Ce qu’il faut savoir sur la crise actuelle en Centrafrique

La Centrafrique traverse actuellement la plus grave crise de son histoire. Les affrontements — qui ont causé une centaine de victimes durant la première semaine de mai seulement — deviennent récurrents dans ce conflit, qui prend une trajectoire particulièrement inquiétante… tandis que la réponse internationale, d’un point de vue tant humanitaire que sécuritaire, n’est pas à la hauteur des enjeux.

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Photo : AFP / Getty Images

La Centrafrique traverse actuellement la plus grave crise de son histoire. Les affrontements communautaires, qui ont causé une centaine de victimes la première semaine de mai seulement, deviennent récurrents dans ce conflit, qui prend une trajectoire particulièrement inquiétante. La réponse internationale, d’un point de vue tant humanitaire que sécuritaire, n’est pas à la hauteur des enjeux.
Politique

Un «angle mort» stratégique

Territoire marginalisé pendant la colonisation française, la Centrafrique devenue indépendante a rarement figuré à l’ordre du jour international, sauf pour le tristement célèbre sacre de l’«empereur» Bokassa, en 1977.

Sous perfusion financière depuis des décennies, ce pays détient la deuxième espérance de vie la plus faible du monde, soit 48 ans. Les richesses naturelles — en particulier minières — sont considérables dans ce pays ; néanmoins, elles sont mal-exploitées et elles financent en partie le cycle des rébellions armées, qui s’est intensifié depuis les années 1990.

Selon l’organisme International Crisis Group, ce pays connaît une double tutelle depuis son indépendance : postcoloniale et régionale.

L’ingérence de la France dans les affaires intérieures du pays ont longtemps frisé la caricature. Les manifestations les plus évidentes de cette tendance : l’opération «Barracuda», destinée à renverser Jean-Bedel Bokassa, en 1979, puis la gestion de l’État centrafricain assurée par un ancien agent de la Direction générale de la sécurité extérieure française (DGSE) pendant 13 ans.

Tutelle régionale, aussi, du fait que le désengagement progressif de la France a laissé un vide dans lequel les pays de la sous-région se sont engouffrés. À tel point qu’au moment des affrontements pour la prise du pouvoir, en 2002 — dont François Bozizé sortit vainqueur —, on a observé, pêle-mêle, des forces tchadiennes et libyennes (de même que des rebelles congolais) qui s’affrontaient à Bangui, la capitale.

Malgré les signaux d’alerte, la communauté internationale n’a réagi que tardivement à la profonde crise que connaît la Centrafrique.

La fragilité du pays et la porosité de ses frontières posent aussi un problème régional. En effet, ce pays est proche de nombreuses zones conflictuelles, comme le Darfour (au Soudan) et le bassin de Doba (au Tchad), ou encore l’Ituri, en République démocratique du Congo.

Séléka et anti-balaka

Alliance hétérogène de groupes en conflit avec le pouvoir central, la rébellion Séléka — dont les forces militaires sont majoritairement du nord-est du pays — a foncé sur Bangui en décembre 2012.

Le renversement du régime de François Bozizé, dans un contexte de paupérisation et d’insécurité croissantes, n’était plus qu’une question de jours lorsqu’une médiation régionale a permis la mise en place d’un plan de paix prévoyant un gouvernement d’union nationale. Mais cet accord, qui n’a été respecté par aucune des parties, devint caduc en mars 2013 : la Séléka renversa définitivement le pouvoir de Bozizé, qui a alors fui le pays.

Jusqu’en janvier 2014, Michel Djotodia, le président du gouvernement de transition et l’un des leaders de la Séléka, a tenté de stabiliser la situation. Mais ses propres forces, responsables de nombreuses violences et d’autant d’actes de vandalisme sur le territoire, n’avaient aucun contrôle sur la situation.

Contraint à la démission par la France et les acteurs régionaux, il a laissé sa place à la première femme chef d’État de Centrafrique, Catherine Samba-Panza. Fortement espérée par Paris, elle a été élue au second tour — face au fils de l’ancien président, André Kolingba — par le Conseil national de transition. Son élection a suscité d’immenses espoirs, mais la réalité de la situation a rapidement pris le dessus.

En réponse au chaos sécuritaire (qui atteint son paroxysme en 2013), des milices d’autodéfense villageoises appelées «anti-balaka» se sont formées, en particulier pour défendre les communautés chrétiennes victimes des exactions de la Séléka. Des personnes qui appuyaient l’ancien président ont aussi rejoint ces forces.

Aujourd’hui, ces différents groupes anti-balaka et ex-Séléka sont au cœur de la violence qui gangrène le pays. Les anti-balaka jouent le «match retour» (pour reprendre l’expression employée par l’archevêque de Bangui) en s’attaquant aux communautés musulmanes, ce qui provoque un exode massif des populations musulmanes vers les pays voisins.

C’est ainsi que ces hostilités prennent une trajectoire particulièrement dangereuse. D’un conflit entre divers groupes pour l’accaparement de l’État, il glisse vers un conflit à caractère confessionnel.

Avec 567 000 déplacés internes et 2,5 millions de personnes qui nécessitent une assistance, la crise sécuritaire a amené une crise humanitaire sans précédent.

L’insécurité empêche les organismes d’aide de se déplacer dans de nombreuses zones du pays. Médecins sans frontières (MSF) a réduit ses activités lorsque trois de ses membres ont été impliqués dans une attaque qui a fait 16 victimes dans un hôpital du nord-ouest du pays.

Une réponse internationale qui n’est pas à la hauteur des enjeux

La Mission internationale de soutien à la Centrafrique sous conduite africaine (MISCA) est la mission de maintien de la paix de l’Union africaine depuis juin 2013. Elle est l’héritière des différentes opérations placées sous l’autorité de la Communauté économique des États d’Afrique centrale (CEEAC), de 2008 à 2013, et de la Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale (CEMAC), de 2002 à 2008.

Les pays membres de cette force (qui compte aujourd’hui environ 6 000 hommes) sont principalement le Burundi, la République du Congo, le Gabon, le Rwanda et le Tchad, même si ce dernier a récemment retiré ses troupes — réputées proches des ex-Séléka et accusées par les Nations Unies d’avoir tiré sur des civils à Bangui.

L’opération Sangaris, qui compte aujourd’hui environ 2 000 hommes, a été lancée par la France en décembre 2013 en soutien de la force de l’Union africaine, alors qu’une offensive anti-balaka faisait craindre le pire pour les populations civiles.

Depuis ce temps, la France cherche un appui de la part de ses partenaires européens, mais il s’est avéré très difficile de mobiliser les États membres.

Néanmoins, après d’âpres négociations, l’opération Eufor-RCA de l’Union européenne a pris forme le 10 février dernier, et elle devrait compter 800 hommes sur le terrain d’ici juin. Cette opération se concentre actuellement sur la sécurisation de Bangui, la capitale. Le contingent qui compte le plus grand nombre de militaires est en provenance d’un pays qui n’est… pas membre de l’Union européenne, soit la Géorgie.

Le 10 avril dernier, le Conseil de sécurité de l’ONU a adopté la résolution 2149 portant création de la Mission multidimensionnelle intégrée de stabilisation des Nations Unies en République centrafricaine (MINUSCA). Cette force de maintien de la paix, qui possède une dimension militaire au mandat très élargi, a été durement négociée, faisant face aux réticences des membres du Conseil de sécurité quant aux coûts d’une telle opération. Elle devrait totaliser 12 000 hommes en se reposant principalement sur les forces de la MINUSCA, mais elle ne se déploiera officiellement qu’à partir du mois de septembre.

Cette réponse internationale illustre la progression du nombre d’opérations de paix, qui compteraient plus de 120 000 casques bleus déployés à travers le monde.

Néanmoins, les organisations non gouvernementales internationales — qu’elles soient humanitaires, comme Médecins sans frontières, ou axées sur les droits de l’homme, comme Human Rights Watch et Amnistie internationale — rappellent que les moyens mis en œuvre actuellement en Centrafrique pour assurer la protection des populations civiles sont bien en dessous des défis. Avec 8 000 hommes positionnés en ce moment dans un pays d’une superficie équivalente à celle de la France, et des forces de sécurité centrafricaines quasi inexistantes, comment pourrait-il en être autrement ?

Vingt ans après le Rwanda, les leçons du passé n’ont été que partiellement apprises.

Maxime Ricard, chercheur en résidence
Observatoire sur les missions de paix et opérations humanitaires
Chaire @RDandurand @UQAM

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À propos de la Chaire Raoul-Dandurand

Créée en 1996 et située à l’Université du Québec à Montréal (UQAM), la Chaire Raoul-Dandurand en études stratégiques et diplomatiques compte plus de 30 chercheurs issus de pays et de disciplines divers et comprend quatre observatoires (États-Unis, Géopolitique, Missions de paix et opérations humanitaires et Moyen-Orient et Afrique du Nord). On peut la suivre sur Twitter : @RDandurand.