Pendant cette campagne, les sondages se suivent et se ressemblent sur au moins un point : la montée du Parti populaire du Canada (PPC) de Maxime Bernier. Cette formation qui n’avait obtenu que 1,6 % des voix en 2019 est désormais créditée d’entre 4 % et 8 % des intentions de vote, avec des pointes à 12 %. Cela diffère d’une maison de sondage à l’autre et d’une date à l’autre, mais la tendance est à la hausse.
Erin O’Toole doit-il s’en inquiéter ? Un peu, mais pas autant qu’on pourrait le croire. Car les électeurs du PPC ne sont peut-être pas tous issus d’une frange plus à droite du Parti conservateur du Canada (PCC).
Éric Grenier, qui tient l’agrégateur de sondages Poll Tracker du réseau CBC, a calculé qu’il y a 28 circonscriptions dans tout le Canada où les intentions de vote pour le PPC sont supérieures à l’écart entre celles pour le meneur et celles pour le candidat conservateur. En présumant que les partisans du PPC voteraient tous pour le Parti conservateur en l’absence d’un représentant du PPC, on peut alors tirer la conclusion que Maxime Bernier fait perdre 28 sièges à Erin O’Toole, soit 22 au profit des libéraux, 5 au profit du Nouveau Parti démocratique (NPD) et 1 au profit du Bloc.
Mais voilà ! Tous les analystes ne s’entendent pas sur la provenance des électeurs du PPC et sur leur comportement électoral si cette formation n’existait pas.
Frank Graves, président de l’institut EKOS, celui qui a systématiquement accordé le plus de votes au PPC dans ses coups de sonde, explique qu’environ 55 % des électeurs du PPC avaient voté conservateur en 2019 (ce qui représente quatre points de pourcentage perdus pour Erin O’Toole). Environ 20 % avaient déjà voté PPC. Une autre tranche de 15 % à 20 % d’électeurs n’avaient tout simplement pas voté, soit parce qu’ils étaient trop jeunes, soit parce qu’ils ne s’en étaient pas donné la peine. Seulement 8 % avaient voté pour le Parti libéral, le NPD, le Parti vert ou le Bloc québécois. Il ne fait aucun doute pour lui que le PPC fait mal au PCC.
« En admettant que l’appui soit à 6 % [et EKOS l’a déjà mesuré à 12 %], s’il retournait au Parti conservateur, Erin O’Toole se retrouverait en territoire gagnant, peut-être même en territoire majoritaire. »
Jean-Marc Léger, de la maison de sondage du même nom, est plus nuancé. Selon lui, seulement le tiers des électeurs du PPC proviennent des rangs conservateurs. Les répercussions pour Erin O’Toole sont donc mineures, à son avis. « J’ai posé la question aux électeurs ne votant pas libéral ou conservateur : « Si la lutte était très serrée entre les libéraux et les conservateurs, pour qui voteriez-vous ? » Seulement 30 % de ceux qui votent PPC disent qu’ils voteraient PC. Les autres ne voteraient pas. »
Le profil des électeurs du PPC est encore mal défini, mais on sait que ce sont des gens qui en général s’opposent au « système » et aux institutions. Selon Jean-Marc Léger, cela fait que ces électeurs sont beaucoup moins enclins à aller voter le 20 septembre prochain. On peut d’autant plus en douter qu’il faudra enfiler un masque pour accéder au bureau de scrutin. Or, les partisans du PPC s’opposent très majoritairement aux mesures sanitaires : c’est le moteur principal de ce mouvement. « Vont-ils le faire ? » se demande-t-il.
Par ailleurs, bien que le vote pour le Parti populaire soit assez uniformément réparti sur le territoire, il est plus concentré en zone rurale et particulièrement en zone rurale albertaine. Le PPC fait aussi bonne figure dans le Sud-Ouest ontarien. Or, en Alberta, les députés conservateurs ont tendance à remporter leur siège avec des résultats staliniens ! Quand on gagne avec 65 % du vote, on peut bien se permettre de perdre une dizaine de points sans être inquiété. De plus, la montée du PPC ne pourrait nuire que dans deux circonscriptions de la capitale.
Dans Edmonton Griesbach, par exemple, le conservateur Kerry Diotte a remporté son siège avec « seulement » 51 % du vote en 2019. Le NPD avait obtenu 25 % et le Parti libéral, 17 %. Dans Edmonton-Centre, James Cumming n’a eu que 41 % du vote, contre 33 % pour le libéral sortant Randy Boissonnault et 21 % pour le NPD. Frédéric Boily, qui enseigne la science politique à l’Université de l’Alberta à Edmonton, estime que ces deux sièges pourraient être menacés, mais à cause d’un double phénomène : certes, la montée du PPC, mais aussi celle du NPD. Il rappelle que dans la province, le NPD est une force politique vive. Après tout, le NPD y a bien formé le gouvernement de 2015 à 2019. L’insatisfaction d’une partie de la population envers la gestion de la pandémie par le premier ministre local Jason Kenney a propulsé les intentions de vote du NPD provincial et cela rejaillit sur le grand frère fédéral, dit le professeur de science politique.
En Colombie-Britannique, les courses à trois (entre le Parti conservateur, le Parti libéral et le NPD) sont très nombreuses. Néanmoins, pense Frédéric Boily, la remontée du PPC ne sera pas un facteur qui défavorisera les troupes d’Erin O’Toole. Car ces courses à trois ont surtout lieu dans la grande région de Vancouver, pas en région rurale où le PPC est susceptible d’être plus présent.
C’est donc probablement en Ontario que la montée du PPC pourrait faire le plus mal. En 2019, dans 22 circonscriptions, la course a été très serrée entre les libéraux et les conservateurs (16) ou entre les libéraux, les conservateurs et le NPD (6). Frank Graves croit pour sa part que le chef du Parti conservateur a évité le pire en prenant position contre l’obligation vaccinale sur laquelle fait campagne Justin Trudeau. « Beaucoup de militants ne sont déjà pas emballés par son recentrage sur les armes à feu, les changements climatiques, les sites d’injection supervisée ou les thérapies de conversion. Si Erin O’Toole avait appuyé le passeport vaccinal en plus, il aurait poussé le bouchon trop loin. Il a probablement réussi à récupérer ainsi une partie du vote du PPC. »