Dominic Vallières a, pendant plus de 10 ans, occupé les postes d’attaché de presse, de porte-parole, de rédacteur de discours et de directeur des communications auprès d’élus de l’Assemblée nationale et des Communes (Parti québécois, Bloc québécois, Coalition Avenir Québec). Il est directeur chez TACT et s’exprime quotidiennement comme analyste politique à QUB radio.
Il y a eu beaucoup de critiques concernant la mesure la plus médiatisée du budget 2022-2023 déposé mardi par le ministre des Finances, Eric Girard, soit ce fameux remboursement de 500 dollars destiné à 94 % des contribuables québécois.
Geste électoraliste, mal calculé, mal ciblé ? On peut certes exprimer des réserves à l’endroit de la mesure ou de son application, mais dire qu’elle arrive comme un cheveu sur la soupe, voilà qui relève de la caricature. Un budget, c’est le point culminant de milliers d’heures de discussions qui commencent longtemps avant son dépôt, un exercice heureux pour un gouvernement qui se retrouve avec des marges de manœuvre, comme c’est le cas actuellement (et malheureux, à l’inverse…).
Le tout débute avant le Nouvel An. Si les détails sont établis plus tard, le ministre des Finances, conscient des possibilités qui s’offrent à lui après avoir pris acte des comptes de l’État, va s’enquérir des orientations du premier ministre. Ils choisissent ensemble la couleur de l’encre du crayon. C’est probablement à ce moment qu’a été prise la décision d’augmenter considérablement les investissements en santé, en éducation et en enseignement supérieur, et un peu moins partout ailleurs. Puis, le ministre s’informe des besoins respectifs de ses collègues : il leur demande dans quel programme il faut investir, selon leurs échos du terrain, ou encore quels sont les nouveaux chantiers nécessaires.
Le ministre des Finances, qui suit l’actualité comme vous et moi, va aussi les questionner en ce sens : « Tel groupe a-t-il besoin d’un réinvestissement, comme il le demande ? » Ces groupes, sans le savoir, font beaucoup parler d’eux dans la capitale nationale.
Le même manège démarre ensuite avec les députés. Ils peuvent appuyer le propos d’un collègue ministre ou d’un autre. « Oui, nous avons besoin de places en garderie, comme le dit le ministre Mathieu Lacombe. Oui, notre école est vétuste, comme l’affirme Jean-François Roberge. » Plus les députés se montreront convaincants, plus ils pourront faire pencher la balance au profit des ministres qui réclament du financement. Il en va de même avec les porte-paroles de l’opposition en matière de finances, qui viennent présenter les espérances de leurs partis respectifs.
En parallèle s’ouvre le processus externe de consultations. Le ministère des Finances fait mettre en ligne un microsite où un groupe peut directement déposer des mémoires, consultables par tous. On trouve parfois dans ces mémoires des idées qui feront leur chemin jusqu’au budget, mais plus souvent des idées qui prendront la sortie vers les programmes électoraux des partis d’opposition.
Plusieurs acteurs de la société civile qui soumettent un mémoire seront interrogés par le cabinet du ministre, afin de vérifier la validité d’un chiffre ou d’un autre. D’autres, moins nombreux, rencontreront le ministre lui-même. Pour eux, ce sera déjà un bon signal pour la suite des choses.
À partir de février vient l’heure des choix et des arbitrages. Des ministres, députés et groupes ont bien démontré la nécessité d’investir dans tel ou tel programme, mais l’argent ne pousse pas dans les arbres. Jusqu’où voudra aller le gouvernement ? Cette question peut avoir une réponse différente dans un budget de l’an 1, 2, 3 ou 4 d’un mandat. Cette année, ce budget montre que la CAQ poursuit son recentrage, elle qui souhaite ouvertement devenir un grand parti qui se bat contre les extrêmes, avec Québec solidaire à gauche et les conservateurs à droite.
À preuve : la CAQ, qui n’avait pas de plateforme environnementale en 2018, vient d’augmenter d’un milliard de dollars le financement du Plan pour l’économie verte. Et alors que la formation ne croyait pas au modèle des CPE, elle a augmenté de 256 millions le financement du réseau pour l’année 2022-2023. Peut-on imaginer la CAQ de 2018 bonifier l’aide aux organismes communautaires de 36 % en quatre ans ? Poser la question, c’est y répondre.
L’exercice du dépôt du budget n’est que le début. Bien des mesures seront dévoilées dans les prochaines semaines. Sous le langage bureaucratique obscur du discours du budget que prononce le ministre des Finances à l’Assemblée nationale, dans des tournures comme « répondre aux besoins de certaines collectivités, notamment par la mise en place de différentes mesures et stratégies gouvernementales », se trouvent, bien cachées, de nombreuses annonces beaucoup plus sexys… à être faites dans les mois qui viennent. Qui s’adonnent à précéder une élection générale.
Un montant forfaitaire de $500 pour 2022 n’a d’effet que sur l’année 2022. C’est exactement comme les montants forfaitaires accordées en lieu et place d’une augmentation salariale lors de négociations des travailleurs avec les patrons. L’année qui suit ,elle, continue sur sa flambée inflationniste sans rattrapage possible, et les citoyens restent aux prises avec un manque à gagner perpétuel qui se traduit par l’augmentation du niveau de pauvreté. C’est un cercle vicieux dont on ne sort pas, c’est un pansement sur une jambe de bois.