à un système fiscal bien plus progressiste et prendre au sérieux la réduction des émissions de dioxyde de carbone.»
Si Trump et Sanders rentrent dans le moule défini par John Cassidy, ils correspondent également aux profils de chefs établis par les Américains. Selon un sondage réalisé par le centre de recherche Pew en septembre dernier, 65 % des électeurs républicains privilégiaient un candidat avec de nouvelles idées, alors que seulement 29 % favorisaient l’expérience politique – un élément qui échappe totalement à Trump. Les électeurs démocrates, eux, voulaient un candidat plus équilibré: 50 % souhaitaient que leur candidat ait déjà des états de service, pendant que 42 % espéraient une nouvelle approche de la politique – un combo bien incarné par Sanders. Malgré la stupeur des uns et des autres, leur popularité est finalement tout sauf une surprise.
Mais Trump et Sanders ne sont peut-être pas appelés au même destin. Car si le magnat de l’immobilier caracole en tête des sondages à l’échelle nationale, le sénateur du Vermont est quant à lui distancé de 13 points par sa rivale Hillary Clinton. En fait, le point fort de la campagne de Sanders illustre aussi son point faible: sa popularité est surtout évidente chez les jeunes.
Les chiffres sont pourtant impressionnants: 83 % des électeurs de moins de 30 ans ont voté pour Sanders lors de la primaire démocrate du New Hampshire, propulsant le sénateur du Vermont vers la victoire. La semaine précédente, en Iowa, ils étaient déjà 84 % à préférer «The Bern» à Clinton, mais c’est l’ancienne première dame des États-Unis qui l’avait emporté.
Ce désamour des jeunes envers Clinton, considérée comme plus proche de l’establishment politique et de Wall Street, n’est pas nouveau. Sur l’ensemble des primaires démocrates de 2008, Barack Obama avait revendiqué 20 points d’avance sur elle chez les moins de 30 ans, et 11 points chez les 30-44 ans, mais il s’était incliné de sept points auprès des 45-64 ans.
Cette fois-ci, l’écart générationnel semble s’être creusé. En Iowa, Sanders a donc eu la confiance des 17-29 ans (84 % contre 14 %), ainsi que celle des 30-44 ans (58 % contre 37 %), mais Clinton a eu le dessus chez les 45-64 ans (58 % contre 35 %) et les 65 ans et plus (69 % contre 26 %). La primaire du New Hampshire a été plus favorable à Sanders, notamment chez les 45-64 ans, mais elle a tout de même confirmé que plus les électeurs sont âgés, moins ils ont tendance à voter Sanders – et inversement pour Clinton.
Or, là se trouve sûrement la clé de cette primaire démocrate, puisque la démographie américaine joue en faveur de Clinton: en 2008, déjà, les votants de plus de 45 ans représentaient 61 % de l’électorat démocrate. Clinton dispose donc d’un avantage certain. À moins que Sanders parvienne à élargir sa base électorale. Il fait actuellement tout en son pouvoir pour obtenir la confiance des populations hispanique et noire, dont le vote sera primordial lors des primaires à venir au Nevada (20 février) et en Caroline du Sud (27 février). Pour ce faire, il continue de jouer sur la fibre de l’optimisme (pour ne pas dire populisme) dont il a fait son slogan: «A Future to Believe In» (Un futur auquel croire).
«Il n’y a pas de président qui se battra plus fort que moi pour mettre fin au racisme institutionnel et réformer ce système de justice pénale qui ne fonctionne plus», a-t-il notamment promis en Caroline du Sud.
Nota bene : Trump peut lui aussi compter sur l’admiration sans faille de (très) jeunes gens, comme le démontre cette vidéo surprenante d’une fillette de 9 ans apprenant qu’elle va voir Donald Trump en personne.
https://www.youtube.com/watch?v=Z4fFWTFOQh0
Comme quoi l’argent n’achète pas forcément les victoires électorales, et c’est tant mieux!
Rappelez-vous la dernière élection fédérale au Canada. Le Parti conservateur, pourtant le mieux nanti financièrement au départ, a essuyé au bout du compte une défaite cinglante (aux mains du PLC, pourtant un « tiers parti » en début de campagne) à cause d’un chef incapable de communiquer spontanément et aisément avec les médias ou la population sans exercer un contrôle absolu sur son entourage.
Bref, on a beau être riche, si on a une personnalité terne, ça ne pardonne pas…