Au NPD de saisir sa chance

C’est l’impasse sur la scène fédérale entre conservateurs et libéraux, indiquent les sondages, à l’heure où les deux partis éprouvent des difficultés à se sortir du pétrin. Les néo-démocrates n’auront pas meilleur contexte pour se distinguer.

montage : L’actualité

La semaine passée à Ottawa, libéraux et conservateurs ont tour à tour fait la une des journaux pour de bien mauvaises raisons.

D’un côté, trois députés conservateurs ont pris le temps, malgré leur horaire chargé, de rencontrer la politicienne allemande Christine Anderson, de dîner avec elle et de se soumettre à une séance photo à ses côtés.

Pour ceux qui ne la connaissent pas, il s’agit d’une membre réputée de l’AfD du Parlement européen, AfD étant le sigle d’Alternative für Deutschland (Alternative pour l’Allemagne) — un parti politique populiste d’extrême droite souvent lié aux mouvements nationalistes blancs, et que l’Office fédéral allemand pour la protection de la Constitution a classé comme organisation extrémiste l’année dernière (voir l’article du magazine Der Spiegel ici).

Lorsque les photos de Leslyn Lewis (Haldimand–Norfolk), Colin Carrie (Oshawa) et Dean Allison (Niagara Ouest) souriant et dînant avec Mme Anderson ont fait le tour des médias sociaux, le chef conservateur, Pierre Poilievre, a publié un court message où il affirmait que les députés avaient rencontré celle-ci sans savoir qui elle était et ce que sa formation politique représentait.

Cette déclaration a depuis été contestée par ceux qui ont organisé la rencontre. Apparemment, Mme Lewis et compagnie savaient très bien à qui ils avaient affaire.

De l’autre côté de la Chambre des communes se trouve le gouvernement libéral, qui jour après jour depuis une semaine est éclaboussé par des enquêtes du Globe and Mail portant sur des fuites du Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS). Ces fuites concernent des allégations d’ingérence de la Chine lors des dernières élections fédérales. Selon le Globe, l’ingérence chinoise aurait joué en faveur d’une poignée de candidats libéraux au détriment de leurs rivaux conservateurs. Bien que les allégations fondées sur des fuites de renseignements secrets ne doivent pas être considérées comme des preuves d’actes criminels, on aurait pu penser que le premier ministre et son entourage ne minimiseraient pas de tels propos au sujet de la légitimité de notre système démocratique.

Pourtant, M. Trudeau s’est empressé de rejeter les appels à une commission d’enquête publique sur l’ingérence chinoise plus tôt cette semaine, allant même jusqu’à affirmer que le racisme à l’égard des Canadiens d’origine chinoise était à la source de cette histoire.

Bien sûr, personne ne sait encore si ces événements feront bouger l’aiguille dans l’opinion publique. Les sondages fédéraux réalisés en février nous indiquaient que libéraux et conservateurs se trouvaient toujours séparés de quelques points à peine dans les intentions de vote au pays.

Que disent les chiffres ? Récemment, la maison Ipsos a dévoilé ses nouvelles données fédérales et le moins que l’on puisse dire, c’est que ces chiffres nous sont étrangement familiers : libéraux et conservateurs obtiennent tous deux 33 % des appuis à l’échelle nationale, tandis que le NPD arrive loin derrière avec 18 %.

Les découpages régionaux d’Ipsos ne sont pas non plus surprenants pour ceux qui suivent les chiffres de près depuis quelques années. En Ontario, Ipsos mesure une mince avance des libéraux (37 %) sur les conservateurs (34 %). Le NPD demeure en troisième place avec 21 % des appuis dans la province.

Au Québec, les chiffres d’Ipsos ne montrent aucun mouvement d’opinion significatif par rapport aux tendances récentes : les libéraux obtiennent 35 % des appuis, le Bloc québécois se situe à 30 % et les conservateurs restent en troisième position avec 20 %.

Ailleurs au pays, les libéraux sont en tête dans les provinces de l’Atlantique, les conservateurs demeurent dominants dans les Prairies et les deux partis sont à égalité statistique en Colombie-Britannique. Compte tenu de la nature de notre système électoral, les résultats régionaux sont cruciaux pour déterminer quelle formation est projetée en tête sur le plan des sièges. Et si l’on se fie uniquement au sondage d’Ipsos, les libéraux garderaient sans aucun doute l’avantage sur le PCC.

Évidemment, les chiffres d’Ipsos ne sont qu’une pièce du puzzle. Parmi les sondeurs de renom qui ont publié des résultats de sondage en février, Léger accordait un avantage de trois points au PCC sur les libéraux (35 % contre 32 %), tandis qu’Abacus Data enregistrait une avance plus notable pour les conservateurs : 37 % contre 29 % pour les libéraux.

Il s’agit ici d’un exemple typique de pourquoi il faut consulter de multiples sources, en ce qui concerne les sondages, pour avoir un portrait plus juste. Dans le graphique ci-dessus, notons que les chiffres des principaux partis présentent chaque fois un écart de quatre points d’un sondage à l’autre : les conservateurs se situent entre 33 % et 37 %, et les libéraux entre 29 % et 33 %. D’un point de vue strictement statistique, il ne s’agit pas de désaccords spectaculaires — si l’on considère que les appuis aux partis hors des compagnes électorales sont des cibles en mouvement constant.

Mais dans une vraie élection, avec notre système électoral uninominal à un tour, il y a un monde de différence entre une égalité PLC/PCC à 33 % et une avance de huit points pour le PCC. De tels chiffres produisent des scénarios radicalement distincts.

Les données d’Ipsos se traduiraient par une victoire minoritaire des libéraux, tandis que celles d’Abacus placeraient les conservateurs en position de force, et même à portée d’un gouvernement majoritaire. Quant aux chiffres de Léger, nous aurions une quasi-égalité dans le total de sièges, et probablement que ni le PLC ni le PCC ne pourrait atteindre le seuil des 170 sièges sans obtenir l’appui du Bloc québécois.

Rappelons que tous ces chiffres ont été récoltés avant la publication des photos embarrassantes pour les conservateurs et les multiples histoires d’ingérence chinoise (ainsi que le déni apparent de Justin Trudeau). Nous surveillerons de près si ces histoires influenceront l’opinion publique.

Un observateur extérieur pourrait penser que cela constitue une chance unique pour une troisième option de s’élever et de changer la donne à son avantage contre deux partis en difficulté. Ne s’agit-il pas d’une occasion en or pour le NPD de se distinguer du lot ? Le chef Jagmeet Singh battra-t-il le fer pendant qu’il est chaud ou maintiendra-t-il l’entente qui le lie aux libéraux et qui n’a, à ce jour, aucunement profité à son parti en ce qui a trait au soutien populaire ?

La formation de gauche n’aura peut-être jamais de meilleure occasion d’ici les élections pour faire croître ses appuis. Si l’aiguille ne bouge pas en sa faveur dans un tel contexte politique, l’état-major néo-démocrate devra sans doute se soumettre à un examen de conscience.

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