Jacques Daoust et l’économie des transports

Dans son évaluation à la fin janvier, Philippe Couillard a estimé que c’était aux Transports que Daoust pourrait le mieux exprimer son talent, notamment en raison de ses contacts à la Caisse de dépôt.

Photo: Jacques Boissinot/La Presse Canadienne
Photo: Jacques Boissinot/La Presse Canadienne

Le 27 janvier 2016, l’ancien ministre de l’Économie, Jacques Daoust, est l’un des premiers à être convoqués à l’hôtel Classique du boulevard Laurier, à Sainte-Foy, où Philippe Couillard est à remanier son cabinet ministériel. «Le chef veut te rencontrer», lui dit-on à l’autre bout du fil.

«M. Couillard me dit: “Écoute, Jacques, on aimerait t’offrir les Transports.” Je suis parti à rire, raconte-t-il. D’abord pour l’effet de surprise et de pas de surprise. Parce que certains de mes collègues m’avaient dit: “Tu serais bon aux Transports.” Ç’a été une surprise agréable», poursuit celui que rien ne préparait, en apparence, pour ce job.

Jacques Daoust est un banquier. Il a occupé des postes importants à la Banque Nationale et à la Banque Laurentienne avant d’être nommé PDG d’Investissement Québec, rôle qu’il a tenu de 2006 à 2013.

«Je pense que j’ai fait ce que j’avais à faire à l’Économie. Vous savez, j’ai eu 68 ans cette semaine. Je ne m’en vais pas à la chefferie. Je me dis: c’est ça le mandat que l’on me confie, je vais le faire.» Et puisqu’on ne sort pas le banquier du personnage, Jacques Daoust voit avant tout les Transports comme un ministère économique.

«Où est-ce qu’il va y avoir de l’activité au cours de la prochaine année? Les deux tiers des budgets d’un gouvernement, c’est aux Transports. Je pense qu’au niveau des immobilisations, c’est un des plus gros ministères.»

De son ancien ministère, Jacques Daoust a cependant voulu conserver le dossier de Bombardier et de l’investissement du gouvernement dans la C Series. «Parce que le dossier est fort avancé, dit-il. C’est un dossier qui est complexe et quand il sera terminé, il le sera tout simplement.»

Un autre dossier chaud auquel il devra s’attaquer est celui d’Uber. La multinationale du «taxi amateur» a d’ailleurs été accueillie plutôt froidement, la semaine dernière, en commission parlementaire. Le ministre a reproché à son directeur général, Jean-Nicolas Guillemette, de ne pas respecter la loi.

«On était dans l’enceinte du Parlement, je ne pouvais pas accepter ça. Je fais un appel à la raison, on ne devrait jamais dire qu’on ne respecte pas la loi», s’insurge Jacques Daoust, qui a vainement demandé à M. Guillemette de cesser ses opérations le temps d’adopter un cadre légal.

«J’ai rencontré [les gens d’]Uber à mon bureau et je leur ai redemandé ça. Et ils m’ont dit non. Vous connaissez l’expression latine dura lex, sed lex [dure est la loi, mais c’est la loi]? C’est exactement ça. J’ai donné une chance au coureur. Ce que je regarde actuellement, c’est comment Uber va réagir. Si la loi n’est pas suffisamment dure, elle le deviendra. Vous allez d’abord respecter la nation où vous vous trouvez», prévient le ministre.

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Si Philippe Couillard estime que c’est aux Transports que Daoust pourra le mieux exprimer son talent, c’est notamment en raison de ses contacts à la Caisse de dépôt. Daoust défend l’idée d’utiliser le «bas de laine des Québécois» pour investir dans des projets d’infrastructures publiques. Selon lui, cela ne va pas à l’encontre de son modèle économique.

«La Caisse, quand elle investit dans le transport sur le pont Champlain ou vers l’ouest de Montréal, elle le fait dans une perspective de rendement. Quand elle investit dans une infrastructure publique en Australie ou un aéroport en Angleterre, personne ne se pose de questions. Quand on le fait chez nous, tout le monde se pose des questions.»

Mais attention, tous les projets ne sont pas à sa portée. Le prolongement de la ligne bleue du métro de Montréal en est un bon exemple, selon le ministre. On sait maintenant que le projet pourrait coûter jusqu’à trois milliards de dollars, soit deux fois plus que ce qu’avait évalué l’Agence métropolitaine de transport.

«Ce serait difficile à concevoir parce qu’il serait difficile de dire: à partir de telle ou telle station, ça appartient au secteur privé ou à une coentreprise. La ligne bleue, ça serait assez improbable. Mais ça ne serait pas impensable que la Caisse investisse dans d’autres infrastructures, lance prudemment M. Daoust.

«Supposons qu’on décidait de faire un train rapide entre Montréal et Toronto, avance-t-il. La portion québécoise pourrait être une coentreprise entre un fonds d’investissement et la Caisse. Ce serait drôlement utile d’avoir ça.»

Mais Jacques Daoust n’est pas responsable que des infrastructures. Il a aussi la charge de l’électrification des transports, un thème qui prend de plus en plus d’importance dans les politiques de Philippe Couillard. Là-dessus, il partage l’enthousiasme du premier ministre.

«Ce que j’aurais aimé, c’est imaginer tout seul la notion d’électrification du transport. La façon d’aller un pas plus loin. J’aurais aimé être à l’origine de ce changement où l’électrification sera plus qu’un concept; on aura mis l’épaule à la roue et on verra les résultats», souhaite M. Daoust.

Avec cette politique vient aussi la mise en place d’une norme VZE, ou véhicule zéro émission, qui forcerait les constructeurs automobiles à offrir des véhicules électriques au Québec. Là-dessus, on sent qu’il marche sur des œufs.

«Je n’ai pas d’idée de faite. Le ministre qui est responsable d’avoir une pensée sur ça, c’est le ministre de l’Environnement, dit-il. Si j’étais complètement en désaccord, je demanderais à être relevé de la fonction, parce que je considèrerais que je n’accomplis pas le travail. Je n’ai pas vraiment d’idée arrêtée, mais j’ai un devoir d’exécution à partir du moment où j’accepte le poste.»

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Jacques Daoust n’a pas été ménagé dans les médias lors de son passage comme ministre de l’Économie. La rumeur court que ses relations avec le président d’Investissement Québec (IQ), Pierre Gabriel Côté, étaient tendues.

C’est un secret de Polichinelle que M. Côté, à la tête d’IQ depuis un an, n’était pas le premier choix de Daoust pour remplacer Mario Albert, nommé par Pauline Marois. Il avait plutôt suggéré la candidature de Pierre Lafrenière, ancien vice-président aux finances du temps où M. Daoust était lui-même à la tête d’Investissement Québec. Mais Philippe Couillard n’a pas suivi sa recommandation.

«Que j’avais préparé quelqu’un, c’est vrai. Qu’il n’a pas été choisi, c’est vrai aussi, admet Jacques Daoust. Mais ça ne change rien pour moi. Mes relations avec M. Côté sont excellentes. Ç’a été monté en exergue», plaide-t-il.

Toutefois, il n’y avait pas que cela qui clochait. Le bureau du premier ministre lui reproche également de faire dans la microgestion, alors qu’on veut une vision plus large de l’économie. «Jacques Daoust est un deal maker qui aime s’impliquer directement dans les dossiers, explique-t-on. Ça, c’est le travail d’Investissement Québec, pas celui du ministre.» Une critique que le principal intéressé met sur le compte de son passé.

«Quand tu as été banquier, tu connais bien du monde. J’ai plus de numéros dans mon cellulaire que Denis Lessard, ça veut tout dire. Les numéros de téléphone de la vaste majorité des présidents d’entreprise à Montréal, je les ai. Alors, quand tu fais une transaction, tu les connais», explique celui qui avait été présenté, en campagne électorale, comme le financier du trio économique de Philippe Couillard. «Mais il faut le prendre dans le contexte où il y en avait deux autres, Carlos Leitão et Martin Coiteux, qui sont plus macroéconomiques que je le suis. Je n’avais pas à assumer ce rôle-là», se défend M. Daoust.

À 68 ans, Jacques Daoust sera-t-il candidat à la prochaine élection? «De dire que pour les deux ou trois prochaines années je vais faire ça, parce que ça faisait neuf ans et demi que j’étais dans le même métier, je ne suis pas mécontent de ça», laisse-t-il planer…

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Espérons que les de l’ex banquier lui permettront également d’inclure dans ses beaux projets, le problème, semble-t-il insoluble, du financement et conséquemment de l’amélioration du service du transport en commun à Montréal au-delà du sempiternel verbiage de ses prédécesseurs.