Justice : comment on en arrive à des lois mal ficelées

De plus en plus souvent, le gouvernement Harper choisit non pas de présenter lui-même un projet de loi, mais de se ranger derrière un de ceux présentés par ses députés. Et ils sont étudiés de façon beaucoup moins approfondie par les parlementaires, explique Manon Cornellier.

Les conservateurs n’ont jamais caché leur volonté de serrer la vis aux criminels et depuis qu’ils sont au pouvoir, ils multiplient les projets de loi en matière de justice pour créer de nouvelles infractions, alourdir les peines et restreindre le droit à une libération conditionnelle ou à un pardon.
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Leur zèle en la matière inquiète depuis longtemps les groupes de défense des libertés civiles, car la constitutionnalité de plusieurs projets de loi est mise en doute.

D’ailleurs, plusieurs d’entre eux ont été contestés et ont vu certaines de leurs dispositions invalidées. C’est le cas, par exemple, de l’imposition quasi automatique de peine minimale pour possession illégale d’une arme à feu.

Tous les projets de loi présentés par le gouvernement doivent être passés au crible pour s’assurer qu’ils respectent la Constitution et la Charte des droits et libertés.

En décembre 2012, on apprenait que ce test était appliqué de façon très lâche — du moins, selon un ancien avocat du gouvernement fédéral, Edgar Schmidt, qui est allé jusqu’à poursuivre son propre ministère.

Cette semaine, c’est au tour du journaliste Sean Fine, du Globe and Mail, de mettre en relief une pratique préoccupante. De plus en plus souvent, le gouvernement choisit non pas de présenter lui-même un projet de loi, mais de se ranger derrière un de ceux présentés par ses députés. Les projets de loi de députés ont la particularité de ne pas être soumis à ce test destiné à en vérifier la conformité constitutionnelle.

Qui plus est, ils sont étudiés de façon beaucoup moins approfondie par les parlementaires. Les débats sont limités à quelques heures et les comités leur accordent rarement beaucoup de temps.

Selon Sean Fine, 25 des 30 projets de loi en matière de justice adoptés ou encore à l’étude en juin ont été présentés par des députés. Du lot, quatre ont reçu la sanction royale.

Le journaliste s’attarde au cas particulier du projet de loi C-479, qui limitera l’accès à une libération conditionnelle pour les détenus reconnus coupables surtout de crimes violents. L’enquêteur correctionnel Howard Sapers est outré, car un détenu qui verrait sa demande refusée devra attendre cinq ans avant de tenter sa chance à nouveau, et ce, peu importent les raisons du refus.

Ce projet (C-479) a été adopté à l’unanimité aux Communes même si le comité n’a entendu aucun expert de la Commission des libérations conditionnelles, et même si les députés ne le comprennent pas tous de la même façon, tant il est mal écrit.

Voilà le problème de procéder par la porte d’à côté pour légiférer sur des questions aussi importantes que la réhabilitation des détenus ou l’aide aux victimes. Les garde-fous habituels ne jouent plus, et on court le risque d’adopter des mesures contraires à la Charte. Elles finiront souvent par être contestées, ce qui a toutefois un coût financier et humain.

Il vaudrait nettement mieux que le gouvernement fasse ses propres devoirs, et les fasse bien.

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À propos de Manon Cornellier

Manon Cornellier est chroniqueuse politique au Devoir, où elle travaille depuis 1996. Journaliste parlementaire à Ottawa depuis 1985, elle a d’abord été pigiste pour, entre autres, La Presse, TVA, TFO et Québec Science, avant de joindre La Presse Canadienne en 1990. On peut la suivre sur Twitter : @mcornellier.

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Si le projet à été adopté le ‘unanimité il faudrait croire que les libéraux, le NPD, le parti vert et autres inconnus sont d’accord avec la poli que des conservateurs. Pourquoi je vote aux prochaine sélections?

Ré « Elles finiront souvent par être contestées, ce qui a toutefois un coût financier et humain. »
Et c’est probablement ce que le gouvernement Harper désire : comme ça, ils pourront se tourner vers leur base religieuse et solliciter encore plus d’appui pour pouvoir mener le combat de la vertu religio-conservatrice face à l’hydro athéo-communiste et aux juges activistes!