Ce jeudi 28 février 2013, l’audience de confirmation des charges contre Laurent Gbagbo, Président de la Côte d’Ivoire de 2000 à 2010, prenait fin à La Haye devant la Cour pénale internationale (CPI). Cet événement était attendu avec impatience par toute la Côte d’Ivoire, en particulier ses anciens proches et les membres de son parti politique, le Front Patriotique Ivoirien (FPI).
Inculpation et défense
La décision d’une inculpation devrait suivre dans les semaines qui viennent. La procureure de la CPI, Fatou Bensouda, poursuit l’ancien chef d’État comme coauteur indirect d’environ 700 crimes. Laurent Gbagbo est accusé d’avoir élaboré une stratégie d’exactions avec un groupe de proches. Selon la poursuite, les crimes visaient les civils et relevaient d’une intention et d’un plan pour conserver le pouvoir après les élections de novembre 2010.
L’ancien président ivoirien est demeuré relativement silencieux depuis sa capture du 11 avril 2011, mais ce 28 février il s’est exprimé directement et brièvement à la Cour. Il a affirmé avoir lutté « pour la démocratie avec courage » depuis les années 1980, alors qu’il s’opposait au parti unique du Président Félix Houphouët-Boigny, et qu’il se retrouvait aujourd’hui devant la CPI parce qu’il avait respecté la Constitution ivoirienne pendant la crise postélectorale de 2010-11.
Il a également demandé à tous les Africains qui le soutiennent et « qui marchent pour la démocratie » qu’ils comprennent que le salut se trouve dans « le respect des lois et des Constitutions que nous nous donnons ».
Justice des vainqueurs?
Selon les tenants de la justice internationale, la CPI permet de faciliter la réconciliation des pays en situation de post-conflit. La justice internationale permettrait de faire éclater la vérité, ce que plusieurs chercheurs jugent comme un élément essentiel appuyant tout processus de réconciliation.
Mais tant la défense de Laurent Gbagbo que plusieurs Ivoiriens déplorent le fait qu’il soit le seul coupable, du moins le seul à la CPI, et surtout que seuls les membres du FPI soient ciblés tant par la justice internationale que la justice ivoirienne.
Un mandat d’arrêt international contre sa femme, Simone Gbagbo, a été émis, mais le gouvernement ivoirien n’y a pas encore répondu (elle est toujours détenue par la justice ivoirienne). Certains de ses proches, dont leur fils Michel et son « général » de la rue, Blé Goudé, ont été récemment arrêtés, d’autres sont détenus depuis déjà plus d’un an, alors qu’aucun membre des anciens rebelles ou alliés du président actuel, Alassane Ouattara, n’a été inculpé à ce jour malgré les nombreux témoignages et rapports incriminants.
Quelle réconciliation?
Il faudra encore du temps avant de savoir si Laurent Gbagbo sera formellement accusé. Et encore plus de temps, s’il l’est, avant de connaître le jugement.
Entretemps, la Côte d’Ivoire n’est pas sortie du bois. La réconciliation piétine. Les tensions perdurent. Les problèmes fonciers et identitaires s’entremêlent et le gouvernement ne fait rien pour les corriger.
Non seulement la justice à sens unique participe-t-elle à maintenir, sinon exacerber, les tensions et la polarisation de la société ivoirienne, mais les agissements des forces de sécurité du gouvernement Ouattara continuent de compromettre cette réconciliation.
Un autre rapport, cette fois d’Amnesty International, expose de nouveau les violations généralisées des droits humains perpétrées par les forces de sécurité, en particulier à l’encontre de partisans ou présumés partisans de l’ancien président Laurent Gbagbo (voir Côte d’Ivoire : la loi des vainqueurs Amnesty International, 26 février 2013).
Sans vouloir promouvoir l’impunité des responsables de la guerre et des crimes, il est difficile de voir comment le procès de Laurent Gbagbo à la CPI pourrait encourager la réconciliation en Côte d’Ivoire.
Directeur de l’Observatoire sur les Missions de paix et opérations humanitaires