Français au Yukon : la vraie nature de la Charte

La Commission scolaire francophone du Yukon, qui réclame le pouvoir de décider des critères d’admission des élèves à la seule école française du territoire, a réussi à porter sa cause devant la Cour suprême. Un autre cas d’utilisation de la justice à des fins politiques, dit Frédéric Bastien.

500784337-totem-pole-carcross-yukon-gettyimages
Photo : Ryan Cready/Getty Images

Il y a quelques jours, la Commission scolaire francophone du Yukon a réussi à porter une cause devant la Cour suprême.

Elle réclame le pouvoir de décider des critères d’admission des élèves à la seule école française du territoire. Cela lui permettrait d’accueillir des enfants qui, en principe, n’ont pas le droit d’étudier en français — par exemple, des immigrants francophones ou des citoyens francophiles.
Politique

Suivant l’article 23 de la Charte canadienne des droits et libertés, seuls les parents canadiens ayant étudié au primaire ou au secondaire en français au pays, de même que ceux dont il s’agit de la langue maternelle, peuvent envoyer leurs enfants à l’école française. Le même critère s’applique au Québec pour l’accès à l’école anglaise.

De crainte qu’un élargissement des critères d’accès à l’école française au Canada anglais ait une incidence semblable sur l’enseignement en anglais au Québec, le gouvernement québécois s’est joint à la cause en appuyant le Yukon, ce qui lui a valu une pluie de condamnations.

Encore une fois, nous nous trouvons devant un cas flagrant de judiciarisation du politique, soit l’utilisation de la justice à des fins politiques.

Commençons par dire que le prétendu droit humain fondamental à envoyer ses enfants à l’école publique anglaise ou française subventionnée est en réalité une supercherie.

Pour les philosophes des Lumières, comme Locke ou Hobbes, deux critères permettaient de distinguer les véritables droits fondamentaux.

D’abord, ceux-ci ont essentiellement un caractère défensif. Le droit à l’intégrité physique, par exemple, nous protège de la violence du gouvernement et des autres. Pour être respecté, ce droit ne requiert de chacun qu’une attitude passive, soit celle de ne pas s’attaquer physiquement à son prochain.

Un tel droit est aussi universel, ce qui constitue le deuxième critère requis ici. Tous doivent pouvoir bénéficier d’un droit de la même façon. Or, cela est impossible avec un «droit à l’éducation».

Si celui-ci existait, il ne s’appliquerait qu’à une partie de la population : les bénéficiaires. Car l’éducation doit être fournie à ceux qui la reçoivent, ce qui signifie qu’il y a aussi des constructeurs d’écoles et des professeurs à payer, etc. Certains déboursent, d’autres reçoivent. Dès lors, le fait d’être éduqué ne peut être considéré comme un droit humain, puisque tout le monde ne peut se prévaloir.

Si le contraire était vrai, en rendant justice dans ce domaine, les tribunaux viendraient se substituer au pouvoir politique pour déterminer quel niveau de scolarité est couvert par le «droit à l’éducation». Celui-ci signifie-t-il être que l’école doit être totalement gratuite ? Pour le primaire et le secondaire, ou également pour l’enseignement supérieur ? Les juges n’ont pas la compétence nécessaire ni le mandat pour se livrer à ce genre d’arbitrage.

Comment expliquer, alors, que notre constitution reconnaisse non seulement le droit humain fondamental à l’éducation, mais qu’elle y ajoute en plus le droit de recevoir cet enseignement en français et en anglais — au détriment, d’ailleurs, de toutes les autres langues ?

La réponse tient à l’objectif de la Charte. Le but principal n’est pas tant de défendre les droits et libertés que celle de lutter contre l’idée que les Québécois constituent un peuple distinct en raison de leur francité.

Pour Pierre Trudeau, le père de la Charte, cette vision du pays constituait une hérésie. Étant donné la présence d’anglophones au Québec et de francophones ailleurs au pays, il était hors de question que le gouvernement québécois obtienne quelque statut particulier qui soit.

La solution passait plutôt par la mise en place d’un système de bilinguisme à l’échelle du pays. Les francophones pourraient ainsi vivre en français et se sentir chez eux, de Terre-Neuve jusqu’à la Colombie-Britannique, en même temps que les anglophones auraient accès à l’anglais partout au Québec. De cette façon, toutes les provinces sont à la fois bilingues et identiques, de telle sorte que les Québécois ne sauraient incarner un des peuples fondateurs du pays.

L’éducation est au cœur de ce projet. Pour que le rêve d’un Canada bilingue prenne forme, il faut que les Canadiens de toutes les provinces puissent étudier en anglais ou en français partout.

Sauf qu’en vertu de la constitution de 1867, l’éducation est une compétence provinciale exclusive. Cela empêchait Pierre Trudeau de forcer les provinces anglophones à ouvrir des écoles françaises d’une part et, d’autre part, de bloquer la loi 101, qui limitait l’accès à l’école anglaise au Québec.

Voilà pourquoi Trudeau voulait une Charte qui inclurait de nouveaux droits humains fondamentaux : celui d’aller à l’école anglaise publique au Québec et à l’école française publique dans le reste du Canada.

Sous couvert d’être le preux défenseur des droits et libertés, cela lui a en fait permis d’envahir une juridiction provinciale exclusive et de transférer une partie de ce pouvoir aux juges fédéraux.

Tout cela nous ramène au Yukon. D’abord, le français dans ce territoire relève du folklore.

Sur une population de quelque 34 000 habitants, 1 630 ont pour langue maternelle le français. En supposant que ceux-ci le parlent encore tous, ce qui est très improbable, cela fait moins de 5 % de la population.

Il est bien sûr impossible de vivre en français dans cette région du pays. En dehors du Québec, à part certains coins du Nouveau-Brunswick et de l’Ontario — et encore —, le taux d’assimilation est galopant.

Évidemment, reconnaître cette réalité reviendrait à admettre que le bilinguisme au Canada est une fiction. Cela confirmerait les revendications québécoises à un statut distinct.

Pour éviter cela, il faut donc faire comme si le Canada bilingue existait bel et bien. Le gouvernement fédéral finance alors les poursuites judiciaires des francophones hors-Québec, réclamant le «droit fondamental» à l’école française.

Voilà comment une poignée de Franco-Yukonnais ont réussi à traîner le gouvernement du territoire devant les tribunaux, à grand coup de deniers fédéraux. Voilà aussi comment des Anglo-Québécois entreprennent constamment de nouvelles procédures judiciaires contre la loi 101 au Québec. Pourquoi se gêner quand c’est aux frais de la Reine ?

Cet appui financier y est pour beaucoup dans ce qui se passe au Yukon. Au lieu de porter leur combat dans l’arène politique pour convaincre leur gouvernement de leur donner plus d’argent et d’admettre plus d’élèves dans leurs écoles, les Franco-Yukonnais préfèrent, et on les comprend, embaucher un avocat payé par Ottawa et contester le tout sous couvert de la violation d’un droit fondamental.

Les francophones hors Québec ont obtenu de cette manière plusieurs choses sous couvert du respect de leurs droits fondamentaux — la gestion de leurs écoles, par exemple. Presque tout le monde y trouve son compte.

Même si elles n’empêchent aucunement l’assimilation des francophones, ces victoires judiciaires sont présentées comme une formidable renaissance du français partout au Canada. Grâce à l’appui des juges fédéraux, l’illusion d’un pays bilingue est maintenue. Ottawa peut nier le statut distinct du Québec tout en établissement une fausse symétrie entre la situation des Anglo-Québécois et celle des autres minorités de langues officielles.

Mais le meilleur est certainement l’insupportable campagne de chantage aux droits. Parce qu’il craint une nouvelle brèche dans la loi 101 et tente par conséquent de restreindre l’interprétation de l’article 23 d’une Charte contenant de faux droits et qu’on lui a imposée, le Québec fait cause commune avec le Yukon. Pour oser défendre ainsi son autonomie, on l’accuse d’avoir lâchement abandonné 1 630 francophones vivant dans l’une des régions les plus excentrées du pays.

* * *

À propos de Frédéric Bastien

Frédéric Bastien est professeur d’histoire au Collège Dawson et l’auteur de La Bataille de Londres : Dessous, secrets et coulisses du rapatriement constitutionnel. Il détient un doctorat en histoire et politique internationale de l’Institut des hautes études internationales de Genève.

Les commentaires sont fermés.

Ottawa subventionne les Francophones hors-Québec pour offrir des soins de santé en anglais au Québec !

PAR NORMAN DELISLE ,QUEBEC (PC) –

http://www.vigile.net/Ottawa-subventionne-le-Quebec-pour

http://www.toile-actualite.com/index.php?sect_no=17&module=news&news_no=727

« D’ailleurs, je ne connais pas un endroit au monde où ce serait pensable, sauf au Québec et possiblement, dans l’ex-Rhodésie!!! »
Laurent Desbois

Ex-franco-hors-Québec, d’origines métis et acadienne,
fier Québécois depuis plus de quarante ans,
et canadian… par la force des choses et temporairement …. sur papiers seulement!

Bilinguisme Canadian « Coast to coast » :
De la baie des Chaleurs à la rivière des Outaouais.

Liste des régions bilingues du Canada aux fins de la langue de travail

http://www.tbs-sct.gc.ca/pubs_pol/hrpubs/offlang/chap5_1tb-fra.asp

À l’extérieur du Québec, on dirait le gruyère des réserves indiennes, des townships en Afrique du Sud ou de la Palestine !!!!

Le Canada a complètement abandonné sur les francophones dans les quatre provinces de l’ouest, y inclus Saint-Boniface au Manitoba, qui est à 85% anglais aujourd’hui…
Rare comme de la merde de pape, lorsqu’on s’éloigne des frontières du Québec et surtout…où le nombre le justifie !!!

Si vous passiez quelques jours à Whitehorse, comme j’ai déjà eu l’occasion de le faire, vous seriez surpris du nombre d’interlocuteurs capables de vous répondre en français. C’est mieux qu’à Toronto! Et c’est très sympathique! Mais l’acte de foi nationaliste québécois, c’est qu’il n’y a aucun espoir pour les francophones hors-Québec, où qu’ils soient. Le plus embêtant dans cela, c’est que ces interlocuteurs parlent souvent plus distinctement et clairement que leurs cousins québécois, qui mangent leurs quelques mots puisés dans un vocabulaire maigrichon et, en plus, massacrent la syntaxe au point de devoir être traduits par des sous-titres lors d’entrevues destinées à la France ou à la Belgique. Dernière en date; des militaires du 22e Régiment à l’émission Thalassa de vendredi dernier. Une horreur! Toutes mes rencontres avec des canadiens francophones ou francophiles, à Banff, Vancouver ou Toronto, m’ont surpris par la clarté de leurs propos.
J’appuie la position de mon gouvernement dans ce dossier, mais en même temps je demeure ouvert à toutes les initiatives susceptibles d’appuyer les efforts de mes concitoyens canadiens pour s’exprimer en français. Ils nous montrent l’exemple, en respectant notre langue!

M. Bastien,

Je ne peux m’empêcher de commenter votre papier car celui-ci véhicule des propos qui déforment grandement la réalité des francophones de l’ouest du pays.

Tout d’abord, vous affirmez que le français au Yukon relève du folklore car seulement 1630 individus (5%) de la population le parle, probablement moins selon vous car plusieurs sont “sûrement” assimilés. Je me demande bien sur quoi vous basez votre observation… Avez-vous déjà mis les pieds au Yukon? Connaissez-vous personnellement des Yukonais qui peuvent confirmer votre affirmation? Sinon, comment pouvez-vous interpréter ces statistiques de la façon dont vous le faite?

Ensuite, vous croyez qu’il est impossible de vivre en français à l’ouest de l’Ontario. Vraiment? Je me répète, mais avez-vous déjà vécu dans l’ouest? Vivre en français dans le Canada “anglais” est une expérience variable, difficilement quantifiable et qui ne se résume certes pas à quelques statistiques. Pour ma part, je suis un francophone qui habite à Edmonton. Ma conjointe est francophone aussi, tout comme plusieurs de nos amis – certains sont même ici depuis plusieurs générations et n’ont jamais été assimilés. Leurs enfants vont tous à l’école en français (je ne parle pas de l’immersion ici mais bel et bien d’écoles francophones qui sont en forte croissance partout en Alberta). D’ailleurs, on ne se parle qu’en français à la maison et entres amis. On fait des sorties en français (oui, oui, il y a des commerces, des pièces de théâtre et toutes sortes d’évènnements culturels tenus dans la langue de molière à Edmonton et ailleurs, même à Calgary, dans de très petits villages du nord de la province ou encore à Canmore/Banff où près de 20% des habitants sont francophones). Et l’accès à un contenu francophone ne se limite pas aux espaces physiques… Je peux facilement trouver de la musique francophone en ligne (en passant, ce serait encore plus facile si des companies comme Archambault faisaient une meilleure job à ce niveau). Je lis La Presse, Le Devoir et l’Actualité en ligne, sans problèmes. J’écoute aussi la télévision en francais. En fait, avec internet, les seules limites télévisuelles que nous avons sont celles imposées par les diffuseurs qui tardent encore à prendre le virage internet (tendance franco?).

Enfin, vous insinuez que le bilinguisme au Canada est une fiction. Ça, c’est vraiment une question de perception… Pour les nationalistes Québécois dont je devine que vous faites partie, le “verre” Canadien est à moitié vide: on se dit que si le français n’est pas la langue prédominante dans les rues de Regina, Whitehorse ou Kelowna, alors cette langue “n’existe pas” dans ces localités ou n’est que “folklorique”. On regarde de haut les institutions éducationnelles et culturelles francophones à l’ouest d’Ottawa car celles du Québec nous sont plus familières. On constate que le pourcentage de francophones dans ces provinces a tendance à diminuer dans le temps ce qui, dit-on, est un signe que l’hécatombe linguistique tant annoncée se concrétise. Et pourtant…

La réalité est bien différente lorsque l’on vit dans ces régions. En Alberta, par example, le nombre de francophones augmente rapidement (plus de 80 000 individus en date du dernier recensement). Un autre 250 000 personnes parlent le français comme langue seconde – plusieurs sont issue des milieux d’immersion et pourraient donner des leçons de français à certains francos “pure-laine” du Québec. Par ailleurs, bon nombre de franco-Albertains – comme moi – utilisent le francais assez fréquemment dans leur milieu de travail. Certains travaillent carrément en français, et pas seulement à Radio-Canada et dans les milieux scolaires. Aussi, il y a, chez nous, un grand nombre d’associations francophones de toutes sortes, dont des organizations touristiques et des regroupements d’hommes d’affaires. La liste est longue mais je vais m’arrêter ici car mon commentaire est déjà très long.

En fin de compte, mon point est le suivant: ne vous en déplaise M.Bastien, le français et le bilinguisme sont effectivement une réalité un peu partout au Canada, à différents degrés certes, mais une réalité tout de même qui dépasse le simple folklore. Il ne suffit que de voir le verre à moitié plein pour le reconnaître et, dans votre cas, un peu de recherche s’impose.

Patrick

J’ai enseigné l’histoire en Ontario et à des francophones et j’ai constaté moi-même les effets dévastateurs de l’assimilation, et ce dans la région d’Ottawa, qui est vraiment loin d’être la pire en la matière. Les statistiques de Statistiques Canada confirment d’ailleurs mon expérience personnelle. Mon cousin habite en Alberta. Si la commaunuté francophone augmente c’est en raison de l’arrivée de Québécois francophones dans la province.

Votre réponse ressemble beaucoup à celle des blancs américains qui se disaient ouverts aux noirs car plusieurs de leurs amis étaient noir !

Ici au Québec de nombreux citoyens de descendance irlandaise ou écossaise ont été assimilés par la société francophone. On n’a qu’à constater les Blackburn, Carmichael, Walsh, Murray, Johnson, Ryan, Lindsay etc etc tous descendants d’anglophones assimilés. Or cela nous paraît normal mais dès qu’on traverse la frontière linguistique cela est qualifié de « génocide culturel ». Deux poids deux mesures. À force de chercher des poux vous en trouverez partout.

Ah oui, votre cousin habite en Alberta, donc vous savez ce qui se passe dans l’ouest. Merci pour l’éclairage car moi qui vit dans « l’ouest » depuis 25 ans a plutôt la même expérience que Patrick mais on doit être des illuminés, des moutons noirs. Je ne vis pas en Alberta mais dans la très britannique Colombie et l’engouement du français ici est notoire même s’il est vrai que dans la vie de tous les jours, il est difficile de travailler en français sauf dans certains secteurs cibles. Faut croire que cet engouement vient moins de nécessité et plus par intérêt pour la langue et la culture.

Bonjour Monsieur Bastien,

Les statistiques ne mesurent pas tout. Le témoignage de monsieur Patrick auquel vous répondez est justement là pour mettre de la chair autour des chiffres de StatCan. Vous savez surement que l’on peut arriver au chiffre 6 de différentes manières : 2+4, 8-2 3×2, √36, etc. Vous savez aussi que les tendances que l’on pense percevoir en analysant des tableaux de nombres, par simple règle de trois ou par régression linéaire, sont limitées dans le temps et souvent très dépendantes du modèle utilisé. Ce que Monsieur Patrick dit à propos de la vie en français dans l’Ouest c’est que des communautés parviennent à vivre en tant que communauté linguistique sans nécessairement sentir une assimilation galopante.

Certaines communautés connaissent beaucoup de succès d’autres moins mais même si on ne parle pour ainsi dire pas français sur la rue du Centre communautaire francophone et francophile de Campbell River en Colombie-Britannique, il n’empêche que les autorités municipales, les organisations communautaires (anglophones) nous traitaient avec beaucoup de respect : les premières nous consultaient sur des intentions diverses en termes de développement et/ou de zonage (dans notre secteur) ; les secondes sollicitaient notre appui lors de leur démarches auprès du gouvernement provincial. Même si le français est la troisième langue parlée en cet endroit (le vietnamien et le penjabi nous surpassent mais c’est particulier à CR), la communauté francophone n’en est pas une quantité négligeable ne méritant qu’une assimilation.

Au Yukon (qui, incidemment, se trouve dans l’Ouest Canadien), l’anglais (ou le français) n’est pas la seule langue utilisée et bien plus de gens n’y parlent ni l’anglais ni le français que l’on peut remarquer ici, dans les régions centrales. Et comme ce territoire là-haut est faiblement peuplé, que le climat y est rude, les ressources consommables chères, les gens ont besoin des uns des autres. Le succès d’une communauté est important pour l’autre. Par conséquent, il est peu probable qu’il y est une assimilation là-bas et je pense que vous devriez, si l’occasion se présente, y aller faire un tour afin de voir de quoi la réalité, derrière les chiffres de StatCan, est faite.

Bonjour Monsieur Bastien,

D’abord, sachez qu’une communauté culturelle vivante ne se définit malheureusement pas qu’en termes de nombre de personnes (d’ailleurs, c’est une affirmation gratuite de dire qu’il y a moins de francophones que ce qu’indique les chiffres officiels ; il pourrait tout aussi en avoir plus car faire un recensement dans un vaste territoire si peu peuplé est un tour de force) mais aussi, et surtout, en termes d’interaction entre leurs membres. Pour votre respect, je passerai sous silence l’enthousiasme qui peut animer une communauté autour d’un projet qui lui tient à coeur.

Maintenant, sachez aussi que parmi les diverses communautés francophones au pays, celle du Yukon peut être assez vite sur ces patins. Alors que j’étais en Colombie-Britannique, oeuvrant auprès d’une association de francophones et francophiles sur l’Île de Vancouver (AFCR), celle du Yukon nous avait damer le pion en 2001 dans la mise sur pied d’un portail francophone de l’Ouest. Pour nous, ces gens-là arrivaient de nulle part ! Moins fortuné que nous, plus loin du « centre » que nous et avec moins de préparations. Comme quoi, il y a de ces communautés qui sont vites sur leurs patins. En termes de communautés francophones dynamiques, on pourrait mentionner celle du Nunavut (avez-vous déjà lu leur revue ‘Le toit du monde’ ? Vous devriez, vous pourriez y apprendre quelques mots d’innuktitut). La communauté franco-saskatchewannaise est aussi bien visible dans l’Ouest canadien. Savez-vous qu’il y a un festival de musique francophone à Winnipeg qui attire aussi des jeunes (quasi) unilingues anglais ? Probablement pas.

De plus, vous mentionnez que le pourcentage de francophones au Yukon avoisine les 5 % d’une part et d’autre part, que l’assimilation est galopante. Or en 1967, à 4 % on disait que les francophones hors-québec étaient une quantité négligeable, en attente d’assimilation… À ce que je sache 5%, c’est plus que 4% (en 2006, nous, les FHQ on était encore à 4 % sur l’ensemble du territoire). On pourrait penser que les franco-yukonnais tardent un peu à se faire assimiler, n’est-ce-pas. On pourrait dire de même partout au pays hors québec. Franchement, si l’assimilation est si galopante, pourquoi le nombre de places en immersion à l’école a-t-il augmenter entre 2001 et 2005 en Colombie-Britannique (je n’étais plus à l’AFCR après 2005) alors que les autres commissions scolaires épongeaient (tant bien que mal) des coupures ?

Enfin, dans les régions aussi éloignées et aussi faiblement peuplées que le Yukon, même à 5%, une communauté culturelle et/ou linguistique aura plus de poids que dans les régions « centrales ». C’est un peu une question de survie. Je passerai sous silence que votre article est tendancieux en laissant supposer que 95% de la population du Yukon parle anglais. En fait, puisqu’il y a des membres des premières nations qui ne parlent ni l’anglais, ni le français, il aurait été judicieux que vous poussiez vos « recherches » un peu plus pour jauger de l’importance des diverses communautés culturelles qu’il y a là-bas. Je doute que cela aurait sauvé votre chiffon mais au moins cela ferait un peu moins ethno-centriste.

Lunettes roses, lunettes noires. Verre à moitié plein, à moitié vide. Récupérations fédéralistes, récupérations fédéralistes. Dans le fonds, les deux côtés se foutent royalement du véritable état des lieux beaucoup plus complexe que ce que l’auteur et ses antagonistes désirent nous vendent comme savon. Mais personne n’achète de part et d’autre. Les mêmes actions qui produisent les mêmes résultats.

Tant que le français demeure minoritaire au Canada, il faut assurer son essor. Ce ne sera pas plus coûteux pour le Yukon de former ses élèves en français qu’en anglais. C’est simplement un transfert de coûts d’un établissement à l’autre.

pauv p’ti québecois. Exploités par les méchants anglais! Et lles fédéralistes. Et par les ethnies qu’ils ont si bien acceuillies. Et par les anglais. Et par les américains, bien sûr. Et par les français qui s’établissent chez eux. Et par les fédéralistes. Et maintenant, par les juges canadiens.

Je suis fiers de mes ancêtres francophones qui ont relevé le défi de partir de l’ombre de leurs clochers répressifs et de chialeux pour tout et rien. Les francophones hors Québec sont parmi les plus innovateurs du monde. Faisont leurs éloges pour leurs succès à vivre ailleurs, indépendants de la férule des clochers. Voilà LA vraie indépendance.

J’aime bien votre commentaire constructif M.Denis. On y sent beaucoup de sagesse et d’éducation. Il en faudrait plus des commentaires comme le vôtre. Et c’est vrai que la férule des clochers est encore extrêmement présente au Québec…

Votre texte reflète bien l’isolationnisme du Québec vis-à-vis des communautés francophones d’Amérique, hors Québec, et je la respecte car l’histoire pourrait vous donner raison. Mais la réalité est différente pour le moment et les francophones qui vivent en milieu minoritaire veulent protéger leur langue et leur culture et l’école est la plaque tournante de notre émancipation. Votre interprétation des droits des minorités en matière scolaire est plutôt tordue car ce n’est pas un droit humain fondamental mais bien un droit constitutionnel garanti par la charte des droits et libertés qui fait partie de la constitution canadienne.

Pour nos communautés, l’accès à l’école française est primordiale et il est important pour les conseils scolaires (pas des «commissions») de pouvoir accueillir tous ceux qui veulent étudier en français car les écoles d’immersion n’offrent pas ce niveau de service. Évidemment la contre-partie c’est que ce droit constitutionnel pourrait aussi avoir un impact au Québec mais quand on regarde la situation de l’anglais au Québec, en progression à Montréal mais stagnant ailleurs, et les progrès du français suite à la Charte de la langue française, on peut avoir confiance que la protection du français est assurée. Par contre à l’extérieur de la province, ce n’est pas le cas et les conseils scolaires ont besoin de ce coup de pouce pour assurer l’épanouissement de notre langue.

Dans ce contexte, la position du Québec qui se ligue avec le Yukon contre le conseil scolaire francophone est désolante et sent l’approche coloniale qui prévaut tellement à l’échelle du pays pour tenter de limiter les droits des minorités. J’ai aussi vécu au Yukon et votre perspective de ce territoire détonne d’avec la réalité et votre texte ne rend pas service à vos lecteurs qui auront une vision tronquée d’une communauté francophone si dynamique et si dévouée à la protection de ses droits.

Cher Monsieur, je vous copie ici un extrait de mon dernier livre (La Bataille de Londres) sur la raison pour laquelle Trudeau voulait faire de la question linguistique une question de droits et libertés fondamentales. Dans l’extrait, c’est Allan Blakeney, premier ministre néo-démocrate de la Saskatchewan qui parle.

Je le cite aussi pour Pierre Foucher afin de souligner la différence entre un droit humain fondamental enchâssé dans la constitution et une disposition constitutionnelle qui ne relève pas du domaine des droits et libertés, ou encore une simple disposition législative comme celles de la loi 101. Tout cela n’a pas le même poids, les droits fondamentaux pèsent plus, bien sûr, juridiquement, sinon au niveau de la symbolique, ce qui a un impact politique.

« During the negotiations in 1980–81, Saskatchewan’s Premier Blakeney asked Trudeau why he held so dearly to integrating linguistic rights in the charter. “It is no more a human right to speak English than, say, Spanish,” he said, adding that he knew of no place on earth where linguistic rightswere included in a founding document. Why then this approach? Blakeney asked, before going on to offer up the answer himself: “I suggested that he was embedding them in the charter because it was easier to argue for a charter
than it was to argue for freestanding language rights. He readily agreed. Since he clearly wanted the language rights provisions, he had decided to wrap them in a charter.

M. Bastien,

Certains commentateurs ont éloquemment déconstruit vos assertions à l’effet que la langue française serait moribonde au Yukon; j’ajouterai seulement qu’ayant été là-bas moi-même, j’ai été très impressionné par la vitalité de cette communauté. Elle n’a certes pas besoin qu’on lui lance des roches comme vous le faites. Mais cela n’est pas mon propos.

J’aimerais plutôt aborder votre « insupportable campagne de chantage aux droits ». D’une part vous faites une différence entre les droits fondamentaux classiques et les droits linguistiques; vous avez bien raison, c’est une distinction que cette Cour suprême que vous aimez vilipender a elle-même réitéré à quelques reprises. Et puis après? Cela n’en fait pas des sous-droits, des non droits. Ou alors le premier chapitre de la Loi 101, qui reconnait des droits aux Québécois en matière d’usage du français, serait une fumisterie aussi? La Cour a bien précisé, ce que vous taisez commodément, que les droits linguistiques s’interprètent comme tous les autres : en fonction de leur objet. Or leur objet, c’est le maintien et l’épanouissement des communautés qui parlent une langue minoritaire dans leur province.

Ensuite, je ne vois pas ce qui est immoral dans le fait de revendiquer devant les tribunaux des droits qui sont reconnus noir sur blanc dans le texte d’une constitution. Vous renvoyez la minorité franco-yukonnaise à ses parlementaires : c’est oublier que l’accueil fait à la dualité linguistique dans les cénacles politiques de l’Ouest et du Nord est bien tiède, pour dire le moins, et que parfois la légitimité d’une décision judiciaire aide à faire plier les politiciens récalcitrants. La doctrine américaine d’ailleurs, a étudié ce phénomène et expliqué comment une action judiciaire peut s’inscrire dans une stratégie de revendication politique. Il n’y a rien d’immoral ni d’illégal la-dedans. C’est de la politique autrement, mais qui a prétendu que le droit n’était pas près de la politique, surtout en droit constitutionnel? Ensuite, votre affirmation que ce sont des fonds fédéraux qui financent ces affaires est-elle appuyée par les faits? À ce que je sache, les demandes de financement au Programme d’apui aux droits linguistiques sont confidentielles. Et même si tel était le cas, savez-vous que le Programme est géré par une université, que son comité d’experts qui choisit les causes à financer est complètement indépendant et autonome à la fois du gouvernement et de l’institution, et que les sommes allouées ne représentent qu’une goutte d’eau dans l’océan des frais encourus dans les litiges scolaires, frais qui, ne vous en déplaise, sont multipliés exponentiellement par des gouvernements qui submergent les parties francophones de requêtes et de procédures accessoires au fonds des litiges? Si vous le savez, pourquoi ne le dites-vous pas? C’est faux de prétendre que les minorités puisent dans les fonds fédéraux sans qu’il leur en coûte rien. Les associations francophones et les conseils scolaires minoritaires ne roulent pas sur l’or, et ce qu’accorderait le Programme ne suffirait pas à couvrir tous les frais.

Quant à la position prise par le Québec dans l’affaire du Yukon, elle est déplorable. Le Québec aurait pu s’abstenir et attendre de voir ce que la communauté anglophone pourrait, ou non, tirer de la décision; ou encore plaider l’asymétrie, dont on retrouve des traces dans la jurisprudence. L’attitude des procureurs québécois est cavalière, navrante, insensible. Elle reflète une conception formelle et territoriale de la politique linguistique, confinée à chaque province.

Finalement, votre entreprise intellectuelle semble consacrée à répudier le contrat social canadien des origines – un pacte solennel entre Anglophones et Francophones, pas juste entre le Québec et le Canada, voir le texte récent dans Le Devoir autour de l’affaire Caron – contrat qui aurait .été violé par Trudeau au détriment du Québec et qui conduirait à une seule solution : l’indépendance. Soit. Mais vous devriez utiliser plus de rigueur dans vos propos. Taire des faits ou les présenter de manière tendancieuse ne contribue pas à faire avancer le débat.