Députée libérale à Québec de 2007 à 2022, Christine St-Pierre a été ministre de la Culture, des Communications et de la Condition féminine, de même que ministre des Relations internationales et de la Francophonie. Journaliste à Radio-Canada de 1976 à 2007, elle a été courriériste parlementaire à Québec et à Ottawa, puis correspondante à Washington.
Les dernières élections québécoises ont été marquées par une avancée historique des femmes à l’Assemblée nationale. Jamais les élues n’ont été aussi nombreuses et ne se sont autant rapprochées de la parité. Et pourtant.
Cette page de notre histoire collective a été malheureusement assombrie récemment par le refus du gouvernement de donner son accord à une motion du Collectif 8 mars, présentée par Québec solidaire et appuyée par le Parti libéral ainsi que le Parti québécois, afin de célébrer la Journée internationale des droits des femmes.
Étonnant paradoxe : plus féminine que jamais, l’Assemblée nationale n’aura pu souligner le 8 mars cette année… La déclaration du gouvernement — « ce n’est pas notre vision du féminisme ! » — pour justifier son refus d’adopter la motion du 8 mars à l’Assemblée nationale en a surpris plusieurs, et a lancé un débat plus clivant que rassembleur. Elle semble aussi contredire la Stratégie gouvernementale pour l’égalité entre les femmes et les hommes 2022-2027, rendue publique en juin dernier…
Le point d’achoppement se situait autour du terme « intersectionnel ». La motion demandait d’encourager l’analyse différenciée selon les sexes dans une perspective dite « intersectionnelle », ce qui veut simplement dire de tenir compte de la discrimination subie par les femmes à la lumière de différents critères, dont la race, la capacité physique, l’ethnicité, le statut socioéconomique. Le sigle consacré de cette approche est l’ADS+ (analyse différenciée selon les sexes plus), sorte de grande sœur de l’ADS.
Le terme ADS est connu et utilisé depuis longtemps. C’est un outil qui a été créé pour inviter les gouvernements à analyser leurs politiques, projets de loi et budgets en considérant les effets que ces décisions pourraient avoir sur les femmes. Le gouvernement du Québec l’a mis en œuvre en 2007 en marge de sa nouvelle politique gouvernementale Pour que l’égalité de droit devienne une égalité de fait. J’étais alors ministre de la Condition féminine, et je voyais dans l’ADS une grille essentielle qui permet de connaître les effets différenciés sur les hommes et les femmes à toutes les étapes du processus décisionnel de chacun des ministères et organismes. Est-ce facile de l’appliquer dans un lourd et lent appareil gouvernemental ? La réponse est bien entendu négative et la résistance s’avère profonde.
L’ADS+ est un pas de plus par rapport à l’ADS. Considérée comme une analyse plus fine des angles morts de la discrimination, elle est réclamée par plusieurs féministes.
Ce courant du féminisme intersectionnel a été reconnu à la fin des années 80 grâce à l’avocate afro-américaine Kimberlé Williams Crenshaw, qui définit l’intersectionnalité comme l’endroit où « la race s’entrecroise avec le genre pour produire des barrières supplémentaires pour les femmes noires ».
On peut mieux comprendre ce que cela veut dire avec l’exemple de l’ancienne cheffe du Parti libéral Dominique Anglade, ingénieure de formation. Elle rappelait souvent que ses débuts dans un milieu travail essentiellement masculin avaient représenté pour elle un triple défi : femme, francophone et noire. Elle décrivait parfaitement que même dans l’égalité, les femmes ne sont pas toutes égales entre elles et que certaines doivent se débattre encore plus fort que d’autres pour atteindre leurs objectifs.
Chez les femmes autochtones, la discrimination est aussi criante, et appliquer l’ADS+ serait plus que nécessaire. Le rapport final de l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées, publié à Ottawa en 2020, incluait 21 recommandations particulières pour le Québec. Ce document complémentaire insistait d’ailleurs sur l’importance d’adopter une approche intersectorielle pour comprendre les femmes et les filles autochtones. « Dans l’étude de la problématique de la violence faite aux femmes autochtones, il importe de prendre en considération toutes les identités en vertu desquelles elles se définissent et de prendre conscience de tous les facteurs qui peuvent agir en combinaison pour créer une discrimination amplifiée », pouvait-on y lire.
Il a aussi été établi que les femmes racisées hésitent à faire appel à la police et se sentent moins protégées. On pourrait faire le même constat chez les prostituées victimes de violence.
Le féminisme intersectionnel nous démontre par de nombreux exemples que ce courant de pensée n’entre pas en contradiction avec l’approche universaliste le plus souvent appliquée au Québec — qui se base sur l’universalité des droits de la personne tels que l’égalité, l’éducation, la santé, la liberté et la paix. Au contraire, tout peut très bien être complémentaire.
Or, la division que l’on voit à Québec depuis le dépôt de la motion affaiblit la cause et le but recherché, soit une plus grande égalité. Comment l’atteindre si on ne crée pas les outils pour que les femmes soient égales entre elles ?
Pour essayer de comprendre davantage ce qui s’était passé à Québec autour de la motion, j’ai demandé à la députée solidaire Ruba Ghazal si le gouvernement avait proposé un amendement, comme c’est souvent le cas avant le dépôt d’une motion, afin de parvenir à un compromis. « Non, le gouvernement voulait biffer toutes les références à l’intersectionnalité et n’a proposé aucun autre libellé », m’a-t-elle dit.
Je trouve tout cela étrange. Si nous lisons la Stratégie gouvernementale pour l’égalité entre les femmes et les hommes, on y retrouve pourtant écrite noir sur blanc la reconnaissance de l’importance d’analyser le bien-fondé de l’approche intersectionelle ADS+, en instaurant dans un premier temps des projets-pilotes. On peut d’ailleurs lire dans le document gouvernemental de juin 2022 : « L’ADS+ est une démarche d’analyse visant la mise en place d’initiatives publiques plus inclusives, dont l’objectif est l’atteinte de l’égalité de fait entre les femmes et les hommes de même qu’entre les femmes elles-mêmes. […] L’ADS+ reconnaît que les catégories “hommes” et “femmes” ne sont pas des blocs homogènes ».
Doit-on donc comprendre que la position gouvernementale constitue un recul par rapport à sa propre stratégie sur l’égalité ? Le gouvernement craint-il un affaiblissement de sa défense de la loi 21 sur l’interdiction des signes religieux actuellement devant la Cour d’appel du Québec ? Les opposants à cette loi demandent en effet à la Cour d’avoir une approche intersectionnelle, car les femmes qui sont le plus touchées sont les musulmanes qui portent le hidjab et/ou le niqab, fait notamment valoir la Fédération des femmes du Québec.
À sa décharge, la ministre responsable de la Condition féminine, Martine Biron, était à l’extérieur du pays lorsque tout cela s’est produit au Salon bleu. Peut-être n’a-t-on même pas pris le temps de la consulter ? Elle doit maintenant défendre son gouvernement.
Il faudra éclaircir tout cela. En attendant, c’est la première fois en 20 ans qu’une motion célébrant le 8 mars est rejetée à l’Assemblée nationale du Québec… Dommage.
Oh, comme vous êtes magnanime envers Martine Biron! et aussi toutes les femmes du partie de la CAQ. Non, elle n’est pas «obligé» de défendre son gouvernement, non, toutes les femmes du partie ne sont pas «obligés» d’accepté la chose. Comme journaliste aguerrie, vous auriez dû poser la question à quelque unes d’entre elle.C’est élémentaire. Et pour tout dire, l’intersectionnalité n’est pas l’appanage «exclusif» du féministe. Si Dominique Anglad méritait mieu, quel femme au partie libéral, s’est levée pour le dire haut et fort et publiquement? ce que je veux dire surtout c’est que l’égalité entre vous toutes, les femmes, ce n’est pas la responsabilité exclusive des hommes.
Vous avez raison. Les nouvelles féministes intersectionnelles dirigent leur hargne uniquement vers l’homme blanc occidental. Elles défendent les droits des femmes de demeurer soumises aux diktats de leur religion, cultures, sous prétexte que ce serait leur choix. Un choix d’endoctrinée. Au lieu d’aider la cause des femmes, elles nuisent et appellent au recul de nos droits.
Dans son texte sur la question dans Le Devoir du samedi 4 mars, Jean-François Lisée explique que le terme «intersectionnel» sert déjà d’arme à des opposants à la Loi 21 devant la cour suprême. Il explique aussi qu’il peut mener à des inégalités et à des absurdités. Bref, Jean-François Lisée nous dit que malgré son air innocent, ce petit mot aurait pu devenir lourd de conséquences si le gouvernement du Québec lui avait donné son aval officiel. Si ce n’est déjà fait, Mme. St-Pierre, je vous suggère lire le texte de M. Lisée.
En fait, si j’ai bien lu, le féminisme intersectionnel implique que nous ne pouvons pas parler au nom de personnes différentes de nous (âge différent, sexe différent, orientation différente). En ce sens, ce serait un manque de respect de leur idéologie que de parler en leur nom. Et donc le gouvernement ne devrait pas le faire. Les partis politique étant des instance qui parle au nom des individus, ils devraient donc logiquement être exclus du monde politique. Tout ça pour éviter de les offenser en parlant en leur nom. Aussi j’aimerais que quelqu’un me fournisse un dictionne de droits en fonction de notre, sexe, genre, orientation, ethnicité. J’aimerais être en mesure de savoir qui à droit de dire et faire quoi selon son sexe, genre et son ethinicité. C’est surtout pour respecter les nouvelles normes sociales qui sont mises en place pour éviter l’appropriation culturelle et que l’égalité de droits se manifestent dans une égalité de faits comme vous le souhaiter. Je veux aussi préparer mon fils pour éviter qu’il perde son emploi s’il dit un mot, ou pose un geste qui appartient à une autre catégorie d’humain que la sienne.
Vous avez raison. Et il est tout à fait ironique d’observer que les tenantes de l’intersectionnalité, souvent très caucasiennes et occidentales, se permettent, elles, de parler au nom des femmes de minorités auxquelles elles n’appartiennent pas, ce qu’elles voudraient interdire aux autres. Quelqu’un a prononcé le mot appropriation?
L’idée même du féminisme intersectionnel devrait impliquer que l’on dénonçat de façon différenciée et expresse la situation des femmes appartenant à des communautés où il est coutumier, culturel ou imposé par la religion de nier leur droit d’être femmes et féminines et où on tend à effacer leur image de la société.
Or les personnes qui défendent ce concept d’intersectionnalité sont bien souvent les mêmes que celles qui s’opposent à la loi 21 et contribuent ainsi à valider certaines traditions misogynes obligeant les femmes à porter en tout temps un foulard et à se cacher, alors que cette même loi, même si ce n’est pas sa visée, pourrait indirectement leur permettre de s’abstraire quelques heures de cette contrainte.
Ce faisant, les tenantes du féminisme intersectionnel défendent un féminisme à deux vitesses, où on tolère que certaines cultures machistes continuent d’inférioriser les femmes en leur imposant, sous prétexte d’une obligation religieuse dont bien des musulmanes elles-mêmes nient la véracité, des tenues qui ne font que rassurer leurs hommes et que des milliers de femmes dans le monde sont prêtes à mourir pour ne pas porter.
Où est la cohérence?
« Le gouvernement craint-il un affaiblissement de sa défense de la loi 21 sur l’interdiction des signes religieux actuellement devant la Cour d’appel du Québec ? Les opposants à cette loi demandent en effet à la Cour d’avoir une approche intersectionnelle, car les femmes qui sont le plus touchées sont les musulmanes qui portent le hidjab et/ou le niqab » /
VOILÀ !
C’est cela.
Rien d’autre.
Vous l’avez trouvé, madame; vous avez mis l’doigt « drett’ » dessus.
Au Québec, pour PM/Q en tout cas, importerait plus l’allergie au religieux
qui serait L’Obsession Q du siècle ?
qu’Équité toute ou sexuelle.
Obsession fille d’obstination. Ou inversement ou réciproquement.
On a vu ce « caractère » legaultien à propos tant de soit sa non-vue
ou son refus de reconnaissance de l’aspect éminemment systémique
du racisme
qu’eu égard aux maternelles 4 ans et aux maisons des aînés
(à propos desquelles, incidemment, y avait-il un beau titre ici
semaine passée : « Des maisons des aînés ou des aînés
dans leur maison ? »
[moi-même avais fait une ‘imploration’ en ce sens à la PM/Q
il y a dix ans, in La Tribune du 2 août 2013]).
Bref, le rejet systématique de la réalité du racisme systémique
comme de celle de l’Importance d’une reconnaissance d’intersectionnalité
ainsi que d’une nécessité d’appréhension ADS(+) pour être équitables et
justes…
font en sorte que ni égalité, ni équité, ni traitement véritablement juste
ne peuvent advenir à l’égard, plus particulièrement, de femmes autres
que ‘blanches’, etc. (les catégories sont identifiées en le commentaire
de Mme St-Pierre ci-dessus).
Cruches
La CAQ a un gros problème de langage qu’aucune orthopédagogue ne peut régler. La CAQ et se ministres n’arrivent pas à intégrer des mots tels que ‘systémique’ et maintenant ‘intersectionnel’.
À vouloir protéger les 42% d’électeurs qui ont appuyé ce parti, en étant si conservateurs et réfractaires au changement, la CAQ va les faire passer pour des »cruches ». Navrant !
Ce gouvernement là est en train de faire reculer le Québec.. Le jupon « duplessiste » de Francois Legault dépasse. Il se retrouve trop bien dans les écrits de Bock Coté.. A vos fourneaux mes dames! Comme au bon vieux temps!
Vous oubliez de préciser que le féminisme intersectionnel, invention de l’extrême-gauche, condamne la loi 21 sous prétexte qu’elle brime les Musulmanes du Québec. Et que surtout, adhérer à ce nouveau féminisme nous oblige à accepter comme femmes à part entière des milliers de transgenres de sexe mâle, dont environ 95% sont des travestis autogynéphiles non opérés – et qui n’ont pas l’intention de l’être – qui exigent l’accès à nos espaces privés, à nos sports réservés, aux cellules des détenues, etc. Moins de 5% des ‘néo-transgenres’ sont de véritables transsexuels, opérés ou en passe de l’être. Le manque de transparence, pour ne pas dire les mensonges des ‘ féministes intersectionnelles’ est méprisable.
Amen.