Il n’a fallu que quelques heures après le jugement de la Cour suprême dans la foulée de la cause Éric c. Lola, en janvier 2013, pour que l’État québécois se montre ouvert à revoir son droit de la famille. Mais il aura fallu plus de 10 ans (et trois gouvernements) pour que se mette en place cette gigantesque réforme. Dont il manque encore un gros morceau.
« On y va par étapes, dit le ministre de la Justice, Simon Jolin-Barrette. Le droit de la famille, c’est immense. » Le gouvernement libéral de Philippe Couillard, qui avait reçu en juin 2015 un volumineux rapport d’experts (mandatés par le gouvernement péquiste de Pauline Marois) détaillant comment le réformer, avait d’ailleurs laissé tomber parce qu’il se demandait « par quel bout prendre ça », selon ce que le Cabinet du premier ministre avouait en 2016…
La stratégie du gouvernement Legault a été de diviser le chantier en deux volets, puis de sous-diviser le premier en deux. C’est ainsi que le projet de loi 2, allégé de plusieurs éléments, a été adopté en juin 2022, avant les élections. Les dispositions qui avaient été retranchées sont présentement à l’étude (projet de loi 12).
La réforme s’articule autour de la notion de l’intérêt de l’enfant, et ces deux premiers projets de loi (le volet 1) le touchent directement. Ils traitent notamment de filiation, de connaissance des origines, d’adoption, de grossesse pour autrui, de violence familiale, d’identité de genre… « L’idée est que tous les enfants, peu importe la façon et les circonstances dans lesquelles ils voient le jour, soient traités sur un pied d’égalité face à la loi », résume le ministre.
Pour terminer le dépoussiérage du code de la famille, qui n’avait pas été revu en profondeur depuis 1980, il reste donc un gros morceau auquel s’attaquer : celui de la conjugalité… précisément le thème central du jugement de 2013 sur la constitutionnalité du régime québécois des conjoints de fait, qui a mis un terme à la saga de deux personnes que les médias avaient baptisées Éric et Lola.
La Cour suprême avait conclu que le Code civil du Québec était discriminatoire envers les conjoints de fait parce qu’il ne leur accordait pas les mêmes droits qu’aux couples mariés, notamment concernant le partage du patrimoine. La Cour n’avait pas jugé anticonstitutionnelle cette discrimination, sauf que la juge en chef avait appelé le législateur (Québec) à corriger la situation — c’est-à-dire à revoir son droit de la famille. C’est la mission que le gouvernement Legault veut achever d’ici la fin de son mandat actuel.
« La conjugalité, c’est un volet très complexe, remarque Simon Jolin-Barrette. Ça touche beaucoup d’enjeux, notamment sur le plan fiscal pour les conjoints. » Au cœur de la réflexion, de grandes questions : les conjoints de fait qui sont parents doivent-ils avoir des obligations juridiques l’un envers l’autre après une séparation ? Quels effets juridiques doit-on rattacher au mariage ? Comment adapter le droit aux nouvelles réalités conjugales et familiales ?
« On ne peut pas, de nos jours, considérer la famille sur la base du seul lien matrimonial », dit Me Alain Roy, qui a présidé le comité ayant présenté le rapport de 2015, lequel guide la réforme actuelle. Et quand tout sera terminé, le professeur de droit, qui agit comme conseiller du ministre, rappelle… qu’il faudra continuer. « On doit se doter de mécanismes pour assurer la mise à jour constante des règles. »
Cet article a été publié dans le numéro de juillet-août 2023 de L’actualité, sous le titre « Quelle famille ? ».