Il s’est écrit beaucoup de choses sur la réforme de la santé du ministre Christian Dubé. Sur la taille du projet de loi — 308 pages et un millier d’articles, qui modifient 35 lois. Sur la création de l’agence Santé Québec, qui devra gérer les services.
Sur les listes d’attente et le nombre de patients par médecin. Sur la gouvernance et les structures. Sur tout ce qui ne guérira pas le système, selon les critiques, ou qui l’assouplira, selon ses partisans.
Mais bien peu de choses ont été écrites sur la question budgétaire. Parce qu’officiellement, la réforme n’a pas pour objectif de freiner la hausse des coûts du système.
L’explosion des coûts n’est pas un cliché. Selon les données du ministère des Finances, le budget du ministère de la Santé et des Services sociaux est passé de 22 milliards en 2004 à 59 milliards en 2023. L’exercice a ses limites, évidemment, mais quand même, si la somme allouée avait suivi la courbe de l’inflation, elle serait plutôt de 33 milliards actuellement.
Le dernier budget du ministre Éric Girard allonge encore 5,6 milliards sur cinq ans pour déployer le plan du ministre Dubé, censé rendre le système « plus performant » et « plus humain ».
Les critiques ont noté que la croissance des dépenses, à 7,7 % cette année, reste sous l’inflation de l’an passé. Sauf que les augmentations annuelles des années précédentes ont largement dépassé l’inflation. Avec quels résultats, sinon encore plus d’attente ?
L’autre question, c’est la part du fédéral. Historiquement, elle a déjà atteint 50 % des dépenses des provinces en santé qui provenaient des transferts d’Ottawa. Avant que ne surviennent les compressions majeures du milieu des années 1990 pour retrouver l’équilibre budgétaire — d’où l’expression « pelleter le déficit dans la cour des provinces ».
La part du fédéral a glissé progressivement à 22 %, selon les provinces, qui réclamaient un illusoire retour à 35 % pendant les dernières négociations avec Ottawa. Le gouvernement de Justin Trudeau a finalement accordé des transferts de 46 milliards sur 10 ans, à peu près ce qu’il avait promis en campagne électorale (21,5 milliards sur 5 ans).
Généreux ? Pas nécessairement. En 2004, Paul Martin avait donné 41 milliards sur 10 ans. En reprenant l’imparfaite comparaison en dollars d’aujourd’hui, la somme dépasserait les 61 milliards en 2023.
La plus récente entente avec Ottawa, adossée à l’inflation, prévoit une indexation minimale de 5 % pour les cinq prochaines années. Une bonne nouvelle si le coût de la vie s’adoucit, mais ce n’est pas garanti.
Voilà pour l’avalanche de chiffres, mais ils sont clairs : Ottawa ne sauvera pas le budget de la santé. Et un système qui accapare bien au-delà de 40 % du budget, aux dépens des autres missions de l’État, n’est pas viable.
Le ministre Dubé n’a pas abordé l’explosion des coûts dans sa réforme. Son message, c’est que le problème n’est pas l’argent, mais la gestion. Il reste qu’à la lecture de la réforme, on sent un début de réflexion.
Par exemple, le passage de 136 tables de négociations syndicales à 4, une façon de généraliser les offres du gouvernement dans ses prochaines négociations. Plus c’est large, moins il y a de place pour des mesures particulières coûteuses.
On comprend aussi que le recours à la sous-traitance sera facilité. De là les accusations que la réforme serait un cheval de Troie pour le privé. Or, la loi fédérale sur la santé oblige les provinces à assurer la gestion publique, l’intégralité, l’universalité, la transférabilité des soins de santé et leur accessibilité partout au pays.
Au fil des décennies, on a interprété les clauses fédérales comme une obligation de bâtir un corpus de travailleurs de l’État pour chaque aspect du système. Avec la lourdeur de gestion et les coûts qui viennent avec.
Or, s’il respecte les cinq piliers de la loi fédérale, le recours accru à la sous-traitance pourrait être un moyen privilégié pour freiner l’explosion des coûts. À condition d’éviter le modèle de dernier recours, comme avec les agences d’infirmières.
Enfin, la simple numérisation des dossiers sur une plateforme universelle pour les professionnels de la santé devrait faciliter la prise en charge des patients et les suivis. Les médecins, considérés comme des travailleurs autonomes, devraient même y trouver un avantage en allégeant la paperasse.
Quant à la question de la rémunération des médecins — du paiement à l’acte à celui par capitation —, elle reste entière. Cela semble un tabou sur lequel aucun ministre de la Santé n’a réellement voulu se pencher depuis 25 ans, hormis quelques réflexions ici et là, notamment de la part du prédécesseur de Christian Dubé, Gaétan Barrette.
Le dépoussiérage du système de santé et sa mise à niveau au XXIe siècle font à peu près consensus. L’efficacité revient moins cher à moyen et à long terme — comme le démontrent les systèmes de santé les plus reconnus au monde (Corée du Sud, Danemark, Suisse, Taïwan).
Le ministre Dubé fait un premier pas plutôt notable. Reste l’autre enjeu, moins tangible, qui permettrait des économies majeures à moyen et à long terme : la prévention. Elle demeure cruellement absente de la réforme.
En mars 2022, l’Assemblée nationale adoptait une motion pour placer la prévention au cœur du système de santé. Plus on prévient la maladie, moins on devra la traiter. Les gestes concrets se font attendre, et le programme de vaccination contre le zona apparaît presque comme une anecdote.
Pourtant, s’il y a de l’argent à épargner, c’est bien là.