Vice-président de l’agence de relations publiques TACT, Pascal Mailhot a gravité dans les hautes sphères comme conseiller politique au cabinet du premier ministre du Québec successivement pour Lucien Bouchard, Bernard Landry et François Legault. Il a aussi occupé différents postes de cadre supérieur dans le réseau de la santé, notamment à l’hôpital Maisonneuve-Rosemont à titre de porte-parole.
Accès à un médecin de famille, activités aux urgences, délais pour les interventions chirurgicales… En quelques clics, les Québécois peuvent désormais prendre le pouls du réseau de la santé en consultant un tableau de bord mis en ligne par le gouvernement. Une bonne quarantaine d’indicateurs permettent d’évaluer la performance par secteur, auxquels s’ajoutera bientôt le degré de satisfaction des usagers.
Des heures de plaisir pour les amateurs de statistiques !
C’est l’occasion entre autres de remettre les pendules à l’heure. Prenons par exemple le fameux temps supplémentaire obligatoire (TSO). Faites un test : demandez à n’importe qui de tenter, selon ses impressions et ce qui ressort du discours public, d’en évaluer la proportion dans l’ensemble du réseau de la santé. On vous dira 20 % ? Ou 30 % ? Réponse : en date du 25 février 2023, le taux se situe précisément à… 0,11 %. On parle ici du total des heures travaillées dans le réseau. Mais étant donné que le problème touche essentiellement les urgences, soyons de bon compte en isolant ce secteur : le taux s’établit alors à 0,61 %.
Qu’en est-il maintenant de la fameuse main-d’œuvre indépendante, dont l’utilisation est jugée abusive partout dans le réseau ? En date du 25 février 2023, le tableau de bord montre qu’elle correspond à 5,35 % du total des heures travaillées, une proportion en forte hausse depuis le début de la pandémie de COVID-19. Cela dit, on est à des années-lumière de pouvoir affirmer que « la plupart des infirmières sont rendues en agence ». C’est pourtant ce que prétendait l’infirmière Annie Fournier à l’émission Tout le monde en parle du 22 janvier 2023.
Les petits caractères
La décision de rendre accessible au public ce tableau de bord montrant la performance du réseau de la santé vient directement du ministre de la Santé, Christian Dubé. Il faut savoir que ce dernier carbure aux données. L’univers mental de ce comptable de formation est essentiellement composé de chiffres — un peu comme le code vert qui défile dans le film-culte La matrice. Des indicateurs de performance (ou KPI en anglais, pour key performance indicators) permettent de mesurer l’atteinte de résultats.
Certes, le portrait de la situation actuelle n’est pas très flatteur, mais « les Québécois sont mûrs pour se faire dire les vraies choses », croit le ministre. « Même si les résultats sont difficiles en ce moment, bien on est mieux d’être transparents », expliquait-il en mai en entrevue avec La Presse.
Parmi tous ces indicateurs, l’accès à la première ligne est sans contredit la principale variable dans l’équation complexe que représente la performance du réseau de la santé. En 2018, la CAQ s’était engagée à ce que tous les Québécois aient un médecin de famille. Le tableau de bord montre qu’au 30 juin 2022, le nombre de personnes « inscrites à un médecin de famille » s’établissait à 6 446 550. Par contre, la liste d’attente contenait encore plus d’un million de Québécois. On était loin du compte.
Mais voilà qu’au moment de présenter son « Plan santé », il y a un an, le ministre annonçait viser plutôt désormais à garantir à tous les Québécois l’accès à un « professionnel de la santé », par exemple une infirmière praticienne ou un pharmacien. La nuance est importante. Voyons pourquoi.
L’inscription des « patients orphelins » à un groupe de médecine familiale (GMF) plutôt qu’à un médecin de famille était un « gros changement de paradigme », comme dit le ministre. Une entente de principe avec la Fédération des médecins omnipraticiens du Québec a alors été négociée pour réduire de moitié la liste d’accès d’ici le 31 mars 2023. L’objectif a été atteint avant la date prévue, à la grande satisfaction de Christian Dubé, qui y voit la preuve de l’efficacité du Guichet d’accès à la première ligne (GAP), un nouveau mode d’accès déployé depuis l’an dernier.
D’un peu moins de 6,5 millions, le nombre de personnes prises en charge grimpe soudainement à 6 813 343. Dans le tableau de bord, le pourcentage de la population ayant accès à un service de première ligne, qui s’établissait à 78,2 % à la fin février 2022, s’envole autour de 90 %. Quelle est l’explication de cette hausse fulgurante ? Il faut lire les petits caractères sous le graphique : « Les personnes éligibles au Guichet d’accès à la première ligne (GAP) sont désormais incluses dans le calcul. »
On joue avec les chiffres, d’une certaine manière, mais il reste que des milliers de Québécois peuvent maintenant consulter un professionnel de la santé lorsque cela s’avère nécessaire. C’est donc une bonne nouvelle.
Principe d’émulation
Au moment de dévoiler son fameux tableau de bord, Christian Dubé disait vouloir rejoindre deux publics : la population, qui disposera d’une information fiable sur l’état du système de santé, mais aussi les gestionnaires du réseau, qui verront les performances des établissements publiées et comparées entre elles. « Ce n’est pas drôle, quand tu es un PDG, de te faire dire : regarde, les listes d’attente augmentent, les délais en chirurgie ne sont pas bons », estime le ministre, pour qui cette nouvelle « compétition entre PDG » aura un effet positif sur la gestion du réseau.
Voyons si ce processus d’émulation par lequel les plus forts tirent les plus faibles vers le haut portera les fruits escomptés. En l’absence de résultats, la CAQ pourrait payer un fort prix aux prochaines élections.
Car un peu comme dans La matrice — où le personnage de Neo (incarné par Keanu Reeves) est constamment aux prises avec des agents en costume, munis d’une oreillette et de lunettes de soleil —, le ministre et les autres décideurs du réseau de la santé sont désormais traqués par des tableaux de bord publics, lesquels seront impitoyables dans l’évaluation de leur performance. Et le citoyen ne prendra sans doute pas la peine de lire les petits caractères au bas du contrat électoral.
Votre article est intéressant. Mais dois-je comprendre que vous croyez que les données non souhaitées ne devraient pas être dévoilées au public parce qu’elles constituent le deuxième tranchant ? N’est-on pas favorable à la vraie transparence, pas juste celle qui fait notre affaire ?
Comme citoyen on souhaite évidemment tous une vraie transparence de la part des gouvernements, ce qui hélas est loin d’être la norme pour toutes sortes de bonnes ou de mauvaises raisons. C’est ce qui rend ce tableau de bord intéressant. Et c’est ce qui fait du ministre de la Santé est un politicien atypique.
Mettre les PDG en compétition pourrait avoir aussi un effet pervers sur l’atteinte de chiffres favorables de leurs parts soit tenter de faire du volume au détriment de la qualité des soins, Dieu nous en garde! Si le manque de personnel, limite le nombre de lits ouverts, les chirurgies, les hospitalisations et l’urgence en souffriront et les indicateurs de performance chuteront par le fait même. À mon avis les indicateurs de performance devront tenir compte des particularités populationnelles de la région, de l’éloignement des régions et de leurs difficultés à recruter et maintenir le personnel suffisant ainsi que de la disponibilités et accès à des médecins spécialistes alors là la joute sera un peu plus équitable.