Yan Plante est vice-président à l’agence de relations publiques TACT. Il est un ex-stratège conservateur ayant conseillé l’ancien premier ministre Stephen Harper lors de trois élections. Comptant près de 15 ans d’expérience en politique, il a également été chef de cabinet de l’ex-ministre Denis Lebel.
Le chef conservateur fédéral, Pierre Poilievre, affirme à qui veut l’entendre qu’il compte équilibrer le budget de l’État canadien, plafonner les dépenses et diminuer les impôts s’il prend le pouvoir à Ottawa.
Bien, mais comment ? Mystère.
Il est d’avis que le gouvernement Trudeau dépense tellement qu’il crée une pression à la hausse sur l’inflation — c’est pourquoi il parle sans cesse de « justinflation ». Selon le dernier budget Freeland, le déficit sera de 40 milliards de dollars pour l’année en cours, et se situera autour de 14 milliards de dollars en 2027-2028 (plutôt que l’équilibre qui était prévu dans la mise à jour de l’automne).
Or, dans l’hypothèse où Pierre Poilievre deviendrait premier ministre, l’exercice d’un retour à l’équilibre budgétaire accompagné d’une baisse d’impôts serait complexe à réaliser. Un premier ministre Poilievre voudrait à la fois plafonner ou réduire les dépenses, et diminuer les revenus de l’État. Cette double résolution augmente le niveau de difficulté.
Son engagement serait néanmoins bien accueilli par bon nombre de contribuables qui espèrent d’abord payer moins d’impôts, tout en observant un changement de cap avec les finances publiques à Ottawa.
Lors des prochaines élections, celui de Poilievre ou de Trudeau qui réussira à imposer le thème dominant de la campagne aura de meilleures chances de l’emporter.
Après trois mandats libéraux, un certain désir de changement sera en filigrane, et il est prévisible que Pierre Poilievre l’alimentera en attribuant tous les problèmes du pays à Justin Trudeau (M. Poilievre n’a pas attendu la campagne pour commencer ce travail…). Le chef libéral avait fait la même chose dans un contexte similaire en 2015 face à Stephen Harper. Cette recette est vieille comme le monde et est toujours utilisée parce qu’elle marche.
Conscient que cette discussion le désavantagera, Justin Trudeau voudra amener ses adversaires à livrer bataille sur un autre terrain, plus favorable pour lui : celui des valeurs, des choix de société, de la vision pour le Canada, ou encore celui de la stabilité économique, sociale et politique.
Il y aura inévitablement un contraste important entre les deux principaux adversaires sur la façon de gérer les fonds publics. Augmenter les taxes —comme celles des grandes entreprises ou celle sur le carbone (qui est en partie remboursée aux contribuables avec le paiement de l’incitatif à agir pour le climat, versé dans le cadre des déclarations annuelles de revenus) — et dépenser davantage pour offrir un soutien accru direct aux PME et aux individus continuera d’être au cœur de la vision des libéraux de Justin Trudeau.
Cette vision sera confrontée à l’approche plus austère (plus grand contrôle des dépenses) et aux baisses d’impôts des conservateurs de Pierre Poilievre. Le premier ministre a d’ailleurs commencé à tester des lignes d’attaque envers son adversaire conservateur la semaine dernière : en défendant son budget, il a demandé à Pierre Poilievre ce qu’il supprimerait s’il était premier ministre.
Cette tactique lui permet de signaler à l’électorat qu’un gouvernement conservateur risquerait d’éliminer des programmes populaires. Ce n’est qu’une première phase de la stratégie libérale, car d’ici aux élections, il faut s’attendre à ce que l’équipe Trudeau sorte toute la gamme des épouvantails. Plan dentaire, crédit d’impôt pour l’épicerie, aide aux familles, aide aux aînés, taxe sur le carbone, lutte contre les changements climatiques, réconciliation avec les Premières Nations : tout cela serait en péril si Pierre Poilievre devenait premier ministre, prétendront les libéraux.
Pierre Poilievre voudra surtout imposer le thème du changement de gouvernement, mais il devra expliquer comment il plafonnera les dépenses gouvernementales, et quels services écoperont.
La clé pour lui sera d’être très clair. Le flou génère des risques politiques importants. Prenons l’exemple du chef progressiste-conservateur de l’Ontario de 2009 à 2014, Tim Hudak. Lors des élections provinciales de 2014, il avait promis de sabrer 100 000 postes dans le secteur public afin de retrouver l’équilibre budgétaire après plusieurs déficits. Seule la santé aurait été épargnée et Hudak demeurait plutôt évasif sur les détails de son plan.
Ainsi, si vous travailliez en éducation, dans la fonction publique ou au sein d’une société d’État, vous compreniez que votre emploi était potentiellement en péril. Sans compter les bénéficiaires de ces services, qui pouvaient craindre les conséquences de ces coupes, comme les parents d’élèves en difficulté d’apprentissage. S’ajoutaient ensuite les amis et les familles des personnes qui se sentaient visées, ainsi que les électeurs qui étaient tout simplement effrayés par les effets de cette idée de grandeur. Ça faisait beaucoup de gens motivés à voter contre Tim Hudak.
Lorsqu’une formation politique s’engage à réduire ou à plafonner des dépenses, il est plus efficace de nommer clairement lesquelles. Ainsi, beaucoup moins de personnes auront l’impression d’être directement interpellées par le plan.
Pierre Poilievre a déjà mentionné qu’il voulait diminuer le financement de la CBC/Radio-Canada et le recours aux consultants externes. C’est à peu près tout, et ce ne sera pas suffisant pour mener les finances fédérales à l’équilibre.
Dans une élection serrée, le manque de clarté par rapport à une proposition aussi importante peut freiner les ardeurs d’électrices et d’électeurs qui auraient souhaité changer de gouvernement, mais qui opteront en fin de compte pour le statu quo devant l’incertitude provoquée par de mauvaises communications. Le niveau de clarté peut faire pencher la balance du côté d’une victoire ou d’une défaite.
Je suis un peu d’accord avec vous. Tous les fonctionnaires et le 40% de la population qui ne paient pas d’impôt sur leurs salaires resteront toujours en faveur d’une croissance des services publiques. Cela donne une majorité automatique aux partis de la gauche.
Par contre, déjà en 2019, 49% du revenu national était généré par le secteur publique. Cette proportion est probablement plus grande aujourd’hui, et est appelée à continuer à croître. Il faudrait le mentionner plus souvent. Voulons-nous continuer dans cette direction? Ne devrions-nous pas au moins changer le discours? Au lieu de continuer à puiser dans les ressources en effritement du secteur privé il faudrait plutôt mettre l’accent sur l’utilisation plus efficace des amples ressources du secteur publique.
Dernier commentaire, et malheureusement je n’ai plus les chiffres exacts pour m’appuyer. En 2030, selon le contrôleur général du Canada, quand on tient compte de l’impôt (car quelqu’un doit payer), seuls les 20% les plus pauvres de la population sortiront gagnant de la taxe sur le carbone, à raison de 200 $ par année, par famille. La famille moyenne de l’autre 80% devra payer plus que 4 000 $ par année. Alors, je ne sais pas comment vous faîtes pour dire que la taxe carbone va passer inaperçue.