Le 4 juillet dernier, la Cour fédérale invalidait une décision du gouvernement conservateur de réduire les soins de santé aux demandeurs d’asile de certains pays. Depuis 2012, Ottawa ne finançait plus les traitements de dentiste et les soins pour la vue. Suivant le tribunal, cela constitue un traitement cruel.
Tandis que le gouvernement Harper en appelle de ce jugement, certains conservateurs ruent dans les brancards. Le député Larry Miller et le sénateur Bob Runciman ont étalé leur mécontentement dans les médias. Ils accusent en substance les tribunaux de jouer le rôle des élus.
Selon M. Runciman, le traitement réservé aux réfugiés est trop généreux, plus en fait que celui dont bénéficient les citoyens canadiens, lesquels n’ont pas accès gratuitement aux traitements de dentiste ou aux soins pour la vue. Cette situation aurait pour effet de gonfler les fausses demandes d’asile politique en provenance de certains pays, d’où la décision du gouvernement.
Force est de reconnaître ici que se faire soigner les yeux et visiter le dentiste ne constituent pas des droits. Ceux qui s’opposent à la décision du gouvernement Harper n’ont qu’à voter contre les conservateurs à la prochaine élection. Quant aux juges qui prennent ce genre de décision, Messieurs Runciman et Miller ont raison de dire qu’ils devraient quitter la magistrature et faire de la politique.
Ce n’est pas la première fois que les conservateurs se plaignent de la Charte, du pouvoir des tribunaux ou du multiculturalisme. Avant son arrivée au pouvoir, Stephen Harper disait qu’être conservateur voulait dire «être quelqu’un qui voulait abolir la Charte des droits». Durant la campagne électorale de 2005, il a défendu la clause nonobstant qui permet à un gouvernement, sous certaines conditions, de maintenir en place une loi qui a été invalidée par les tribunaux en vertu de la Charte.
Les libéraux de Paul Martin proposaient que le gouvernement fédéral renonce à cette disposition. Suivant Stephen Harper, il importait que les élus du peuple puissent tenir tête aux tribunaux. Il s’agissait d’une question d’équilibre.
Neuf juges renversent la majorité
Par la suite, les conservateurs ont gagné trois élections successives et, en 2011, ils ont raflé une majorité, notamment en faisant campagne sur la loi et l’ordre.
Quelques semaines après cette victoire, la Cour suprême renversait une de leurs décisions visant à fermer un centre expérimental d’injection supervisée à Vancouver. L’accès à une piquerie, aux frais des contribuables, est ainsi devenu un droit fondamental dans notre pays.
En décembre 2013, le plus haut tribunal récidivait, cette fois sur la question des bordels. Selon les juges, l’interdiction de ceux-ci constitue aussi une autre violation des droits de la personne. Tenir une maison close est à ajouter à la liste toujours plus longue des droits reconnus chez nous en vertu de la Charte.
On peut être pour ou contre ces jugements. Reconnaissons toutefois une chose : la majorité a élu les conservateurs. Ces derniers sont contre les piqueries et les bordels, ce qui n’a pas empêché neuf personnes non élues d’infirmer d’un coup de baguette magique ces décisions prises démocratiquement.
Malheureusement, Stephen Harper n’est pas cohérent devant de tels affronts des tribunaux. S’ils pensent vraiment que ceux-ci abusent de leur pouvoir, comme on peut le supposer, ils devraient utiliser la clause nonobstant et outrepasser la décision d’une poignée de juristes.
Manque de constance et de courage
On peut citer d’autres exemples de ce manque de constance. En 2012, les bleus ont refusé de célébrer le 30e anniversaire de la Charte des droits, ce que le premier ministre avait justifié en disant que cet événement avait divisé le pays.
Un an plus tard, cependant, quand l’ancien gouvernement péquiste souhaitait faire adopter une charte de la laïcité, les ténors fédéraux ont tiré à bout pourtant sur ce projet… en s’appuyant sur la Charte des droits. Le gouvernement Harper promettait d’en contester ainsi la légalité.
La logique des péquistes, qui envisageaient d’utiliser la clause nonobstant, est pourtant la même que celle des conservateurs. Les élus peuvent prendre ce genre de décision. Les juges ne doivent pas toujours avoir le dernier mot.
On pourrait multiplier les exemples où les bleus disent une chose une journée et le contraire peu de temps après. L’incohérence, les convictions à géométrie variable et le manque de courage ne sont pas des qualités prisées par les électeurs.
Cette semaine, le ministre Denis Lebel promettait de sillonner le Québec en vue de la prochaine élection. Avec cinq sièges dans la province et 25 % des appuis, selon le dernier sondage pancanadien — derrière néo-démocrates et libéraux —, les conservateurs ont désespérément besoin de redorer leur image.
S’ils étaient restés plus fidèles à leurs idéaux, les conservateurs auraient pu ratisser bien plus large au Québec, où l’on compte beaucoup d’électeurs opposés à la Charte, au multiculturalisme et au gouvernement des juges. Cet appui potentiel leur fera cruellement défaut lors de la prochaine élection.
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À propos de Frédéric Bastien
Frédéric Bastien est professeur d’histoire au Collège Dawson et l’auteur de La Bataille de Londres : Dessous, secrets et coulisses du rapatriement constitutionnel. Il détient un doctorat en histoire et politique internationale de l’Institut des hautes études internationales de Genève.
40% des suffrages, ce n’est pas une majorité. La majorité des Canadiens n’ont PAS voté pour les conservateurs. Dans ce contexte, la balance des pouvoirs s’exerce de manière tout à fait appropriée.
Les néo-conservateurs péquistes, devant une victoire majoritaire du PQ, planifiaient d’inviter les nationalistes à voter Harper en 2015. Un livre avait été écrit à cet effet par un ex-député péquiste. MBC lui avait consacré une chronique visant clairement à préparer le terrain en ce sens.
Comme les idéologues font rarement de bons stratèges, se dissocier des valeurs conservatrices décentralisatrices canadiennes c’est aussi faire preuve d’incohérence. Le discours de droite aurait pourtant besoin de soutien dans ce Québec gauchiste.
Depuis la défaite du PQ le 7 avril ces défenseurs de la Charte ont dû revoir leur stratégie. L’incohérence de Harper n’a d’égale que leur propre incohérence.
Avec la charte islamophobe ils ont soufflé sur les braises de l’intolérance et ce faisant, ils n’ont pas su prévoir le risque d’un réveil de l’antisémitisme latent au Québec.
L’appui à la Charte qui exploitait la menace islamique était artificielle.. cet appui s’est vite évanoui devant la menace PKP.. et devant le conflit israélo- palestinien.
Et d’ailleurs, tant qu’à traiter d’incohérence, comment arrivez-vous à expliquer que des « exclusifs » donnent leur appui à la Palestine??.
En tant qu’amis d’Israël affichés, la timidité des conservateurs péquistes à les défendre est pour le moins étrange encore mieux « incohérente ».
Alors quand M. Bastien reproche à Harper son incohérence devant le refus d’accorder aux indépendantistes le recours à la clause nonobstant dans le dossier de la « présumée » charte de la laïcité, nous au Québec nous ne pouvons que faire le constat de combien on l’a échappé belle!
Comme le soulève Éric Michaud la balance des pouvoirs s’exerce de manière tout à fait appropriée car Harper n’a obtenu que 40% des suffrages.
Le gouvernement des juges c’est la marotte des néo réactionnaires conservateurs qui s’apprêtaient, alors au pouvoir, à saborder les institutions du régime monarchique constitutionnel de la fédération canadienne dont ils refusent la légitimité pour le Québec…
Ils vivent la France par procuration.. Cette France en déroute.. Et dans leur pays fantasmagorique c’est le régime républicain à la française qui les inspire.
L’être humain étant ce qu’il est, c’est justement à l’intérieur du système juridique canadien, lequel système les indépendantistes qualifient de gouvernement des juges, que les citoyens se retrouvent les mieux protégés..
C’est dans les situations qui sèment le plus la controverse que les juges sont appelés à intervenir dans l’interprétation de ce qui peut contrevenir ou pas à la Charte des droits et libertés.
Les juges sont là pour protéger les citoyens de la ligne de parti qui colore les gouvernements élus.
Je refuse de vivre dans un pays dont la destinée reposerait sur les décisions arbitraires d’un seul homme, qui plus est, d’affaires… alors que dans leur incohérence les conservateurs péquistes proclament qu’un État ne se gère pas comme une entreprise!!!..
Je précise.. c’est que la chronique présente est clairement anti-Harper.. alors qu’un PQ majoritaire semblait s’enligner pour encourager à voter conservateur car l’élection du PLQ majoritaire à Ottawa en 2015 aurait eu pour effet de ramener certains pouvoirs à Ottawa.
Maintenant la donne a changé.. et la stratégie aussi.
Il y a deux erreurs de fait dans cette article. 1. Les conservateurs ont gagne 40 pourcent des votes dans la derniere campagne, non une majorite. 2. Le sondage cite montre que les conservateurs sont en deuxieme position, non troisieme.
C’est faux de dire que la majorité a voté pour les Conservateurs. En mai 2011, ils ont obtenu environ 40% des votes, ce qui fait que 60% des gens n’ont pas voté pour les Conservateurs, ça ressemble à une grosse majorité qui ne voulaient pas d’eux. Si l’opposition n’avait pas été divisée entre le NPD et les Libéraux, ils auraient peut-être perdu.
Harper dirige un gouvernement majoritaire parce qu’il a su utiliser les technicalités de notre système électoral et concentrer son vote dans des circonscriptions ciblées, abondamment courtisées avec un habile clientélisme, qui lui ont permi de rafler une majorité de sièges à la Chambre des Communes.
Maintenant sur la question des juges. Notre système électoral donne un pouvoir pratiquement dictatorial au dirigeant d’un gouvernement majoritaire. Le seul contrepoids qui reste encore à son pouvoir, après l’amputation sévère subie par Statistiques Canada et le musèlement des scientifiques à l’emploi du gouvernement canadien, et j’en passe, est celui de la Cour Suprême. C’est pourquoi les Conservateurs la haïssent férocement. Et c’est pourquoi il faut protéger jalousement la Cour Suprême, spécialement contre Harper qui cherche un moyen de s’en débarasser et, en attendant, tente d’y nommer des juges correspondant à son idéologie, et cela au mépris total des règles.
Jusqu’ici, nous avons eu une grande chance – aucun de nos dirigeants n’a tenté d’établir une dictature. Depuis que Harper est en poste, il prend tous les moyens pour le faire. Il n’a pas fait plus jusqu’ici parce qu’il ne se fout pas encore complètement de s’aliéner la population. Si on continue à l’élire, je suis sûre que ça viendra.
Cela m’inquiète beaucoup. Surtout qu’aucun candidat d’opposition ne me paraît de taille à le battre. Les libéraux ont repris du poil de la bête, mais que donnera Justin LaGaffe en campagne? J’ai peur d’y penser.
Votre raisonnement est plutôt primaire et ne tient pas la route. D’abord, les juges sont nommés par les politiciens et suivent souvent la ligne de parti sauf quand le parti déraille et ambitionne. D’ailleurs, la majorité des décisions des juges s’alignent avec la loi et les décisions du Parlement – ce n’est qu’une petite minorité des décisions judiciaires qui abrogent une loi ou un article de loi.
Mais là où vous déraillez c’est quand vous écrivez que les juges ont décidé que l’accès à une piquerie est un droit fondamental ou encore de tenir un bordel. Vous devriez lire les jugements: dans les 2 cas les politiques gouvernementales mettaient en danger la vie des gens – d’une part en ce qui a trait aux gens qui sont accroc aux drogues il était prouvé que l’on pouvait sauver bien des vies si ces gens se piquaient dans un endroit où on pouvait leur fournir des soins médicaux et, d’autre part, il était démontré que les personnes s’adonnant à la prostitution étaient à plus grand risque d’être les victimes d’agressions et de meurtres si elles étaient forcées de mener leurs activités dans la rue, sans aucune protection. C’est le droit à la vie qui est un droit fondamental, pas le droit aux piqueries ou aux bordels.
Pour en revenir à l’affaire des soins de santé aux demandeurs d’asile, il s’agit d’un juge de première instance et le jugement ira en appel – faudrait attendre de voir la décision finale, probablement même de la Cour suprême du Canada, avant de s’exciter – en attendant, le gouvernement peut facilement faire suspendre l’effet de ce jugement et ce pourrait être « business as usual ».
On vit dans une démocratie où il y a un équilibre, aussi précaire soit-il, entre les pouvoirs judiciaire, exécutif et législatif. Or, en vertu de notre système bancal, le parti au pouvoir qui est « majoritaire » (en nombre de sièges et pas de votes) contrôle l’exécutif et le législatif – il ne reste que le pouvoir judiciaire pour contrebalancer les pouvoirs du parti gouvernemental et le jour où les juges vont arrêter de faire leur travail, nous serons entrés dans une dictature où le PM sera comme un monarque de droit absolu. Aujourd’hui on a au moins un petit dictateur qui se fait barrer la route de temps en temps par l’autre « pouvoir ».
Autre chose à souligner qui cloche dans votre raisonnement: le peuple n’a pas toujours raison et la loi de la majorité (même si une majorité avait voté conservateur) n’est pas absolue. C’est pour ça qu’il y a des constitutions et des conventions internationales qui protègent les droits des individus et des collectivités. Ce n’est pas parce que la majorité élirait un gouvernement raciste et intolérant que ça légitimerait l’action de ce gouvernement et la protection des droits des minorités ne dépend pas du bon vouloir d’une majorité mais de la constitution et des droits humains internationaux.
Si par exemple un parti politique prônait l’assimilation et la disparition des peuples autochtones au Canada et que la majorité des Canadiens votaient pour ce parti, ça ne légitimerait en rien l’action de cet éventuel gouvernement et le pouvoir judiciaire aurait le devoir de faire respecter la constitution, la règle de droit et les droits humains fondamentaux en empêchant ce gouvernement de violer les droits des peuples autochtones.
Les partisans conservateurs peuvent bien ruer dans les brancards et vilipender ce qu’ils prétendent être le « gouvernement des juges » il n’en reste pas moins que quand leur « gouvernement » abuse des droits des gens et viole la constitution (dont la charte des droits fait partie), il n’est que normal que les juges interviennent et annulent ces dispositions illégales. Ces partisans n’ont qu’à s’en prendre à eux-même, à leur idéologie et à leur parti s’ils violent les droits des autres.