«Je suis Badawi»

Le sort de Raïf Badawi aurait dû émouvoir ces défenseurs de la liberté d’expression qui se sont manifestés au lendemain de la tuerie de Charlie Hebdo. Mais on a l’impression de n’entendre que des murmures, dit Manon Cornellier.

Photo: Graham Hughes/La Presse Canadienne
Photo: Graham Hughes/La Presse Canadienne

PolitiqueIl y a une semaine, le blogueur saoudien Raïf Badawi a reçu 50 coups de fouet — les premiers des 1 000 qu’on lui a imposés —, en plus de 10 ans de prison, pour avoir lancé un appel pour une plus grande liberté de religion en Arabie saoudite.

Ce vendredi, les autorités saoudiennes ont reporté la seconde des 19 séances de flagellation à venir, parce que les plaies causées par la première n’étaient pas suffisamment guéries. Cynique «compassion», qui ne peut faire oublier la barbarie !

Le sort de M. Badawi, qui est lauréat 2014 du prix Reporters sans frontières pour la liberté de la presse, et dont la femme et les enfants sont réfugiés à Sherbrooke depuis 2013, aurait dû émouvoir ces défenseurs de la liberté d’expression qui se sont manifestés au lendemain de la tuerie de Charlie Hebdo.

Ce fut le cas à Sherbrooke — et depuis un moment déjà (M. Badawi est en prison depuis juin 2012). Même chose dans plusieurs autres coins du monde. Mais ailleurs, y compris à Ottawa, on a eu l’impression de n’entendre que des murmures.

Interpelé en conférence de presse mardi, le ministre du Développement international et de la Francophonie, Christian Paradis, a dénoncé la sentence.

Pour sa part, le ministre des Affaires étrangères, John Baird, a finalement émis, mercredi, sa première déclaration sur le sujet. Il y dit que «le Canada est vivement préoccupé par la flagellation publique de M. Raïf Badawi» et que «cette peine est une violation de la dignité humaine et de la liberté d’expression, et nous lançons un appel à la clémence dans cette affaire».

M. Baird rappelle que la promotion et la défense des droits de la personne est un élément important de notre politique étrangère. Il tient à préciser, cependant, que «le Canada maintient un partenariat actif et des relations franches et ouvertes avec l’Arabie saoudite, [qu’]il est persuadé qu’il peut jouer un rôle utile dans un grand nombre des problèmes de sécurité de la région. Nous allons entretenir un dialogue continu et respectueux avec l’Arabie saoudite à propos d’un certain nombre de dossiers, dont les droits de la personne.»

Il ajoute que son ministère a approché l’ambassadeur de l’Arabie saoudite à Ottawa et que l’ambassadeur du Canada à Riyad, Tom MacDonald, a rencontré le président de la Commission des droits de la personne et tenté d’obtenir un entretien avec le gouvernement saoudien.

M. Badawi n’est pas citoyen canadien, souligne-t-il pour expliquer que le Canada ne puisse faire beaucoup plus. Il n’est pas citoyen d’autres pays ou régions qui prennent quand même vigoureusement sa défense, de l’Union européenne aux États-Unis en passant par la Norvège.

Les pressions s’intensifient toutefois sur M. Baird, qui doit, selon le Globe and Mail, rencontrer le prince saoudien Turki al-Faisal au moment de son passage prochain à Davos. Le prince devrait aussi venir au Canada à la mi-février.

Le but de ces tête-à-tête n’est pas la défense des droits de la personne, ni des minorités religieuses, mais l’entretien des relations canado-saoudiennes, y compris économiques.

Le Globe rappelle qu’une société de la Couronne a conclu une entente d’une valeur de 10 milliards de dollars, l’an dernier, avec l’Arabie saoudite, pour y vendre des véhicules blindés légers faits au Canada. L’accord d’une durée de 14 ans pourrait permettre de maintenir plus de 3 000 emplois au Canada et ferait de l’Arabie saoudite le second plus important client de matériel militaire canadien.

Le royaume saoudien est pourtant un pays reconnu pour ses atteintes aux droits de la personne, dont la liberté d’expression et de conscience, ainsi que le traitement discriminatoire des femmes et des minorités religieuses. Et il y a son système de justice digne du Moyen Âge avec ses décapitations (plus nombreuses que celles perpétrées par le groupe armé État islamique), ses flagellations et sa torture.

Le gouvernement Harper s’est toujours targué de mener une politique étrangère fondée sur des principes solides. S’il dit vrai, M. Baird devrait lever la voix à l’occasion de ses rencontres des prochaines semaines, sinon il faudra que pour du fric, les principes de ce gouvernement sont solubles dans le sang et les abus des droits fondamentaux.

* * *

À propos de Manon Cornellier

Manon Cornellier est chroniqueuse politique au Devoir, où elle travaille depuis 1996. Journaliste parlementaire à Ottawa depuis 1985, elle a d’abord été pigiste pour, entre autres, La Presse, TVA, TFO et Québec Science, avant de joindre La Presse Canadienne en 1990. On peut la suivre sur Twitter : @mcornellier.

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Exactement, les Occidentaux sont très frileux quand il s’agit de respecter les droits de l’homme surtout avec des partenaires économiques comme les Chinois et les Saoudiens. Sur un autre niveau de folie, le commentaire de « l’honorable » me laisse dubitatif, ce doit être un de ceux qui sont pour le châtiment corporel progressiste? Peut-être considère-t-il qu’une femme abattue à bout portant pour adultère est une peine bien méritée.

« coups de fouets ». Avez-vous vu le fouet? Il n’est pas plus long que 60 cm. Avez-vous vu l’intensité des coups? Pas plus forts que (j’imagine) dans une séance sado-maso. (Une vidéo est disponible sur le web). « Plaies »? Les avez-vous vues? Y en-a-t’il? Des 3 peines, le $ 319 000 d’amende et le 10 ans de prisons sont de loin les pires. Pourriez-vous vous concentrer un peu moins sur la flagellation. Ou alors, si vous le faites, faites-le avec vidéos et documentation à l’appui au lieu de répandre ce qui me semble être des mythes urbains. Car quand vous parlez de « coups de fouets », il est clair que le public a en tête les coups donnés dans le sud américain par les esclavagistes ou les coups donnés par les Romains dans les films d’Hollywood. Pourtant vous ne nuancez nullement votre énoncé sensationnaliste.

Mais, je rêve ou vous n’êtes pas conscient « honorable »!

Vous rendez-vous compte que cette sentence fait suite non pas parce qu’il a tué, volé , violé…simplement parce qu’il a parlé?

10 ans de prison, 1000 coups de fouet

Parce qu’il a parlé!

On n’a pas besoin de vidéo pour réaliser que cela n’a pas de bon sens! C’est déjà bien assez clair!

Non, je rêve ou vous ne savez pas lire, M Desjardins. J’ai bien écrit: « Des 3 peines, le $ 319 000 d’amende et le 10 ans de prisons sont de loin les pires. Pourriez-vous vous concentrer un peu moins sur la flagellation. » C’est le 10 ans de prison et le $ 319 000 qui sont les plus scandaleux. Pourquoi se concentrer sur la flagellation?

Cher « honorable » , relisez votre texte et vous réaliserez que votre reproche s’applique plus à vous qu’à moi.

Mais,soyez sans inquiétude, vous êtes la preuve qu’ici vous pouvez dire ce que vous voulez vous ne serez pas « flagellé ».

Un tel commentaire est vraiment un déshonneur pour celui qui le fait. La torture est un crime international, point.

Pierre: le châtiment corporel est permis au Canada, aux USA, en France et dans 140 autres pays. Je pense que c’est de la « torture » selon votre définition, non? J’apporte cette info pour relativiser les choses et mettre fin à une forme de racisme qui s’entête à présenter les musulmans saoudiens comme pire qu’ils ne sont.

La vidéo de la séances de « torture » est disponible: 50 coups en 24 secondes malgré les 3 pauses de peut-être 2 secondes chacune du « tortionnaire » (0.36 secondes par coup en excluant les pauses): c’est dire la faiblesse de chaque coup. Impossible de frapper fort quand on frappe si vite, chère Mme Cornellier.

Je suis totalement et également estomaquée!
Je ne sais pas d’où vous venez ou ce que vous êtes pour vous donner le pseudo ` »honorable », mais un chose est certaine, vous faites dériver fondamentalement et déraisonnablement le débat!.
Quelle que soit la nature de la sentence, fouet, argent, prison, comme Mme Desjardins le mentionne, cette sentence a priori est complètement disproportionnée par rapport à l’offense dont il est dit coupable…

TAJ: je réoriente le débat vers ce qui est le plus disproportionné: le 10 ans de prison et le $ 319 000 d’amendes. Bien sûr que les 1000 coups de « fouet » sont disproportionnés aussi (personne n’a dit le contraire!). Mais entre 1 semaine de prison et 1000 coups de « fouet » tels que vus dans ce vidéo (ça prend 8 minutes au total), je choisis les 1000 coups de fouet et je suis loin d’être le seul. C’est vous dire que 10 ans de prison, c’est 500 fois pire. A trop se concentrer sur la flagellation, on oublie le plus disproportionné. Entre 10 coups de « fouet » et une prise de sang, je choisis 10 coups de fouet sans hésiter. Il est important de remettre en perspective cette « torture »… tout en rappelant que le châtiment corporel est permis au Canada, aux USA , en France et dans 140 autres pays!

Que l’Arabie Saoudite soit au coeur de l’intégrisme musulman du côté sunnite, laissant à l’Iran le monopole de la violence d’État côté chiite, on s’en fiche, ses dirigeants sont nos meilleurs alliés dans le combat contre Bachar El Assad, pourtant laïc mais gênant en raison de l’ampleur de ses interventions de police (!), d’excellents fournisseurs de pétrole, et une plate-forme pour l’armée américaine au Moyen-Orient. Bref, un merveilleux facteur de stabilité.
L’obscurantisme ne nous déplaît pas, tant que nos intérêts économiques et géopolitiques sont préservés.

Vous écrivez: « M. Baird rappelle que la promotion et la défense des droits de la personne est un élément important de notre politique étrangère », ce qui est complètement faux. D’abord, comme vous l’écrivez, le gouvernement Harper est d’une complaisance sans borne envers les abus des droits humains de l’Arabie Saoudite… et de bien d’autres pays. La puissance du pétrole oblige.

Mais ce n’est pas tout: ce gouvernement a tout fait pour empêcher les minières canadiennes d’être redevable des abus des droits humains qu’ils peuvent causer à l’étranger en empêchant la loi sur la responsabilité des entreprises et l’application de normes internationales de passer. Bien au contraire, il est tellement complaisant envers les minières qui abusent des droits humais que le Canada peut maintenant se vanter d’avoir la grande majorité des minières internationales enregistrées ici.

Ce gouvernement a poussé l’audace à aligner son aide internationale sur les intérêts de l’industrie canadienne – en d’autres mots, on se fiche bien de la situation précaire des gens dans d’autres pays si l’aide fournie par les contribuables canadiens n’aide pas aussi l’industrie canadienne. Ils tiennent en otage les ONG canadiennes qui se voient refuser les subventions fédérales si elles ne collaborent pas aux politiques commerciales du Canada comme Plan international qui a dû aligner ses interventions dans un pays d’Afrique sur le développement d’une mine exploitée par un minière canadienne.

C’est l’intérêt commercial du Canada qui prime bien avant les droits humains et l’Arabie Saoudite en est un très bon exemple.