
Si l’ancien journaliste-vedette est jugé coupable, ce sera d’actes criminels auxquels la garde rapprochée du premier ministre a été directement associée.
Pour mémoire, ce n’est pas parce que les conseillers de Stephen Harper ont alerté la police que Mike Duffy est devant les tribunaux, sous le coup de 31 chefs d’accusation liés à ses dépenses comme sénateur, mais parce que les efforts qu’ils ont déployés pour étouffer l’affaire ont été ébruités.
Si les médias n’avaient pas eu vent que le chef de cabinet de Stephen Harper à l’époque, Nigel Wright, avait remboursé de sa poche les dépenses jugées excessives de Mike Duffy, personne n’en aurait entendu parler et celui-ci serait encore sénateur conservateur.
Avant de tomber en disgrâce, Mike Duffy était le meneur de claque en chef du Parti conservateur à l’extérieur du Québec. Qui sait s’il ne serait pas actuellement en train de préparer une tournée de promotion en vue des élections fédérales de l’automne ?
L’éventualité d’un acquittement n’est guère moins risquée pour le premier ministre. Si la Cour retient la thèse de Mike Duffy selon laquelle il n’a pas contrevenu aux règles, à géométrie variable, qui régissent le Sénat, Stephen Harper sera accusé, non sans raison, d’avoir fermé les yeux sur une culture systémique d’abus des fonds publics.
Les enquêtes judiciaires et administratives en cours et les témoignages entendus à la barre des témoins au sujet de l’absence systématique de rigueur dans la reddition de comptes au Sénat démontrent que l’affaire Duffy est une manifestation extrême d’un mal répandu.
Stephen Harper connaît par cœur le réquisitoire qui attend, en campagne électorale, un premier ministre vulnérable à des accusations d’aveuglement volontaire et de laxisme en matière d’éthique. C’est lui qui en a écrit la plus récente mouture. À titre de procureur en chef de l’opposition à l’époque du scandale des commandites, le chef conservateur avait été impitoyable à l’égard du premier ministre, Paul Martin.
Il avait martelé sans relâche le message selon lequel l’usure du pouvoir, après une décennie aux commandes, avait fait perdre le nord au gouvernement libéral sortant. Il avait accusé à répétition Paul Martin lui-même de négligence. Devant cette charge à fond de train, aucune défense libérale n’avait tenu la route.
Le bilan économique enviable de l’équipe Chrétien-Martin ; le réinvestissement de milliards de dollars en santé ; la négociation d’une entente historique avec les Premières Nations ; la prise d’engagements pour contrer les changements climatiques : rien de tout cela n’avait fait le poids.
Ce n’est pas faute d’avoir fait preuve de repentir. Du début à la fin de son règne de deux ans comme premier ministre, Paul Martin a parcouru le Canada à genoux pour mieux demander pardon.
Il s’est excusé à répétition pour les abus commis sous le couvert du programme des commandites. Il a écarté de son cabinet tout ministre susceptible d’avoir été associé même de loin à cette histoire. Il a mis sur pied une commission d’enquête pour aller au fond des choses. Il y a témoigné. Au bout du compte, la commission Gomery l’a blanchi.
Dans des circonstances analogues à celles qui ont coûté le pouvoir à Paul Martin, Stephen Harper a adopté une stratégie qui ne fait pas de place au mea culpa. À l’entendre, ou surtout à ne pas l’entendre, on pourrait croire qu’il n’est pas responsable du recrutement de tous les protagonistes de cette saga. Devant le marasme qui sévit au Sénat, il n’a, jusqu’à présent, proposé aucun correctif digne de ce nom.
Justin Trudeau a éjecté les sénateurs libéraux de son caucus. Il s’est engagé, s’il devient premier ministre, à dépolitiser le mode de nomination au Sénat. Le chef du NPD, Thomas Mulcair, voudrait abolir la Chambre haute. Même s’il sait pertinemment qu’il faudra un jour ou l’autre pourvoir les fauteuils vides au Sénat, Harper est muet sur la suite des choses.
Les conservateurs espèrent qu’à l’automne les électeurs feront aussi peu de cas de toute cette affaire que le premier ministre lui-même. Dans leur esprit, le repentir n’est pas une condition essentielle à l’obtention de l’absolution.
L’électorat punit ceux qui s’excusent et réélit ceux qui ferment les yeux (et la bouche) sur les abus… Faut dire que la base conservatrice n’est pas le genre à s’excuser et à présenter l’autre joue nonobstant leur évangélisme…
Je crois que vous faites une analyse très judicieuse de ce qu’est la réalité. Lorsqu’on s’excuse de quoi que ce soit, c’est en quelque sorte reconnaître sa culpabilité. Quoique je ne sois pas particulièrement du genre nostalgique, je trouve quand même que le Canada marchait mieux sous Chrétien et avec Paul Martin, malgré ces « misères » de commandites.
Les questions de dépenses admises pour les élus ou les représentants de diverses assemblées ne sont pas uniques au pays. La chose a aussi été relevée au Royaume-Uni notamment pour la Chambre des Lords. Et désormais toutes les dépenses des Lords sont rendues publiques. De la même façon, bien qu’en France on ait pris depuis plusieurs années des mesures correctives, certains points sont encore sous observation, notamment au Sénat. La bonne nouvelle cependant, c’est qu’on adopte périodiquement et encore récemment des corrections.
Ce qui effectivement me déplait, c’est que jusqu’à présent, le Premier ministre ne prend pas, comme vous le dites, des mesures destinées à apporter des corrections à l’institution. C’est une forme de laxisme qui est bien loin de l’image séduisante qu’Harper nous donnait il y a dix ans, d’un jeune postulant au poste de Premier ministre qui entendait… régulièrement rendre des comptes à la population.
Monsieur Harper rend des comptes uniquement aux banquiers et aux gens d’affaires.