
Renforcement de l’autoritarisme ? Violence et instabilité politique ? Crise économique et sociale ? L’avenir du Venezuela, après la mort d’Hugo Chávez, est lourd de périls potentiels, croit Graciela Ducatenzeiler, professeure de science politique à l’Université de Montréal et spécialiste de l’Amérique latine. Entretien.
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Le régime construit autour de la « révolution bolivarienne », ce socialisme d’État bâti par Hugo Chávez, lui survivra-t-il ?
Il règne présentement une très grande incertitude sur le plan politique au Venezuela. Nous savons que Nicolás Maduro, le vice-président, a été choisi par Hugo Chávez pour lui succéder et qu’il a de très bonnes chances d’être élu à l’élection présidentielle qui doit être déclenchée dans les 30 jours suivant la mort du président. Il tirera certainement profit du fait d’avoir été choisi par Chávez. Mais il n’est pas sûr du tout que Maduro aura la capacité de garder intact ce qui a été construit de toutes pièces par Hugo Chávez. Celui-ci avait les idées [la « révolution bolivarienne »], le charisme et les fonds tirés de la manne pétrolière. Ce sont là trois éléments sur lesquels Maduro, qu’on connaît très peu, qui n’est pas charismatique et qui hérite d’une situation économique très difficile, pourra difficilement compter.
Hugo Chávez, qui se croyait presque immortel, n’a pas travaillé à sa succession, et le système politique qu’il a mis en place est extrêmement personnalisé. Il s’est construit autour de sa propre personne, ce qui est typique des régimes populistes. Les institutions politiques sont donc très faibles. Élu sans parti en 1999, Chávez n’en a jamais créé un véritable. Son succès politique était d’abord fondé sur son charisme.
Il n’y a donc pas d’institutions fortes capables d’assurer la cohésion et la pérennité du modèle politique bâti par Hugo Chávez.
Il faudra d’ailleurs surveiller la position que prendront les forces armées. Celles-ci étaient plutôt fidèles au défunt président, car il avait limogé les dirigeants qui avaient participé au coup d’État manqué de 2002. Mais on ne sait pas si elles seront aussi loyales envers Nicolás Maduro.
Peut-on s’attendre à une décentralisation du pouvoir et à un renforcement des libertés civiles ou, au contraire, au maintien de la tendance à l’autoritarisme, montrée du doigt par les critiques du régime ?
Il y a fort à parier que Maduro tentera de maintenir la tendance à l’autoritarisme et de garder le pouvoir très centralisé. Le vice-président était un laquais de Chávez. Il lui était très loyal. Comme le pouvoir était concentré entre les mains du « commandante » et que celui-ci n’acceptait pas la discussion ouverte dans son entourage, Maduro n’a pas pu occuper une place importante dans son gouvernement. Voilà pourquoi il est si faible.
On verra quels seront ses discours et ses gestes s’il est élu, mais ce qu’il dit et fait depuis la mort du président est en parfaite continuité avec ce dernier. À l’instar de son prédécesseur, qui agitait volontiers l’épouvantail américain, il a accusé les États-Unis d’avoir inoculé le cancer qui a emporté le président. Il a même parlé de mettre sur pied une commission pour enquêter sur cette hypothèse. Par ailleurs, il a expulsé deux attachés militaires de l’ambassade américaine.
S’il a réduit la pauvreté au pays, Chávez laisse également derrière lui une économie et des finances publiques en piteux état. Qu’en est-il exactement, et quelles en seront les répercussions sur le régime ?
Il s’y passe l’inverse de ce qui se produit dans le reste de l’Amérique latine : la croissance économique est faible, et l’inflation, très élevée. Les prix sont si élevés que l’Economist Intelligence Unit (une entreprise de recherche et d’analyse économique) place Caracas, la capitale vénézuélienne, au neuvième rang des villes les plus chères du monde.
La devise du Venezuela, le bolivar, a aussi été dévaluée de près de 1 000 % depuis l’arrivée de Chávez au pouvoir, en 1999 ! En février, Maduro a décrété une autre dévaluation du bolivar de 46 %. C’est exceptionnel pour un pays qui possède l’une des plus importantes mannes pétrolières du monde.
À Caracas et dans les régions intérieures, il y a également une pénurie de denrées de base, comme le pain, le sucre, l’huile, la viande… Les gens courent d’un magasin à l’autre pour en trouver. L’électricité vient aussi parfois à manquer, dans un pays qui produit pourtant beaucoup de pétrole.
Jusqu’ici, Chávez était parvenu à éviter les contrecoups de la crise. Il rejetait la faute sur les États-Unis, et sa maladie retenait toute l’attention. Mais une fois que le deuil national sera terminé, il n’est pas sûr que Maduro sera capable de tenir bon comme son prédécesseur. Surtout que les fonds publics, qui permettaient à Chávez de financer de généreux programmes sociaux, ont fondu. Chávez n’a pas créé de richesse et n’a pas investi dans l’industrie, y compris celle du pétrole, qui génère pourtant la rente ayant permis au gouvernement de financer ses programmes sociaux et de s’assurer un fort appui politique dans les milieux populaires.
La mort de Chávez aura-t-elle des répercussions sur les régimes alliés de gauche, comme Cuba, la Bolivie, le Nicaragua ou l’Équateur ?
Comme à l’interne, le successeur de Chávez risque d’avoir de la difficulté à redistribuer la richesse auprès de ses alliés régionaux, auxquels Caracas fournit notamment du pétrole. [Le Nicaragua recevrait du pétrole à la hauteur de 500 millions de dollars – l’équivalent de 7 % de son PIB -, tandis que Cuba recevrait chaque jour 100 000 barils de pétrole, soit 5 % de son PIB.]
Pour l’heure, le président équatorien, Rafael Correa, est le prétendant à la succession de Chávez en tant que leader latino-américain de cette gauche socialiste dite « bolivarienne ». Saura-t-il entretenir le mythe, comme le président vénézuélien savait le faire ? Chose certaine, il n’aura pas les ressources naturelles sur lesquelles pouvait compter Chávez. Car sans ces ressources, celui-ci n’aurait jamais pu être le leader qu’il a été.