Ford en route vers un couronnement

Le premier ministre de l’Ontario, Doug Ford, semble en voie de réussir ce qui paraissait invraisemblable il y a deux ans : obtenir un second mandat majoritaire. Décryptage. 

Gino Donato / La Presse Canadienne / montage : L’actualité

L’auteure est professeure de science politique au Collège militaire royal et à l’Université Queen’s, à Kingston en Ontario. Spécialiste de politique canadienne, ses recherches portent sur les langues officielles, le fédéralisme et la politique judiciaire.

Une campagne électorale a été déclenchée en Ontario il y a un peu plus d’une semaine, et même sur place on pourrait facilement l’oublier, si ce n’était les quelques pancartes qui sont apparues ici et là sur les pelouses.

Ce sont des élections aux allures de second couronnement pour Doug Ford qui se profilent à l’horizon.

L’électorat ontarien semble apathique envers l’opposition : le soutien au gouvernement sortant est généralement stable, malgré une petite embellie pour le Parti libéral et les néo-démocrates dans les sondages.

Pour conserver cet élan jusqu’au 2 juin, Doug Ford a préconisé une campagne courte et sans vagues. Il se fait aussi peu visible que possible, ayant accepté de participer à seulement deux débats, refusant de répondre aux questions des journalistes, et fournissant les informations sur ses déplacements au compte-goutte par l’entremise des médias sociaux, plutôt qu’en donnant un horaire quotidien comme le font les autres chefs de partis.

Il était déjà clair bien avant que les élections soient déclenchées que le premier ministre sortant souhaitait qu’elles portent sur n’importe quoi sauf son bilan, particulièrement en matière de gestion de la COVID-19. Dès le début du mois de mars, le gouvernement a pris le risque de relâcher les mesures sanitaires de façon anticipée, pour ensuite faire un sprint d’annonces « bonbons » préélectorales.

Lors du premier débat des chefs, le 10 mai, les leaders de l’opposition ont bien tenté de déstabiliser le premier ministre sortant en ramenant à l’avant-scène les nombreuses gaffes du gouvernement provincial durant la pandémie. Mais ces attaques n’ont pas fait mouche chez le principal intéressé. On semble, pour le moment, en présence d’un politicien « téflon », qui sait que l’électorat est prêt à lui pardonner les bourdes commises pendant la crise sanitaire.

Remboursement des frais de renouvellement des plaques d’immatriculation, baisse de la taxe provinciale sur l’essence, annulation du péage sur deux autoroutes, construction de nouveaux logements : c’est sur le portefeuille des contribuables, en particulier dans la populeuse banlieue de Toronto, que Doug Ford a jeté son dévolu. Une opération séduction qui s’est confirmée, moins d’une semaine avant le déclenchement des élections, lors du dépôt du budget, ce dernier devenant la plateforme électorale de facto des progressistes-conservateurs.

Les partis d’opposition tentent d’offrir des solutions de rechange aux propositions du gouvernement afin de permettre aux Ontariens de joindre les deux bouts. Par exemple, en plus de la promesse de s’attaquer à la crise du logement par la construction de 1,5 million de nouveaux logements, les néo-démocrates ont décidé de faire du système de santé l’une de leurs grandes priorités. On souhaite devancer le fédéral dans la mise en œuvre d’une assurance médicaments et voir à l’embauche en masse de nouveau personnel soignant, toutes catégories confondues.

Les libéraux, pour leur part, proposent de réduire le tarif du transport en commun à un dollar partout dans la province — un programme « buck-a-ride » qui rivalise avec la promesse du « buck-a-beer » (la fameuse bière à un dollar) de Doug Ford lors des dernières élections — et font de l’éducation la pierre d’assise de leur plateforme. On désire notamment plafonner la taille des classes à 20 élèves et remettre sur pied, de façon temporaire et facultative, la 13e année (qui existait en Ontario jusqu’en 2003). Les libéraux promettent la construction du même nombre de nouveaux logements que les néo-démocrates, et souhaitent contrôler le prix des loyers.

Les Franco-Ontariens dans tout ça ?

Les quatre dernières années n’ont pas été de tout repos pour la minorité francophone de la province, et les défis auxquels cette communauté fait face demeurent importants. Rappelons qu’en début de mandat, le gouvernement Ford avait décidé sans crier gare d’abolir le Commissariat aux services en français et de mettre fin au financement de l’Université de l’Ontario français — deux décisions qui avaient suscité un tollé d’une ampleur inégalée dans la province, et qui ont été partiellement annulées depuis.

La seconde moitié du mandat de Doug Ford a mené à la modernisation de la Loi sur les services en français, mais celle-ci a été éclipsée par l’implosion financière de l’Université Laurentienne, qui a sabré 69 programmes, dont 29 en français. L’établissement a licencié près de 200 employés.

L’Université de Sudbury, fondée en 1913 et qui s’était fédérée avec la Laurentienne en 1960, tente depuis un an de reprendre le flambeau de l’enseignement postsecondaire en français dans le nord de la province. Mais plus d’un an après le début de la crise, l’Ontario n’est toujours pas prêt à financer cet établissement. C’est plutôt une entente signée avec le gouvernement fédéral, à hauteur de 1,9 million de dollars, qui permettra à l’Université de Sudbury de garder ses portes ouvertes.

Les trois partis d’opposition parlent ici d’une seule voix pour répondre à deux demandes clés de la communauté franco-ontarienne : redonner au Commissariat aux services en français sa pleine indépendance législative, et assurer l’avenir de l’Université de Sudbury pour que les Franco-Ontariens du Nord puissent poursuivre leurs études chez eux.

Une coalition des libéraux, des néo-démocrates et des verts à l’horizon ?

Plus tôt cette année, constatant le partage pratiquement égal des intentions de vote des électeurs de gauche entre libéraux et néo-démocrates et le peu de remous qu’avait causé l’alliance entre libéraux et néo-démocrates au fédéral, le chef libéral Steven Del Duca et son homologue du NPD Andrea Horwath avaient signé une lettre avec le chef des verts, Mike Schreiner. L’entente prévoyait qu’ils n’accorderaient pas leur confiance à un éventuel gouvernement progressiste-conservateur minoritaire.

En campagne, la réalité a rattrapé les chefs des partis d’opposition. Del Duca et Horwath se disent en concurrence pour le poste de premier ministre, bien qu’ils ne ferment pas complètement la porte à une forme de collaboration sur des enjeux prioritaires. Des tractations pour le partage du pouvoir pourraient se faire entre les trois partis d’opposition au lendemain des élections, si jamais les progressistes-conservateurs ne réussissaient pas à conserver les 63 sièges nécessaires pour obtenir une majorité à Queen’s Park.

Cette stratégie ne serait pas inédite en politique ontarienne. Deux fois dans l’histoire, soit de 1919 à 1923 (les Fermiers unis, le Parti travailliste et trois indépendants) et de 1985 à 1987 (les libéraux de David Peterson et les néo-démocrates de Bob Rae), le gouvernement ontarien a dirigé la province en coalition. Cependant, si on en croit les sondages, les partisans de gauche ne devraient pas sabrer le champagne trop vite. Selon Canada 338, il y a d’assez fortes chances (4 contre 1) que le prochain gouvernement ontarien demeure progressiste-conservateur, et majoritaire.

Il reste trois courtes semaines aux chefs des partis d’opposition pour faire changer d’idée les électeurs ontariens. Ce sera pour eux toute une course contre la montre dans une campagne électorale trop tranquille dont le résultat semble, pour le moment, décidé d’avance.