Justin Trudeau : partira, partira pas ?

Tous les astres s’alignent pour un affrontement Trudeau-Poilievre et une bataille pour l’âme du Canada à la prochaine élection fédérale.

Le 15 septembre à la Chambre des communes, Justin Trudeau serre la main de Pierre Poilievre pour la première fois depuis l’accession de ce dernier à la tête du Parti conservateur. (Photo : Sean Kilpatrick / La Presse Canadienne)

Diriger épuise, et diriger longtemps épuise immensément : après trois élections, il est normal qu’un leader politique tâte son désir de continuer. Si Justin Trudeau demeure chef libéral et premier ministre jusqu’à la fin prévue de son mandat en 2025, il aura été à la tête du Canada pendant une décennie. 

Pourtant, tout concourt à ce qu’il reporte encore un peu l’heure de sa retraite.

Bien que le premier anniversaire ce mois-ci de sa deuxième élection à la tête d’un gouvernement minoritaire rappelle son pari raté de retourner prématurément aux urnes à l’automne 2021 afin d’obtenir un mandat majoritaire, lui seul décidera de son avenir. Justin Trudeau reste le maître du jeu. L’entente de collaboration conclue avec le Nouveau Parti démocratique (NPD) en mars lui assure une paix d’esprit quant aux possibilités de renversement de son gouvernement à la Chambre des communes. Les aspirants à sa succession n’ont aucune velléité putschiste, selon les échos de corridors à Ottawa. Et surtout, il mourrait d’envie de donner une raclée électorale à Pierre Poilievre, le nouveau chef de l’opposition officielle, élu à la tête du Parti conservateur du Canada grâce à sa victoire sans appel contre Jean Charest et les conservateurs progressistes en septembre.

Déjà en mars dernier, lorsque Justin Trudeau s’était fait interroger sur son avenir, il avait été catégorique : « Comme je l’ai dit à plusieurs reprises, j’espère continuer à servir les Canadiens au-delà de la prochaine élection. » Son ami et secrétaire principal de 2015 à 2019, Gerald Butts, a réitéré ce message sur Twitter à la fin août : « Je ne pense pas qu’il s’en ira où que ce soit. Si ses adversaires continuent à le sous-estimer, ce sera à leurs risques et périls. » 

Il pourrait ne s’agir que de boniments partisans. Après tout, rares sont les chefs qui annoncent à l’avance leur départ. Mais même loin des micros, à peu près tout le monde dans l’équipe libérale croit la même chose, compte tenu du désir très fort de Justin Trudeau de laisser sa marque dans l’histoire… et de battre le record de longévité de Wilfrid Laurier, figure emblématique du Parti libéral du Canada (PLC), chef de 1887 à 1919 et premier ministre de 1896 à 1911.

Le chef libéral voudra mettre en évidence le gouffre entre « sa vision du Canada » et celle de Pierre Poilievre. « C’est son héritage qui est en jeu », laisse tomber une stratège.

« Il voudra remporter un quatrième mandat consécutif. Ce serait la première fois qu’un chef libéral réussirait cet exploit depuis Laurier », dit un stratège qui, comme les trois autres interrogés, a demandé à ne pas être identifié, afin de pouvoir parler plus librement. Cela permettrait aussi à Justin Trudeau de faire mieux que son paternel, dont la série de mandats consécutifs s’était arrêtée à trois après la défaite de 1979 aux mains de Joe Clark. Pierre Elliott Trudeau était redevenu premier ministre en 1980.

« Je sais qu’il souhaite être là et c’est certainement le plan de rester en place, abonde un ancien proche conseiller. Il pense qu’il a encore quelque chose à accomplir et qu’il a été ralenti par son statut minoritaire et par la pandémie. » Selon cette même personne, « l’arrivée de Pierre Poilievre à la tête des conservateurs le conforte dans cette position qu’il peut battre celui-ci. […] Ils sont un peu l’antithèse l’un de l’autre et le premier ministre a un esprit combatif. Ça fait partie de sa personnalité. Il n’est pas du genre à chercher à échapper au combat. Au contraire. Il va vouloir l’affronter. » 

Tous ne sont pas aussi catégoriques. Un autre ex-conseiller de Justin Trudeau croit que son ancien patron restera seulement si les troupes libérales réussissent à « définir » le rival conservateur comme un politicien « trop extrême » auprès de l’électorat. Ce qui fait dire à une quatrième personne interrogée que le chef libéral voudra mettre en évidence le gouffre entre « sa vision du Canada » et celle de Pierre Poilievre. « C’est son héritage qui est en jeu », laisse tomber la stratège.

Justin Trudeau a d’autant plus la mainmise sur l’échéancier électoral que l’entente qu’il a signée en mars avec le chef du NPD, dans laquelle le gouvernement s’engage à mettre en œuvre certaines priorités néo-démocrates, lui garantit qu’il ne sera pas renversé. Jagmeet Singh n’a aucun intérêt à écourter le mandat des libéraux. « Il obtient le meilleur des deux mondes : le gouvernement n’est pas conservateur et le NPD pousse pour faire des gains », analyse Karl Bélanger, animateur à la radio en Outaouais et chroniqueur à L’actualité, qui a été conseiller de l’ancien chef néo-démocrate Jack Layton, décédé en 2011. Selon l’ex-député néo-démocrate au Nouveau-Brunswick Yvon Godin, l’entente a été bien accueillie par les militants du parti de gauche. Tant que le NPD pourra leur démontrer qu’il fait des gains, il aura la légitimité de maintenir Justin Trudeau au pouvoir.

Il n’y a pas que le NPD qui facilitera les choses pour Justin Trudeau. Ses aspirants successeurs aussi. Bien des libéraux rêvent de prendre la relève du fils prodige. Les noms des ministres Chrystia Freeland, Mélanie Joly, François-Philippe Champagne et Anita Anand résonnent souvent, et celui de Marco Mendicino parfois. On évoque également Mark Carney, qui a été gouverneur de la Banque du Canada et de la Banque d’Angleterre, quoique les avis divergent à son sujet, certains faisant valoir que, si la politique l’intéressait vraiment, il aurait tenté de se faire élire aux Communes en 2021. 

Des intéressés, il y en a donc plusieurs. Mais peu d’entre eux semblent pressés. « Il n’y a pas de Brutus dans les rangs », estime la stratège libérale. Elle n’est pas la seule à le dire. Dans les coulisses du parti, tout le monde répète en chœur qu’il n’existe aucune rivalité comparable à celle qui avait sévi entre Jean Chrétien et Paul Martin au début des années 2000. Personne ne poussera donc Justin Trudeau vers la sortie, pas même celle qu’on présente comme la favorite de l’establishment du PLC, Chrystia Freeland. 

Pourtant, elle aurait des raisons de s’impatienter, pensent certains qui la voient comme la grande perdante de l’entente avec le NPD. Étant étroitement associée à son chef, surtout depuis son accession au prestigieux poste de ministre des Finances il y a deux ans, elle aura de plus en plus de difficulté à incarner le renouveau à mesure que son patron s’éternisera à la tête du parti. D’ailleurs, c’est peut-être ce qui explique pourquoi son nom circule pour aller diriger l’OTAN.

Et les électeurs dans tout cela ? Pourraient-ils, eux, se lasser de Justin Trudeau et réclamer un changement de garde ? Les sondeurs sont ambivalents. Certes, Justin Trudeau n’est plus le moteur du PLC qu’il a été pendant sa longue lune de miel de 2015 à 2017, admet Christian Bourque, vice-président chez Léger. Mais il n’y a pas non plus « de chiffres qui laissent penser qu’il est un boulet » pour sa formation. Ses coups de sonde lui indiquent que Pierre Poilievre a moins le potentiel d’attirer vers lui les libéraux déçus que ne l’aurait eu son rival éconduit Jean Charest. Cela l’amène à croire que Justin Trudeau a probablement raison de vouloir rester.

Le sondeur Nik Nanos apporte un bémol. Selon lui, Justin Trudeau aurait intérêt à se faire porteur de nouveaux thèmes et à remiser ses dadas habituels que sont l’environnement, l’égalité des genres et la réconciliation autochtone. « Il y a une certaine fatigue de l’électorat qui estime que le gouvernement a passé assez de temps sur ces enjeux », dit-il. Cela permettrait surtout au premier ministre de convaincre la population qu’il veut accomplir autre chose que simplement battre Pierre Poilievre. Il devrait se souvenir de Stephen Harper : « En 2015, il a eu l’air de vouloir rester au pouvoir seulement pour éradiquer les libéraux. » Et depuis, c’est Justin Trudeau qui dirige le Canada.

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Ce ne sont pas que les troupes libérales qui cherchent déjà à définir Poilièvre comme un politicien trop extrême auprès de l’électorat canadien. Ce sont les médias et les nombreux alliés que le gouvernement libéral a acheté avec l’argent des contribuables depuis qu’il est au pouvoir. Tous ces gens là, et ils sont nombreux,
déploieront toute leur énergie et leurs moyens pour faire réélire le gouvernement actuel. J’espère pour ma part que les Canadiens ne reporteront pas au pouvoir un parti qui administre mal les finances et les services publics, qui use sans cesse de tactiques malhonnêtes au Parlement pour dissimuler la vérité et imposer ses projets et qui est dirigé par un homme qui est motivé bien davantage par son égo que par une quelconque vision pour le Canada.

@ Carole On peut effectivement constater que certains médias on tendance à « démoniser » Pierre Poilievre. Mais de là à dire qu’ils sont à la solde du gouvernement, permettez-moi de vous dire que vous pousser le bouchon pas mal loin. Je crois qu’on peut encore avoir confiance dans les médias, surtout ceux établis depuis longtemps, pour nous donner des informations fiables. Ils sont un lien important entre les citoyens et le gouvernement. Je crois également en la rigueur de leurs journalistes. Si vous voulez un peu plus de diversité, je vous suggère d’aller lire le National Post; et après, dites-moi que tous les médias appuient le gouvernement.

Vous devriez lire les journaux de Québécor ou de SUN pour vous rendre compte que les média sont loin de supporter le gouvernement.

Ha ! Toujours les mêmes histoires des Trumpistes: c’est la faute aux journalistes, aux élections truquées et aux «élites» mais jamais soi-même. Néanmoins, le chef conservateur Poilièvre a le don de se tirer dans le pied et il est loin d’être certain que sa défaite serait due à Trudeau ou aux médias; il est très capable de faire çà lui-même.

M. Trudeau doit une fière chandelle aux conservateurs qui ont choisi Poilièvre comme chef, un chef qui sort du jurassique et qui appuie les Freedom Convoys. Mais, les libéraux sont très capables de se défaire eux-mêmes si des scandales de corruption éclatent encore dans les deux prochaines années. On sait que c’est un parti qui aime bien jouer avec les mots et la corruption et il arrive qu’ils ne peuvent s’empêcher de mettre la main dans le bocal se l’argent des contribuables à leurs propres fins et à celles de leurs amis. On verra bien si l’histoire ne se répétera pas.

D’un autre côté, le sondeur Nanos donne des conseils bien étranges. Les libéraux devraient oublier l’environnement et pourquoi pas les changements climatiques ? Sérieusement, vous pensez réellement que les électeurs s’en foutent alors que beaucoup d’entre nous voient leur vie chamboulée par des événements incroyables du climat ? Quant à la question autochtone, Nanos joue avec le feu car si on met cette question de côté, on risque gros du côté des jeunes qui en ont marre du colonialisme canadien et qui sont une relève qui ne se laissera pas marcher sur les pieds. D’autre part, on peut s’attendre à ce que les tribunaux réprimandent encore les gouvernements pour ne pas agir avec honneur et dignité face à leurs revendications territoriales et à l’autodétermination.

Quant à la question de l’égalité des sexes (ce que Nanos en bon anglo-canadien appelle le genre), il oublie que les femmes représentent la moitié des électeurs et qu’elles ont leur mot à dire en politique. Dire que «l’égalité des genres» est du passé est se mettre le doigt dans l’œil très profondément et abandonner cette question pour de «nouveaux thèmes» (remarquez, «accomplir autre chose» mais il ne dit pas laquelle) pourrait se retourner contre eux. C’est à croire que ledit Nanos est un conservateur qui veut faire planter les libéraux pour que les conservateurs puissent prendre le pouvoir…