Affaire Wright-Duffy : que doit Stephen Harper à Irving Gerstein ?

Tout le monde savait déjà que le Parti conservateur roule sur l’or. Ce que bien des partisans mécontents voulaient savoir était s’il avait, oui ou non, songé à aider le sénateur Mike Duffy à rembourser ses allocations de frais litigieuses. 

Lors du dernier congrès conservateur à Calgary, le grand argentier du parti, le sénateur Irving Gerstein, a fait son rapport habituel sur l’état des finances de la formation.

Tout le monde savait déjà que le Parti conservateur roule sur l’or. Ce que bien des partisans mécontents voulaient savoir était s’il avait, oui ou non, songé à aider le sénateur Mike Duffy à rembourser ses allocations de frais litigieuses. M. Gerstein a vigoureusement nié l’information.

Depuis la semaine dernière, il se fait discret, car il a menti devant son parti. La demande de production de documents, faite auprès de la Cour de l’Ontario par le politicien chargé de l’enquête sur le sénateur Mike Duffy et l’ancien chef de cabinet du premier ministre Harper, Nigel Wright, montre noir sur blanc que le sénateur Gerstein a envisagé éponger la facture. Lui-même l’avoue au policier.

Ce qui l’a fait reculer est l’ampleur de la somme. Tant qu’il était question d’un remboursement d’environ 30 000 $, il était disposé à y réfléchir, mais il ne fallait pas que ça s’ébruite. Quant il est devenu clair que le montant dépasserait 90 000 $, il a refusé, limitant l’aide du parti aux frais d’avocat de M. Duffy.

Ces tractations entre M. Wright et lui se sont produites à la fin février. Le premier ministre Harper répète depuis le mois de mai qu’il avait toujours voulu que le sénateur Duffy rembourse lui-même ses dépenses injustifiées. Il faut croire que ses hommes de confiance n’avaient rien compris, puisque l’important pour eux était qu’il y ait un remboursement, que tout le monde aurait cru venir de M. Duffy.

Le rôle du sénateur Gerstein ne s’est pas arrêté là. À la demande de M. Wright, il a contacté à deux reprises un de ses contacts au sein de la firme comptable Deloitte (qui est le vérificateur comptable du Parti conservateur) pour s’enquérir de l’état de la vérification des dépenses de M. Duffy et pour savoir si cet examen serait interrompu advenant un remboursement.

C’est ce que souhaitait M. Wright et son entourage. Ils ne l’ont pas obtenu.

Hier matin, les trois personnes responsables de la vérification du dossier Duffy comparaissaient devant le comité sénatorial de la régie interne, des budgets et de l’administration. L’un d’entre eux a reconnu s’être fait poser quelques questions du contact de M. Gerstein, Michael Runia. Le vérificateur a refusé sa demande.

Ses collègues et lui ont soutenu n’avoir été sous aucune influence ni n’avoir échangé aucune information confidentielle avec qui que ce soit, à part les membres du comité ayant retenu leurs services.

Leur témoignage n’explique pas tout, et on se demande si on arrivera à faire la lumière sur cette tentative d’ingérence du bureau du premier ministre et du sénateur Gerstein. La majorité conservatrice au comité a refusé ce matin d’appeler à comparaître MM. Gerstein et Runia.

Cela est important, parce que les multiples courriels et documents divulgués la semaine dernière par l’enquêteur de la GRC laissent croire que certains renseignements ont coulé. L’enquêteur confirme que l’équipe de vérification a refusé de répondre à son collègue, mais un adjoint de Nigel Wright affirme dans un courriel connaître une des conclusions du rapport. Il dit que Deloitte ne pourra trancher sur la question de résidence parce que l’avocat de M. Duffy ne leur a rien fourni. Il écrit plus tard qu’il faudrait encourager le sénateur à continuer de refuser de coopérer.

Les services de Deloitte ont été retenus par le Sénat pour faire la lumière sur les dépenses des sénateurs Mac Harb, Patrick Brazeau, Pamela Wallin et Mike Duffy. Il devait s’agir d’une vérification indépendante, à l’abri des manœuvres politiques.

L’opposition tente depuis des semaines de savoir pourquoi le sénateur Gerstein n’a pas été sanctionné par le premier ministre pour son offre d’aide financière. Et depuis une semaine, libéraux et néo-démocrates veulent savoir pourquoi, à la lumière des faits révélés par l’enquêteur de la GRC, M. Gerstein est toujours membre du caucus et conserve toutes ses responsabilités au Sénat.

M. Harper a toujours évité de répondre aux questions au sujet de son argentier, et il n’a pas dévié cette semaine. Il répète ad nauseam que dans cette affaire, seulement deux personnes sont en cause et sous enquête, soit Mike Duffy et Nigel Wright.

Il est vrai que M. Gerstein n’est pas sous enquête policière, mais qu’il ait envisagé aider financièrement Mike Duffy et soit intervenu auprès de Deloitte, même sans succès, n’est pas cohérent avec les attentes que le premier ministre disait avoir. Ne devrait-il pas être réprimandé ?

Il ne faut pas y compter, car l’argent a souvent raison de tout. Et Irving Gerstein est celui qui garde les coffres du PC bien garnis. Stephen Harper lui doit sa puissance de frappe. C’est grâce à ses moyens financiers imposants que le PC peut s’offrir de coûteuses publicités entre les élections, alimenter avec constance une banque de données sur les électeurs la plus sophistiquée qui soit, éponger les frais juridiques de ses députés ayant des démêlés avec Élections Canada.

Le PC est le parti le plus riche. Il est champion toutes catégories en matière de collecte de fonds. Et M. Gerstein est le maître du genre. Stephen Harper a encore besoin de lui. Il ne le lâchera pas, comme il l’a fait avec Nigel Wright.

Les commentaires sont fermés.

Il y a dans beaucoup d’organisations et je pense que les partis politiques n’y dérogent pas, une « petite caisse » — dans le passé il y avait aussi des « caisses noires » -, qui permettent de parer à diverses « petites » dépenses. J’imagine que 30 000 dollars était le maximum qui pouvait être remboursé à monsieur Duffy sans devoir obligatoirement produire des justificatifs de dépenses et même pour faire passer 30 000, il aurait fallu certainement trouver quelques astuces.

À l’inverse rembourser des frais d’avocats est plus aisé, puisque les avocats produisent des factures, donc des justificatifs. Dans la pratique, monsieur Gerstein, n’a suivant ce que vous relatez, pas commis de faute attendu qu’il n’a pas accédé aux demandes de monsieur Duffy. Il est difficile selon moi à ce stade, de penser qu’il y ait eu quelque tentative que ce soit d’ingérence de monsieur Gerstein dans le travail de vérification des employés de la firme Deloitte qui de toute évidence dispose de règles d’éthiques contraignantes pour assurer l’impartialité de la firme d’audit, de conseils et de services comptables, pour fin éviter toutes sortes de fuites.

Force est de constater hélas que monsieur Duffy aura contribué à mettre beaucoup de monde dans l’embarras. En incluant Nigel Wright qui était pourtant un ami. Qu’il manque de transparence quant à la gestion de ses propres fonds, lorsqu’il ne se sent pas le moins du monde redevable pour les fonds publics qu’il reçoit pour pourvoir à ses bons et loyaux services. Enfin, bons et loyaux services est une formule consacrée. Pas trop sûr que dans ce cas, il ait été vraiment loyal comme un bon soldat 🙂