Comment se tisse un budget du Québec

Si certains milieux — culturel, environnemental ou agricole — sont parfois déçus ou surpris après le dépôt du budget du gouvernement québécois, cela dépend grandement d’un numéro de « danse à claquettes », que raconte notre collaboratrice, ancienne ministre. 

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Députée libérale à Québec de 2007 à 2022, Christine St-Pierre a été ministre de la Culture, des Communications et de la Condition féminine, de même que ministre des Relations internationales et de la Francophonie. Journaliste à Radio-Canada de 1976 à 2007, elle a été courriériste parlementaire à Québec et à Ottawa, puis correspondante à Washington. 

La période qui précède la présentation d’un budget est extrêmement stressante pour tous les ministres d’un gouvernement : ils espèrent que les plaidoyers qu’ils ont faits auprès du ministre des Finances porteront leurs fruits… Elle l’est aussi pour les titulaires de petits ministères, qui doivent arriver à se faire entendre à travers des collègues et des missions qui pèsent lourd, une tâche particulièrement difficile. 

Le jour J, certains auront de larges sourires. Si ce qu’ils ont demandé se retrouve dans la lecture du budget, la partie est gagnée : le signal est ainsi envoyé clairement au Conseil du Trésor, l’argent va suivre. Mais d’autres vont feindre les mêmes sourires : ils savent déjà que leurs suggestions n’ont pas été retenues. Les arbitrages ont été faits au bureau du premier ministre, et la cause est déjà réglée.

C’est donc en amont que tout se joue — en décembre et en janvier, essentiellement. Nous savons tous que la part du lion du budget va à la santé et à l’éducation, qui boufferont les deux tiers des sommes accordées. Mon ancien collègue ministre des Finances Raymond Bachand disait souvent : « Si la tendance se maintient, dans quelques années, 90 % du budget de la province ira dans ces deux missions de l’État. » Or, il y a beaucoup de personnes pour se partager le reste.

Pour les ministres des petits ministères — comme ceux de la Culture ou des Relations internationales —, il faut donc apprendre à jouer du coude si l’on espère tirer quelque chose d’un budget. Sinon, on devra se contenter de miettes, voire de rien du tout.

Dans l’espoir d’obtenir un résultat positif, il faut ainsi élaborer une stratégie et la déployer dans les semaines et les mois précédents.

On doit s’assurer d’être entendu du ministre des Finances — et tous les collègues ministres espèrent la même chose. À ce jeu, nous sommes tous en lutte pour recevoir une mince part du gâteau. 

Cela se joue à plusieurs niveaux. Si votre sous-ministre saisit bien son rôle, il aura déblayé le terrain avec son vis-à-vis des Finances. Il lui soumettra et testera des propositions. Votre chef de cabinet, de son côté, devra multiplier les rencontres, les échanges et même les 5 à 7 avec les attachés politiques du ministre des Finances pour bien faire comprendre le point de vue de son ministre.

Puis arrive le moment où il est primordial d’obtenir une rencontre en face à face avec le ministre des Finances lui-même. Je m’amusais à qualifier l’exercice de numéro de « danse à claquettes »…

En compagnie du sous-ministre et du chef de cabinet, c’est le moment culminant. Il faut convaincre, argumenter, plaider, raconter une histoire, démontrer avec des chiffres le bien-fondé des nouveaux projets. Il faut faire miroiter que le milieu que l’on représente attend avec impatience cet investissement, et surtout que le Québec sera gagnant. D’ailleurs, le cabinet aura bien pris soin d’aller chercher les critiques formulées par le milieu afin d’enrichir son argumentaire.

Ensuite, dans les jours qui précèdent le budget, les ministres sont invités individuellement au ministère des Finances. C’est l’heure de la réponse. Dans une salle ultra-sécurisée, ils peuvent prendre conscience de ce qui les attend. Avec son chef de cabinet, le ministre reçoit le texte de la version imprimée sur du papier rose. À partir de là, le sort en est jeté.

Récemment, dans une entrevue accordée à Radio-Canada, mon ancien collègue ministre des Finances Carlos Leitão admettait ressentir certains regrets relativement à l’ampleur des compressions budgétaires que lui et le président du Conseil du Trésor Martin Coiteux avaient imposées dans les premières années du mandat — surtout en éducation. Il faut se rappeler que les agences de crédit menaçaient le gouvernement du Québec d’une décote. 

Le ministère que je dirigeais avait failli être rétrogradé au rang de simple secrétariat. Un plan qui a heureusement été écarté par Philippe Couillard. Et comme tout peut changer vite en politique, le vent tournait l’année suivante : lors de la présentation du budget 2016-2017, Carlos Leitão annonçait officiellement que le ministère des Relations internationales et de la Francophonie obtiendrait 100 millions de dollars de plus sur cinq ans, et qu’une nouvelle politique gouvernementale internationale serait dévoilée, ce qui ouvrait la porte au redéploiement du réseau et à une nouvelle ère. 

Cette année-là, le petit papier rose avait été agréable à lire…  

Au-delà de ces jeux de coulisses entre ministres, la présentation d’un budget est un exercice minutieusement chorégraphié. La veille, le ministre des Finances se prête, tout souriant, à la traditionnelle prise d’images avec ses chaussures neuves. Rien ne doit filtrer. 

Le jour même, les journalistes s’engouffrent dans une salle pour étudier le document pendant de longues heures. Ils y sont confinés en compagnie d’économistes, de fiscalistes et de conseillers en communication du gouvernement. Des plateaux de télévision temporaires sont aménagés directement dans le grand hall du parlement, d’autres sont montés dans la salle de huis clos et pourront diffuser les émissions spéciales dès 16 h. 

À 16 h pile, le rideau se lève. Tous les députés et ministres sont rassemblés au Salon bleu. Dans les gradins, le gratin économique, municipal, social, culturel et scientifique du Québec est à l’écoute.

Le ministre des Finances prend la parole, salue avec émotion les membres de sa famille présents et entame la lecture de son très long discours. 

À mesure que le ministre lit son texte, son adjoint parlementaire a la tâche de lancer les applaudissements de l’équipe gouvernementale à des moments bien précis, indiqués par de petits émojis sur sa copie… Ne vous laissez pas berner par l’enthousiasme des uns et des autres, c’est en partie organisé !

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