Affaire Wright-Duffy : que savait Stephen Harper?

La suspension des sénateurs Mike Duffy, Pamela Wallin et Patrick Brazeau a offert une distraction momentanée et un court répit à M. Harper, mais ce n’était que cela : un répit. Car les enquêtes vont continuer… et réserver des surprises.

Tout un pavé est tombé dans la mare du premier ministre Stephen Harper cette semaine. Une déclaration assermentée de l’inspecteur Greg Horton, de la GRC, a ramené les projecteurs sur le bureau du premier ministre et les tractations de coulisses pour ménager le sénateur Mike Duffy, jetant du même coup des doutes sur la version des faits de M. Harper.

La suspension des sénateurs Mike Duffy, Pamela Wallin et Patrick Brazeau a offert une distraction momentanée et un court répit à M. Harper, mais ce n’était que cela : un répit. Car les enquêtes policières et la vérification des dépenses des sénateurs par le vérificateur général vont continuer… et réserver des surprises.

Cette déclaration assermentée a été présentée à la cour cette semaine pour avoir accès à des informations bancaires de M. Duffy, ainsi qu’à des courriels du sénateur et de trois de ses collègues.

L’enquête porte sur le sénateur Duffy et l’ancien chef de cabinet du premier ministre, Nigel Wright, à la suite des 90 000 $ que ce dernier a versé pour rembourser les dépenses litigieuses de M. Duffy. En échange, comprend-on, de son silence. Selon le policier, les deux hommes se seraient rendus coupables de corruption, de fraude et d’abus de confiance dans le cadre de leurs fonctions.

Aucune accusation n’a été portée, et aucune des allégations n’a été prouvée en cour, mais le contenu étonnamment détaillé de la déclaration du policier attire l’attention sur le bureau du premier ministre et sa détermination à mettre le couvercle sur le cas Duffy, avec l’aide de la direction conservatrice au Sénat et de hauts gradés du parti.

M. Harper a toujours affirmé qu’il avait toujours cru que M. Duffy rembourserait lui-même les dépenses litigieuses et qu’on ne lui a jamais dit que M. Wright avait épongé la facture du sénateur. Au départ, il affirmait que M. Wright avait agi seul, puis a modifié sa version des faits pour dire que quelques personnes étaient au courant. Il a toujours limité ses commentaires sur le rôle du parti au fait que ce dernier a remboursé les frais d’avocat du sénateur. Encore hier, il persistait à dire que deux personnes seulement étaient en cause dans cette affaire, MM. Wright et Duffy.

Le loup solitaire

Ce que révèlent cependant la masse de courriels épluchés par les enquêteurs — on parle d’environ 2 600 documents jugés pertinents à l’enquête —, c’est un effort concerté de plusieurs conservateurs de haut niveau, tous nommés à leur poste par M. Harper, pour étouffer l’affaire Duffy avec un plan qu’on ne veut pas ébruiter.

Au sein du bureau du premier ministre (BPM), il y a, en plus de M. Wright, le conseiller juridique Benjamin Perrin, le directeur de la gestion des enjeux Chris Woodcock, le responsable des affaires parlementaires Patrick Rogers et l’adjoint du chef de cabinet, David van Hemmen, qui joue un rôle marginal.

Au Sénat, la leader parlementaire Marjorie LeBreton et les deux sénateurs membres du sous-comité responsable de la production du rapport — David Tkachuk et Carolyn Stewart Olsen — seront en charge de l’opération dilution du rapport, au grand dam de l’adjoint de Mme LeBreton, Christopher Montgomery.

Puis il y a le grand argentier du parti (le sénateur Irving Gerstein), l’avocat du parti (Arthur Hamilton) et le directeur du parti (Dan Hilton) qui seront mis au parfum du chèque de Nigel Wright.

Avec M. Duffy, cela fait au moins 12 personnes au fait d’une partie ou de la totalité des tractations. Ça commence à faire beaucoup.

L’ignorance des faits

Mais M. Harper était-il au courant de ce grenouillage? Rien dans les documents, et le policier le souligne, ne démontre que M. Harper était au fait du chèque de 90 000 $ de Nigel Wright ou encore, des détails des manœuvres de ses subordonnés. Elles ont toutefois duré des semaines et donné lieu à des milliers de courriels.

Tout commence avec le refus buté de M. Duffy de prendre le blâme et de rembourser. Il craint pour sa réputation et son poste, et il estime avoir suivi les règles tout en n’ayant rien à se reprocher. On fait pression sur lui. Quand il accepte, ce n’est pas sans condition.

Son avocate Janice Payne en transmet cinq à M. Wright, le 21 février. Il est question de la vérification par la firme Deloitte, du rapport du Sénat et de la nécessité d’avoir des «lignes» médiatiques communes. Mais il exige aussi qu’on lui rembourse ses frais juridiques et qu’on prévoie un arrangement pour faire en sorte «to keep him whole on the repayment». En d’autres mots, qu’on lui vienne en aide financièrement pour qu’il ne perde rien au change en remboursant.

Dans sa réponse offerte le même jour, Nigel Wright se montre généralement ouvert aux requêtes du sénateur. Il suggère entre autres de faire appel au Parti conservateur pour aider M. Duffy à rembourser ses dépenses injustifiées, que tous estiment alors à environ 30 000 $. Il en a déjà parlé au sénateur Gerstein qui n’a pas fermé la porte. Il laisse à Benjamin Perrin le soin d’éclaircir quelques points

Le lendemain, M. Perrin a quelques réponses. M. Wright parle au sénateur Gerstein puis envoie un courriel à ses collègues dans lequel il dit, entre autres choses, qu’il veut parler au premier ministre avant d’attacher les derniers fils. «I do want to speak to the PM before everything is considered final», écrit-il.

Moins d’une heure plus tard, nouveau courriel, toujours de Nigel Wright à ses collègues: «We are good to go from the PM once Ben has his confirmation from Payne», l’avocat du BPM devant encore régler quelques détails.

Le premier ministre, qui a toujours publiquement dit qu’il s’attendait à ce que M. Duffy paie de sa poche, a-t-il donné son accord pour que le sénateur reçoive l’aide financière du parti — non seulement pour ses frais d’avocat, mais aussi pour le remboursement de ses dépenses injustifiées? Les documents ne le disent pas, mais ces deux courriels laissent croire qu’il en savait plus qu’il ne le laisse croire depuis le mois de mai.

Le chèque

Le parti reculera quatre jours plus tard, quand la facture se révèle plus salée que prévue. M. Wright, excédé, offre alors son aide personnelle afin d’en finir avec cette saga. Mais dans tous les cas de figure, la stratégie est toujours de laisser croire que M. Duffy a lui-même remboursé.

Si M. Harper savait que le parti se préparait à aider le sénateur, il a dû être informé que ce ne serait plus le cas. Il ne s’est jamais demandé où Mike Duffy avait finalement trouvé les fonds ?

Lorsque l’affaire a finalement été éventée par le réseau CTV, le secrétaire de presse de M. Harper, Carl Vallée, écrit à Nigel Wright pour savoir ce que le premier ministre sait de l’aide fournie à M. Duffy. Le chef de cabinet lui répond ceci : «The PM knows, in broad terms only, that I personally assisted Duffy when I was getting him to agree to repay the expenses.» (Le premier ministre sait, en termes généraux seulement, que j’ai personnellement aidé Duffy alors que je le persuadais de rembourser les dépenses.)

Donc, le premier ministre savait quelque chose, mais quoi?

Le plan

Ces efforts pour manipuler les apparences ont duré des semaines, et à la lecture des courriels, on constate que plus le temps filait, plus tout ce beau monde semblait être trop aveuglé par leurs considérations stratégiques — sauver la face du gouvernement — pour réaliser le manque d’éthique du stratagème.

Alors que le premier ministre prétend sans rire que le Sénat est indépendant, des employés du BPM se réuniront avec les sénateurs LeBreton, Tkachuk et Stewart Olsen pour diluer les conclusions d’un rapport sénatorial, du jamais vu selon l’adjoint de Mme LeBreton. Il sera le seul à protester contre cette ingérence de l’exécutif dans les affaires du Sénat.

Cela ira loin. M. Wright demandera au sénateur Irving Gerstein de s’enquérir, auprès de ses contacts au sein de la firme Deloitte, de l’avancement de sa vérification dans le dossier Duffy, et si celle-ci pourrait être interrompue advenant qu’il rembourse. Leur espoir était que tout s’arrête, ce qu’ils n’ont pas obtenu. Mais on parle ici d’une vérification demandée par le Sénat… et que le bras droit du premier ministre espère faire avorter.

M. Harper esquive toujours les questions qui portent sur ces rapports, le rôle du sénateur Gerstein et du reste de son bureau. Il tente toujours de limiter la discussion au chèque de 90 000 $ et d’en jeter le blâme sur deux personnes — toujours les mêmes —, soit MM. Duffy et Wright.

Mais trop de gens de son entourage sont mêlés à cette affaire pour qu’il puisse s’en laver les mains. Il demeure responsable de son personnel et des gens en qui il met sa confiance. Et puis, feindre la totale ignorance n’a rien de crédible ni d’honorable.

Et s’il ne feint pas — s’il est à ce point ignorant de ce qui se passe dans son bureau —, c’est encore pire. Et cela a de quoi inquiéter…

Les commentaires sont fermés.

Comme vous le dites si bien, il y a du grenouillage et s’il y en a ; c’est bien parce qu’il y a beaucoup de gens qui gravitent autour du Premier ministre. Est-ce que le Premier ministre doit-il obligatoirement être au-courant de tout ce qui gravite autour de lui ? Je penserais que non. Est-ce que le fait même que monsieur Harper ait pu ignorer le détail et les dessous de cette histoire, l’exempte totalement de ses responsabilités comme Premier ministre ? Je ne penserais pas !

Ce qui me chagrine, c’est le manque de transparence dans toute cette saga. Ce qui est lassant, c’est l’incapacité manifeste de la part de monsieur Duffy de ne pas reconnaitre ses faiblesses ; de ne pas avoir conclu d’entente sérieuse avec le bureau du Sénat pour parer au remboursement des sommes qui lui ont été allouées en trop.

À moins d’avoir d’excellents motifs pour justifier que ces sommes perçues en surplus ne sont aucunement dues. Toute personne normale appartenant au commun, prendrait dans les meilleurs délais, une telle entente pour régler le problème.

Dans ce cas, je relève que monsieur Duffy dispose d’un ego et d’une personnalité assez surdimensionné merci ; tandis qu’il se perçoit de facto assez au fait des secrets de son parti et des « petites affaires de l’État » pour penser qu’il peut disposer d’une sorte de traitement de faveur. Faire usage ici du mot : « privilégier » pour le définir, ne me semble pas en cette occurrence déplacé.

En d’autres mots, je dirais que tout ce monde s’adonne ici au jeu de : « Je te tiens, tu me tiens par la barbichette, etcetera…. »

Mon opinion est que quel qu’ait été le niveau d’instruction de monsieur Harper dans ce dossier, tout cela n’exempte pas pour autant monsieur Duffy de ses responsabilités. Ni plus, la responsabilité de monsieur Duffy n’exempte pas le Premier ministre Harper de devoir assumer pleinement son entière et pleine imputation.

Je ne peux déplorer qu’une fois de plus, le public est pris entre le marteau et l’enclume, témoin indiscret et muet d’affaires qui définitivement ne contribueront pas à restaurer le confiance des citoyens envers tous les politiciens. Lorsque pour un personnage qui souhaite s’illustrer dans l’histoire, ce sont souvent les détails qui assoient les réputations.

— Quoiqu’il en soit, si nous nous référons aux prévisions de votre collègue Stéphane Gobeil, tout cela n’empêchera pas monsieur Harper en 2015, d’être réélu haut la main 🙂

Laissez-moi deviner…

Vous êtes Conservateur? Ou un de leurs nombreux employés en « communications » (1500 et plus)?

Belle tentative de distraction mais la réalité c’est que cette affaire n’est que la pointe de l’iceberg criminel pour tout ce qui touche Harper et ses Conservateurs « moralement purs » : Arthur Porter, Peter Penashue, « Pierre Poutine », Saulie Zajdel, « In & Out », Tom Flanagan, Bruce Carson, Bev Oda, Rahim Jaffer, Tony « Gazebo » Clement, etc.

@ Daniel S :

Votre sens de la divination est absolument prodigieux ! Comment vous y prenez-vous pour autant d’infaillibilité ? Prenez garde quoiqu’il en soit de vous étourdir avec cette avalanche de noms propres.

Une petite question tout de même : est-ce que vous lisez régulièrement ce blogue ou êtes-vous simplement de passage ?
Bonjour chez-vous !

Harper le savait. Harper sait tout. Il contrôle toute l’information qui sort de son cabinet et est au fait de tout ce qui se trame autour du Sénat. Harper ne passerait pas le test du polygraphe mais comme tout autre politicien, il va nier, nier jusqu’à ce qu’une preuve irréfutable vienne prouver le contraire et encore là, il sera bien démentir. C’est une des tâche première d’un politicien de devenir «teflon».