Hydro-Québec : attirer les entreprises à quel prix ?

Les Québécois doivent-ils investir des milliards de dollars en infrastructures et subventions pour permettre l’installation d’usines énergivores sur leur territoire ?  

Anastasiia Konko / Getty Images / montage : L’actualité

«Électeurs, électrices, électricité » : le gouvernement Legault pourrait s’approprier le polyptote de Maurice Duplessis, tellement l’énergie est désormais au cœur de ses velléités économiques. Son discours sur Hydro-Québec a pourtant changé sans cesse au fil des cinq dernières années.

Dans le premier mandat, les surplus d’électricité abondaient, ce qui ouvrait la voie à la vente d’énergie aux Américains. Pas besoin de barrage avant plusieurs décennies, disait-on !

Puis, volte-face en campagne électorale : François Legault annonce 3 000 mégawatts (MW) d’éolien et réclame de nouveaux barrages pour rendre le Québec carboneutre… mais surtout pallier le manque à venir d’électricité. Hydro-Québec, dans son plan stratégique, estime qu’il faut trouver 100 térawattsheures (TWh), soit l’équivalent de la moitié de sa production actuelle.

La société d’État évalue que 25 TWh pourraient être récupérés en efficacité énergétique, un objectif ambitieux. Vient alors l’épisode de la « sobriété énergétique » du ministre de l’Énergie, Pierre Fitzgibbon — les lave-vaisselle démarrés à minuit —, proposition raillée par beaucoup de Québécois et prestement mise de côté.

Plutôt que de forcer les gens, le gouvernement Legault propose désormais de récompenser les bons comportements. D’accord, mais ça doit se faire à coût nul, prévient le ministre Eric Girard. Revient donc l’idée de hausser les tarifs pour les consommations d’électricité considérées comme excessives.

Voilà beaucoup d’improvisation pour une réalité incontestable : oui, nous gaspillons notre électricité. Parce qu’elle coûte 4 fois moins cher qu’aux États-Unis, et de 6 à 10 moins cher qu’en Europe. Il suffit de voyager un peu à l’étranger pour s’apercevoir que ce qui semble abondant et quasi gratuit ici est une ressource précieuse et recherchée ailleurs. (Il y aurait tant à dire sur nos normes énergétiques laxistes et désuètes, mais c’est un autre débat.) Rappelons aussi que le Québec obtient 15 % de son électricité de Terre-Neuve à un prix dérisoire, 0,2 cent le kilowattheure, en vertu d’une entente signée en 1969 (et dénoncée depuis) qui prendra fin en 2041. À la fin du contrat, soit le Québec continuera d’être alimenté, mais à un prix nettement plus élevé, soit il perdra cette énergie et devra en trouver ailleurs.

Bref, une hausse des tarifs, des milliards investis dans de nouveaux barrages… pour faire quoi ? Des cadeaux tarifaires à des entreprises ? En matière de perception, c’est l’équation que beaucoup de Québécois feront.

L’an dernier, le gouvernement Legault estimait que les nouvelles demandes pour des projets industriels totalisaient 23 000 MW d’énergie. En janvier, le ministre évaluait qu’il ne disposait que de 8 000 à 10 000 MW pour choisir parmi ces projets. En mai, il n’en restait soudainement que 1 000.

C’est à ce moment que le discours est passé d’« il faut attirer les entreprises » à « il faut construire des barrages pour attirer des entreprises ». Mais à quel prix ?

Le cas des alumineries devrait nous faire sourciller. Celles-ci consomment 20 % de l’électricité produite dans la province, grâce à des ententes leur offrant des tarifs dérisoires, en plus de ne payer presque aucun impôt au Québec, comme l’a montré le chroniqueur Francis Vailles.

Leurs tarifs varient en fonction du prix de l’aluminium. Or, depuis 2015, elles ont payé leur électricité en moyenne 3,87 cents le kilowattheure, bien en deçà de ce qu’Hydro-Québec facture habituellement aux grandes industries. Les subventions ont des raisons que l’inflation ne connaît pas.

Vous et moi payons 6,5 cents pour les 40 premiers kilowattheures par jour, et 10 cents pour les kilowattheures supplémentaires. Et dans le cadre de son contrat avec New York, Hydro-Québec vendra son électricité 13,3 cents en moyenne pendant 25 ans.

Les alumineries — et beaucoup d’autres entreprises — plaideront la balance des avantages, où les emplois et retombées économiques seraient supérieurs au rabais octroyé. Il y a matière à débat, puisque le concept de retombées économiques est lui-même assez flou.

Les 7 300 emplois bien payés des alumineries valent-ils les avantages, qui profitent avant tout aux actionnaires ? Surtout dans l’optique où les alumineries demandent un millier de mégawatts supplémentaires au rabais… en grande partie pour réduire leur production de GES ?

La dispute entre Stellantis et le gouvernement fédéral devrait faire réfléchir le ministre Fitzgibbon aux cadeaux en énergie qu’il compte offrir aux entreprises. Quand on crée un généreux précédent, les concurrents obtiennent un rapport de force pour inciter l’État à les satisfaire à leur tour.

Stellantis, née de la fusion Peugeot-Fiat, et LG ont suspendu la construction de leur méga-usine de batteries pour véhicules électriques de Windsor, en Ontario. Un chantier de 5 milliards de dollars, devant créer 2 500 emplois, et pour lequel Ottawa a investi 500 millions.

Pourquoi cet arrêt soudain ? Parce qu’Ottawa a octroyé des subventions de 13 milliards sur 10 ans à Volkswagen pour la construction d’une autre méga-usine de batteries, cette fois à St. Thomas, toujours en Ontario. Des aides sans lesquelles, selon Ottawa, l’usine aurait été construite aux États-Unis.

Mais aux yeux de Stellantis et LG, la générosité d’Ottawa envers Volkswagen viole les termes de leur propre entente avec le gouvernement fédéral — on ignore lesquels. On comprend surtout que le groupe automobile néerlandais réclame un traitement équivalent à celui du constructeur allemand.

Ce genre de chantage économique peut s’avérer très coûteux pour des gouvernements prêts à brader leurs ressources afin d’attirer des entreprises à tout prix (c’est le cas de le dire). C’est un peu ce que voulait dire la PDG sortante d’Hydro-Québec, Sophie Brochu, en prévenant que la société d’État ne devait pas devenir le « Dollarama » de l’énergie.

Un avertissement qui heurtait de front la vision du ministre Fitzgibbon, qui désire privilégier l’attrait d’entreprises ici plutôt que la vente de notre énergie à profit à l’extérieur du Québec. C’est un choix qui se défend, mais un projet de société risqué. Si on accorde autant de cadeaux aux uns, comment peut-on les refuser à d’autres ?

L’essence même de la nationalisation de l’électricité, dans les années 1960, était de sortir l’électricité des mains du cartel d’entreprises privées pour assurer aux Québécois l’accès à une énergie stable et abordable. C’était aussi un levier de développement économique.

À quelques jours du dévoilement du nom du nouveau PDG d’Hydro-Québec, il sera intéressant de l’entendre sur sa vision des choses. Mais on se doute que le ministre ne l’aura pas choisi au hasard…

Watts ? De quoi on parle ?

  • Térawattheure : 1000 milliards de wattheures, soit l’unité du système international servant à la mesure de l’énergie délivrée ou consommée pendant une heure.
  • Mégawatt : 1 million de watts, soit l’unité du système international servant à la mesure de la puissance.
  • Kilowattheure : 1 000 wattheures, soit l’unité du système international servant à la mesure de l’énergie électrique et de la consommation.

La version originale de cet article a été modifiée le 19 mai 2023 pour remplacer l’unité de mesure «térawatt» par «térawattheure».

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Il y a mélange et confusion dans cet article entre les unités de puissance en watt (W) et les unités d’énergie en watt-heure (Wh) ou plus couramment en kilowatt-heure (kWh).

Au troisième paragraphe, il est juste de parler de 3000 mégawatts (MW) d’éolien puisqu’on parle de puissance mais lorsqu’on mentionne qu’il faut trouver 100 térawatts (TW) pour rendre le Québec carboneutre, c’est inexact parce qu’il s’agit alors d’énergie et il faut plutôt parler de 100 térawatt-heure (TWh).

Même chose au quatrième paragraphe où on devrait lire 25 TWh et non 25 TW.

Au huitième paragraphe, on devrait plutôt lire 23000 MW de puissance et non 23000 MW d’énergie.

Le tableau Watts ? De quoi parle-t-on ? est de plus inexact.

Un térawatt correspond à 1000 milliards de watts et non 1 milliard de watts. 1 milliard de watts correspond plutôt à un gigawatt. Comme l’unité courante en puissance électrique est le kilowatt et non le watt, il faudrait plutôt écrire qu’un térawatt correspond à 1 milliard de kilowatts.

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Bonjour Monsieur Renald,
Merci pour votre commentaire. Nous avons procédé à une vérification et intégré les corrections que nous considérons comme nécessaires.
Julie Gobeil, chef du pupitre éditorial, L’actualité

Je ne savais pas que le groupe Stellantis était une entreprise néerlandaise. Issue de la fusion de Peugeot Citroën, Fiat et Chrysler.elle me semblait plutôt franco-américaine…

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Bonjour Monsieur Mourez,
Stellantis a été formé par la fusion de constructeurs automobiles français, italien et américain, mais il s’agit bien d’une entreprise établie aux Pays-Bas.
Merci,
Julie Gobeil, chef du pupitre éditorial

@Rédacteur en chef
Dans son texte, Monsieur Jean-Philippe Cipriani confond allègrement puissance et énergie comme si les deux notions étaient interchangeables, ce qui nuit énormément à la compréhension de ses propos.
Monsieur François Renald vous a demandé que les corrections suivantes soient apportées :
Dans la phrase : « Hydro-Québec, dans son plan stratégique, estime qu’il faut trouver 100 térawatts (TW), soit l’équivalent de la moitié de sa production actuelle. », il faut remplacer « 100 térawatts (TW) » par « 100 térawattheures (TWh) ».
Dans la phrase : « La société d’État évalue que 25 TW pourraient être récupérés en efficacité énergétique, un objectif ambitieux. », il faut remplacer « 25 TW » par « 25 TWh ».
Vous avez bien apporté ces dernières corrections, mais vous avez oublié dans la phrase : « L’an dernier, le gouvernement Legault estimait que les nouvelles demandes pour des projets industriels totalisaient 23 000 MW d’énergie. », qu’il faut remplacer « 23 000 MW d’énergie » par « 23 000 MW de puissance ».
Dans le texte à la fin, vous avez bien corrigé : « Térawatt : 1 milliard de watts » par « Térawattheure : mille milliards de wattheures » mais vous avez oublié d’enlever la fin de la phrase qui se termine par « délivrée ou consommée pendant une heure », ce qui n’a aucun sens puisque le wattheure est une unité d’énergie, point, qui n’a rien à voir avec le temps pendant lequel elle est consommée.
Alain Bonnier, Ph.D. (physique)

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Ce que j’ai du mal à ingurgité … c’est qu’on dit au consommateurs; si l’électricité était plus cher, vous aller la gaspiller moins. Aux entreprise, on sussure, on veut vous voir, alors, on réduit vos tarrif étant entendu que vous en ferez un usage judicieux. Vraiment? et puis, on nous dit, réduisez réduisez mais aux consomateurs américain, qu’es-ce qu’on leur recommande? on est dans la logique marchande qui culpabilise l’individu; surtout, les moins aptes à payer.

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L’entente de Churchill Falls se termine dans 18 ans.
Le prix que les Terre-Neuviens recevront durant cette période est de 0,2 cent le kilowattheure.
Il est certain que le comité sur l’économie et la transition énergétique crée par M. Legault l’automne dernier aimerait croire que les Terre-Neuviens avaleront cette couleuvre québécoise sans dire un mot.

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