Députée libérale à Québec de 2007 à 2022, Christine St-Pierre a été ministre de la Culture, des Communications et de la Condition féminine, de même que ministre des Relations internationales et de la Francophonie. Journaliste à Radio-Canada de 1976 à 2007, elle a été courriériste parlementaire à Québec et à Ottawa, puis correspondante à Washington.
Célébrer la Journée internationale de la Francophonie (le 20 mars), c’est se rappeler qu’il y a 320 millions de locuteurs francophones répartis sur les cinq continents, que le français est la cinquième langue parlée dans le monde et la troisième du milieu des affaires. C’est aussi se souvenir que le Québec a un rôle à jouer dans cet écosystème.
On prévoit qu’en 2050, le nombre de francophones atteindra 700 millions, dont 85 % vivront sur le continent africain. Le Québec, un État membre à part entière de l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF), a compris il y a longtemps qu’il pouvait développer à son avantage tout le potentiel que représente l’Afrique francophone dans ses relations internationales… et économiques.
Le positionnement du Québec par rapport à l’Afrique a changé dans les dernières années. En ouvrant, en 2018, ses premiers bureaux en Afrique — toute première délégation générale du Québec au Sénégal, ainsi que des représentations à Abidjan (Côte d’Ivoire) et à Rabat (Maroc) —, le gouvernement Couillard a fait des gestes concrets pour l’établissement de partenariats durables. À son arrivée en poste, la ministre caquiste Nadine Girault a poursuivi sur cette lancée et a créé la première Stratégie territoriale pour l’Afrique (Cap sur la relance : une action concertée durable sur le continent africain). Elle repose sur cinq piliers : l’économie, l’éducation et l’enseignement supérieur, la culture, la solidarité et les capacités institutionnelles.
Selon le gouvernement, cette stratégie donnera au Québec la capacité de renforcer son action internationale et d’établir des liens de coopération avec le monde francophone, particulièrement en Afrique. La mission en début d’année, à Dakar et à Abidjan, de la nouvelle ministre des Relations internationales, Martine Biron, accompagnée d’une délégation d’affaires, a affermi ce message. Elle a lancé le signal très clair de l’intérêt accru que portera le Québec à l’Afrique francophone au cours des prochaines années, d’après ce que m’a fait savoir l’ex-diplomate Michel Audet, qui a été chargé de mission pour l’Afrique.
S’il est incontestable que le renforcement de nos liens économiques peut être très avantageux pour nos entreprises québécoises, il ne faut pas oublier un autre élément important : la diplomatie doit tout de même composer avec la question des droits de la personne dans des pays où les visions sont souvent opposées aux nôtres.
On ne peut, au nom de l’économie, détourner le regard de la répression que subissent, par exemple, les homosexuels : sur le continent africain, 38 des 54 pays se sont dotés de lois qui criminalisent l’homosexualité. En Mauritanie, membre de l’OIF, cette orientation sexuelle est passible de la peine de mort. Au Sénégal, pays considéré comme l’un des plus stables de ce continent, elle peut entraîner des peines de un à cinq ans d’emprisonnement. Son influent président, Macky Sall, rejette toutes les critiques venues de l’Occident à ce propos.
Lors de la cérémonie d’ouverture du sommet de Madagascar, en 2016, le premier ministre du Canada, Justin Trudeau, a été rabroué à la suite d’une grande envolée en faveur des droits de la personne : « Puisqu’on est entre amis, on va se dire les vraies choses. Ici, on aime parler des droits, des libertés. Eh bien, les membres des communautés gaie, bisexuelle et transgenre souffrent dans trop de pays, y compris certains membres de la Francophonie », avait-il dit. Ce fut reçu froidement dans l’assistance, et le président Macky Sall a demandé aux pays occidentaux de se garder « d’imposer des modes de vie à l’Afrique et de respecter la différence africaine »… À ce même sommet, mon homologue malgache m’a confié que les ambassadeurs en poste dans son pays ne pouvaient déclarer un conjoint de même sexe. Il fallait plutôt déclarer « un(e) aide ménagère ».
Il n’est pas toujours facile de naviguer dans ces eaux diplomatiques mouvementées. À Djerba, en Tunisie, lors du dernier sommet en novembre, Justin Trudeau a refusé de rencontrer le président Kaïs Saïed, afin d’éviter de lui donner une importante vitrine à la suite de la modification de la Constitution qui lui octroie de tous les pouvoirs législatifs.
Contre toute attente, le premier ministre du Québec, François Legault, a pour sa part accepté de le rencontrer, expliquant qu’il voulait « laisser une chance à la démocratie ». Quelques semaines plus tard, à peine 11 % des électeurs se prévalaient de leur droit de vote aux élections considérées comme bidon, puisque le président détient dorénavant tous les pouvoirs. En plus, ce président qualifie les migrants subsahariens de « hordes d’immigrés au service de la violence, de crimes et d’actes inacceptables », et voit dans ces flots migratoires un grand complot pour déstabiliser la démographie de la Tunisie.
La secrétaire générale de l’OIF, Louise Mushikiwabo, dénonce du bout des lèvres ces dérives. À l’interne, sa capacité de gérer l’OIF est mise en doute. Depuis le début de son règne, trois chefs de cabinet sont partis, l’administrateur canadien Geoffroi Montpetit n’a pas eu de renouvellement de mandat et sa prédécesseure, Catherine Cano, avait plié bagage après quelques mois. Citant une source anonyme, le quotidien La Presse a rapporté qu’Ottawa s’interrogeait sérieusement : « La question est de savoir si le problème est vraiment l’administrateur ou l’administratrice. » Le climat créé par la secrétaire générale est délétère, selon le quotidien français Libération.
Cela fait beaucoup de mouvement en peu de temps. Nous verrons comment Caroline St-Hilaire, ex-députée bloquiste et ex-mairesse de Longueuil, pourra composer avec la situation — sa nomination comme administratrice devrait être confirmée en début de semaine, a annoncé dimanche Radio-Canada (une entente tacite veut que l’administrateur vienne du Canada).
Petit acteur sur la scène internationale, le Québec peut quand même se démarquer en francophonie — et cela, en dépit des moyens énormes que déploient les grandes puissances comme la Russie et la Chine, peu regardantes sur le respect des droits de la personne. Nous nous y investissons depuis 60 ans et, plus que les paroles, les gestes concrets — telles des ententes avec l’ENAP pour la formation d’administrateurs publics, ou encore dans le cadre de programmes de coopération pour les jeunes et les femmes — sont souvent porteurs d’espoir pour les populations locales, qui nous accueillent avec enthousiasme lors de nos missions de coopération (j’ai pu le voir à plusieurs reprises sur le terrain).
L’important, c’est de ne jamais hésiter à porter notre message lors de toutes les rencontres et sur toutes les tribunes.
Ayant participé au démarrage du réseau Biotechnologie et amélioration des plantes avec le professeur Yves Demarly, j’appuie entièrement le sens et les intentions de votre dernier paragraphe. J’ai d’ailleurs bénéficié des rencontres et publications en français qui en ont résultés. Votre long paragraphe qui le précède dit tout.
CA