Deux partis politiques visant l’électorat anglo-montréalais verront le jour à temps pour le scrutin d’octobre prochain : Mouvement Québec (MvQ) sera mené par Balarama Holness, ancien candidat à la mairie de Montréal qui avait récolté 7 % des votes à l’élection municipale en 2021 ; et le Parti canadien du Québec (PCanQ), dont le porte-parole, Colin Standish, affirme qu’il « concentrera d’abord ses efforts de recrutement à Montréal, dans les Cantons de l’Est et dans l’ouest du Québec », selon La Presse.
Ces nouvelles formations pourraient-elles vraiment nuire au Parti libéral du Québec, dont l’île de Montréal constitue le bastion ? Créer un parti et construire de zéro une organisation capable de mobiliser l’électorat cible pour l’inciter à aller voter est une tâche colossale qui requiert énormément de ressources, de temps, d’argent et, dans une certaine mesure, de candidats-vedettes. À première vue, ces deux partis ne cochent aucune de ces cases — en tout respect envers M. Holness, qui a recueilli un peu plus de 30 000 votes lors de l’élection municipale.
À moins de six mois du scrutin, on peut douter des chances de ces nouveaux venus à l’automne. Mais l’histoire nous rappelle aussi que l’élection de quatre députés du Parti égalité en 1989 était survenue à peine quelques mois après la création de la formation, à la suite d’une contestation de membres de la communauté anglophone à l’égard d’une position linguistique du PLQ.
L’émergence de ces partis ne s’est pas faite dans le vide : le Parti libéral est en chute libre dans les intentions de vote, et sa fidèle base anglophone et allophone montréalaise ne semble pas apprécier le virage qu’il a pris sous la gouverne de Mme Anglade. Selon les derniers sondages, moins de la moitié de ces électeurs appuient toujours le PLQ, alors que cette proportion s’approchait de 70 % ou 75 % dans les élections récentes.
Cette baisse pourrait être encore plus dramatique pour le PLQ si ces électeurs décidaient de rester chez eux le soir de l’élection. Combinée avec la force actuelle de la CAQ, elle pourrait ouvrir toutes grandes les portes dans certains bastions montréalais du PLQ.
En 2018, la CAQ de François Legault avait remporté deux circonscriptions sur l’île de Montréal, soit Pointe-aux-Trembles et Bourget. Or, la plus récente projection Qc125 (dont les détails se trouvent ici) pointe quatre autres circonscriptions de Montréal où la CAQ est projetée favorite (même si trois d’entre elles sont étiquetées comme des pivots), et une cinquième qui pourrait être en jeu si le PLQ faisait encore moins bien que ce que laissent entrevoir les projections.
5. Verdun
Députée : Isabelle Melançon (PLQ)
Projection actuelle : pivot PLQ/CAQ/QS
En 2018, Isabelle Melançon avait remporté Verdun grâce à un balayage complet des bureaux de scrutin du secteur huppé de L’Île-des-Sœurs (voir figure ci-dessous). La portion située sur l’île de Montréal avait été remportée par la candidate de Québec solidaire (qui avait terminé deuxième avec 24 % des suffrages). En troisième place avec 20 % des suffrages, la CAQ obtenait un résultat tout à fait respectable dans une circonscription qui ne lui était pas favorable. Si la CAQ parvenait à absorber une fraction du vote péquiste (ce que les sondages actuels laissent croire) et que le PLQ perdait une partie de son électorat non francophone (particulièrement à L’Île-des-Sœurs), nous pourrions assister à une course à trois endiablée dans Verdun le soir du 3 octobre.

4. Maurice-Richard
Députée : Marie Montpetit (IND)
Projection actuelle : pivot CAQ/QS
C’est de justesse que Marie Montpetit avait réussi à maintenir Maurice-Richard dans le giron libéral en 2018. Maintenant députée indépendante, elle n’avait obtenu que 29,5 % des suffrages dans Maurice-Richard (autrefois appelée Crémazie, et détenue par le PQ avant 2014), une mince avance de 530 votes devant le candidat de Québec solidaire. La CAQ et le PQ avaient terminé derrière, avec respectivement 20 % et 19 % des suffrages. Or, aucune donnée actuelle n’indique que le PLQ puisse avoir augmenté ses appuis dans cette circonscription du nord de Montréal, et puisque 68 % des électeurs de Maurice-Richard sont francophones (selon les données du dernier recensement découpées par Élections Québec), nous pourrions y observer une autre course serrée entre Québec solidaire et la CAQ.
3. Anjou–Louis-Riel
Députée : Lise Thériault (PLQ)
Projection actuelle : favorable pour la CAQ
Avec le départ annoncé de Lise Thériault, députée libérale depuis 2001, la porte semble grande ouverte pour une victoire de la CAQ dans cette circonscription de l’est de Montréal, où la chute graduelle des appuis au PQ (qui est passé de 31 % des suffrages en 2012 à 23 % en 2014 et à 15 % en 2018) pourrait certainement aider à gonfler ceux à la CAQ dans cette partie très francophone de la métropole. La candidate de la CAQ avait terminé en deuxième place en 2018, 10 points derrière Mme Thériault. Si les tendances actuelles se maintiennent jusqu’en octobre, nous projetons un gain pour la CAQ dans Anjou–Louis-Riel.
2. Marquette
Député : Enrico Ciccone (PLQ)
Projection actuelle : pivot PLQ/CAQ
Marquette, qui comprend la ville de Dorval et l’arrondissement de Lachine, est une circonscription historiquement acquise au PLQ, et ce, depuis sa création en 1981. L’ancien député François Ouimet l’a représentée pendant sept mandats consécutifs, de 1994 à 2017, souvent par des marges imposantes. En 2018, Philippe Couillard lui avait préféré l’ex-hockeyeur Enrico Ciccone. Or, M. Ciccone était parvenu à conserver Marquette sous couleurs libérales, mais avec seulement 43 % des suffrages, une proportion bien moindre pour le PLQ que lors des élections précédentes. En deuxième place derrière Ciccone ? Le candidat Marc Hétu de la CAQ, qui avait tout de même récolté 28 % des suffrages.
La circonscription de Marquette est francophone à 49 %, selon les données d’Élections Québec. Si le PLQ est arrivé à conserver cette circonscription d’élection en élection, c’est principalement grâce à sa domination auprès du vote non francophone. Dans une élection où le vote non francophone est apathique envers le PLQ, et où d’autres options s’offrent à la communauté anglophone, il n’est pas exclu que l’ancien homme du Canadien puisse mordre la poussière après un seul mandat.
1. Saint-Henri–Sainte-Anne
Députée : Dominique Anglade (PLQ)
Projection actuelle : pivot PLQ/QS
Les deux seuls chefs du PLQ à s’être inclinés lors d’élections générales depuis 1981 sont Robert Bourassa, dans Bertrand en 1985, et Jean Charest, dans Sherbrooke en 2012. Se pourrait-il que Dominique Anglade subisse le même sort en octobre 2022 ? En 2018, la cheffe libérale, alors ministre, avait remporté cette circonscription avec 38 % des suffrages, 14 points devant le candidat de Québec solidaire. Il s’agissait d’une avance notable, mais pas dominante non plus.
Or, la CAQ avait obtenu 19 % des suffrages en 2018. Considérant que ce coin de Montréal est composé d’une population francophone à 70 %, la CAQ pourrait bénéficier d’une forte progression dans cette circonscription, où le taux de participation n’avait été que de 57 % en 2018. Il y aurait donc un bassin important d’électeurs à courtiser. De plus, la cote de popularité famélique d’Anglade tire son parti vers le bas : dans le dernier sondage Léger, Mme Anglade était perçue comme la meilleure candidate au poste de premier ministre par seulement 8 % des répondants — et à peine 4 % chez les francophones.

Même si la machine électorale du PLQ à Montréal roule à plein régime en septembre et en octobre, elle devra se méfier de l’organisation bien huilée de Québec solidaire. Au niveau municipal, Projet Montréal, qui a des atomes crochus avec QS, a balayé les districts électoraux couvrant le territoire de Saint-Henri–Sainte-Anne lors de l’élection de novembre dernier. De plus, il ne faudrait pas non plus sous-estimer la CAQ, qui pourrait potentiellement se faufiler entre QS et le PLQ.
Déjà dans les bas-fonds de popularité dans les régions du Québec, le PLQ devra se battre pour conserver plusieurs de ses bastions montréalais à l’automne. La Coalition Avenir Québec et, dans une moindre mesure, Québec solidaire pourraient en profiter. À suivre.
Note
La version originale de cet article a été modifiée le 29 avril 2022 pour indiquer que Jean Charest n’est pas le seul chef du PLQ à s’être incliné lors d’élections générales depuis 1981 (c’est aussi arrivé à Robert Bourassa en 1985).
Ayant écouté attentivement M.Holness tout au long de la course à la mairie de Montréal, je fus surpris de connaître un homme posé et innovateur qui amène des idées concrètes et réalistes sur la place publique. Si j’eus été citoyen de Montréal, il aurait eu mon vote. Malheureusement, son implication visant à mettre sur pieds un parti anglophone ralentit mes ardeurs face à celui qui aurait pu devenir un grand rassembleur plutôt qu’un diviseur. Vous qui m’avez emballé M.Holness, vous me décevez aujourd’hui.