L’auteur a travaillé pendant près de 20 ans sur la colline parlementaire à Ottawa, notamment à titre d’attaché de presse principal de Jack Layton, de secrétaire principal de Thomas Mulcair, puis comme directeur national du NPD. En plus d’agir en tant que commentateur et analyste politique, il est président de la Fondation Douglas-Coldwell et président de Traxxion Stratégies.
Le moment devrait être idéal pour une réelle percée du Parti vert. Le Canada a pulvérisé cet été son record de chaleur absolu, enregistré à Lytton, en Colombie-Britannique. Le mercure y a grimpé jusqu’à 49,5 degrés Celsius, 3 degrés de plus que le record précédent, qui datait des années 1930. Quelques jours plus tard, le village de Lytton était rayé de la carte par un feu de forêt. D’ailleurs, la moitié de la Colombie-Britannique est toujours la proie des flammes. Sans compter les incendies qui ont détruit des milliers d’hectares dans le nord de l’Ontario et du Manitoba, et qui ont causé des alertes de smog au Québec pendant plusieurs semaines.
Puis, au début août, le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) publiait un nouveau rapport qui prévoit un réchauffement d’au moins 1,5 degré d’ici 2030. Des phénomènes climatiques extrêmes prendront de l’ampleur : déluges et inondations, canicules et sécheresses. Comme en ont connu ces derniers mois l’ouest du continent, l’Europe, la Russie…
Bref, le Parti vert devrait être incontournable durant cette campagne. Mais personne ne parle de lui !
Pourtant, les choses allaient si bien il n’y a pas deux ans.
En 2013, les verts gagnent leur premier siège à l’assemblée législative de la Colombie-Britannique ; quatre ans plus tard, ils détiennent la balance du pouvoir et signent un accord pour appuyer un gouvernement néo-démocrate.
Au Nouveau-Brunswick, le Parti vert remplace le NPD comme troisième parti en 2014, avant d’obtenir une option sur la balance du pouvoir en 2018. Les verts percent également en Ontario, le chef Mike Schreiner s’y faisant élire en 2018. Après une percée en 2015 à l’Île-du-Prince-Édouard, les verts flirtent avec le pouvoir en 2019, étant en tête dans les sondages pendant trois mois, avant de voir les conservateurs les coiffer au poteau lors des élections d’avril. Tout de même, les verts forment l’opposition officielle à Charlottetown, une première au pays.
Au niveau fédéral, Elizabeth May siège au Parlement depuis 2011. En mai 2019, le Parti vert fait élire un deuxième député fédéral lors d’une élection partielle dans Nanaimo-Ladysmith. Les verts obtiennent un autre siège aux élections générales de 2019, à Fredericton, grâce à l’appui de plus d’un million de Canadiens.
Les verts enregistraient des gains constants et avaient le vent dans les voiles. Mais depuis, c’est le ressac.
En novembre 2019, la plus connue d’entre eux, Elizabeth May, a démissionné comme chef, même si elle demeure députée. Puis la pandémie a frappé, ce qui a relégué les enjeux environnementaux au second plan. La course à la succession de May, en plein confinement, a été terne avec des candidats plutôt inconnus. Annamie Paul a remporté la victoire à la limite des huit tours, avec à peine 50,63 % des voix.
Parmi tous les sujets qui ont retenu l’attention, la course à la direction a été marquée par… le conflit entre Israël et la Palestine. Depuis 2016, des militants propalestiniens poussent le parti à se positionner en appui au mouvement Boycott, Désinvestissement et Sanctions, qui vise à punir les entreprises israéliennes. Les débats sont houleux, le parti se déchire, les accusations d’antisémitisme et de sionisme pleuvent.
Le Parti vert a été en mode implosion tout l’été à cause de cet enjeu. La députée de Fredericton, Jenica Atwin, a quitté la formation pour se joindre aux libéraux, ce qui a remis en question le leadership de la chef recrue. Annamie Paul a survécu à une tentative de putsch en juin. N’empêche, elle n’a pas d’autorité sur son parti, qui a congédié son personnel à la veille de l’élection, tout en fermant les robinets de campagne !
Résultat : Annamie Paul ne fait pas campagne en traversant le pays, mais doit se concentrer sur la circonscription qu’elle vise, celle de Toronto-Centre. Les sondages indiquent que les électeurs considèrent Maxime Bernier comme un meilleur premier ministre potentiel que la chef des verts. Le programme du parti n’est toujours pas prêt, deux semaines après le déclenchement de la campagne. Annamie Paul a même déclaré au quotidien Toronto Star que si les gens voulaient en savoir plus sur le programme vert, ils pouvaient aller sur Google. Les candidats aux conseils étudiants du pays font mieux que ça !
L’autodestruction du Parti vert est donc causée en grande partie par le conflit israélo-palestinien. Pourtant, ce n’est pas l’enjeu clé de l’élection pour la grande majorité des Canadiens. Et c’est exactement une partie du problème des verts. On ne les entend pas parler des enjeux qui les ont installés sur l’échiquier électoral. D’ailleurs, la seule sortie marquante d’Annamie Paul depuis le début de la campagne a été… sur la crise en Afghanistan.
Les changements climatiques, l’énergie propre, le développement durable, le transport en commun et d’autres questions environnementales ont conduit les électeurs à donner aux verts la balance du pouvoir en Colombie-Britannique. C’est ce qui a amené les électeurs à remplacer le NPD en tant que troisième parti au Nouveau-Brunswick. C’est ce qui a amené les électeurs de l’Île-du-Prince-Édouard à en faire l’opposition officielle. Et c’est ce qui a amené les électeurs de l’Ontario à élire le premier député vert à Queen’s Park.
Un nombre record de Canadiens ont voté vert en 2019. Le bassin d’électeurs accessibles aux verts a atteint un sommet sans précédent. Et ce n’est certainement pas pour leur position sur Israël et la Palestine. Aujourd’hui, plutôt que de lutter contre le NPD pour lui voler le titre de « conscience du Parlement », le parti est de retour en queue de peloton, menacé de disparaître des Communes, luttant contre le Parti populaire du Canada pour la cinquième place. Un gaspillage désolant, à un moment charnière pour ceux qui s’inquiètent pour notre planète.