La clé de l’élection: le choix des progressistes

Plusieurs indices laissent croire que la réflexion est en cours chez les électeurs progressistes. Ils hésitent. Leur choix déterminera la couleur du gouvernement lundi, explique Alec Castonguay.

Photo : La Presse canadienne

De passage à Montréal mercredi, Justin Trudeau a évoqué pour la première fois la possibilité qu’il ne soit plus premier ministre lundi soir. « Le 22 octobre, on pourrait se réveiller avec un gouvernement dirigé par Andrew Scheer », a-t-il dit, entouré de plusieurs candidats libéraux au Jardin botanique.

Les chiffres lui donnent raison. Depuis une semaine, les spécialistes des projections de sièges montrent une égalité entre les libéraux et les conservateurs. Parfois, le PCC a un mince avantage, parfois c’est le PLC. C’est extrêmement serré. Le brouillard est dense.

Le chef libéral n’a pas lancé cette phrase par hasard. Il cherche à secouer les anti-conservateurs. Pour l’emporter lundi, il doit rallier les progressistes actuellement au Parti vert, au NPD et au Bloc québécois et qui pensent encore que Justin Trudeau va l’emporter sans trop de difficulté le 21 octobre.

Selon un récent coup de sonde Abacus, les électeurs bloquistes, néo-démocrates et verts croient largement que les libéraux vont l’emporter. C’est du deux pour un dans certains cas (NPD et Bloc).

Là où ces chiffres prennent du relief, c’est lorsque Abacus demande aux bloquistes, verts et néo-démocrates quelle couleur de gouvernement ils souhaitent. Rouge ou bleu? Les deux tiers (66 %) souhaitent un gouvernement libéral.

Et parmi les bloquistes, verts et néo-démocrates qui pensent que Trudeau va gagner, la majorité est écrasante : 94 % des néo-démocrates, 90 % des verts et 74 % des bloquistes qui pensent que Trudeau va l’emporter souhaitent que ce soit le cas.

Ça fait beaucoup de monde. C’est à eux que le chef libéral parle depuis quelques jours.

Et c’est là que réside la clé de voûte de l’élection fédérale 2019 : les électeurs verts, néo-démocrates et bloquistes qui se définissent comme progressistes vont-ils rester avec leur parti ou se déplacer vers les libéraux pour barrer la voie aux conservateurs?

Plusieurs indices nous laissent croire que cette réflexion est en cours chez ces électeurs. Ils hésitent.

Quatre coups de sonde consécutifs (Ekos, Léger, Nanos et Mainstreet — les deux derniers font des sondages quotidiens, disponibles derrière des murs payants) montrent que la progression du NPD et du Bloc québécois a cessé depuis quelques jours. Leurs intentions de vote ont atteint un plateau. Le Parti vert, lui, stagne depuis près de deux semaines.

C’est particulièrement visible au Québec et en Ontario, deux provinces importantes lors de cette élection, où une majorité d’électeurs souhaitent une victoire de Justin Trudeau sur Andrew Scheer. Il n’y a qu’en Colombie-Britannique où la poussée du NPD semble se poursuivre (mais la taille des échantillons des sondages dans cette province nous incite à la prudence).

Selon la maison de sondage Ekos, 35 % des électeurs néo-démocrates et 29 % des électeurs verts ont le Parti libéral comme deuxième choix. Et ce sont chez ces deux formations que le vote est le moins solide actuellement.

Voilà pourquoi Jagmeet Singh se promène en demandant aux électeurs de voter « avec leur cœur », pendant que Justin Trudeau abat ses cartes pour rallier les progressistes et les anti-conservateurs, pour lesquels quatre ans de purgatoire pour les troupes conservatrices, ce n’est pas très long.

Selon le plus récent sondage Léger, au Québec, 51 % des répondants se disent « inquiets » par le retour des conservateurs au pouvoir, alors que 35 % ne souhaitent pas un nouveau mandat libéral.

Yves-François Blanchet dénonce une campagne de peur des libéraux, espérant garder à bord ses électeurs, mais il n’est pas aidé par un Andrew Scheer qui fait campagne en demandant un gouvernement majoritaire et qui dévoile depuis le début de la semaine ce qu’il ferait dans les 100 premiers jours d’un gouvernement conservateur, rendant cette possibilité très concrète — son premier geste serait d’abolir le prix sur le carbone imposé par les libéraux aux provinces qui n’ont pas de plan crédible pour lutter contre les changements climatiques. Le Bloc peut toutefois compter sur un vote nationaliste et souverainiste un peu plus stable que le NPD et les verts.

S’il y a un mouvement des électeurs de gauche et de centre gauche vers le Parti libéral d’ici lundi, Justin Trudeau se maintiendra au pouvoir, fort probablement à la tête d’un gouvernement minoritaire. Si rien ne bouge, si les électeurs actuellement au Bloc québécois, au NPD et au Parti vert sont à l’aise avec leur choix et ne se déplacent pas, tous les scénarios sont possibles.

Bien des gens vont prendre une décision dans les 48 dernières heures avant le scrutin, et certains, directement dans l’isoloir (ça pourrait aller jusqu’à 10 % des électeurs qui prennent leur décision au Jour J, selon le sondeur Jean-Marc Léger — pour écouter notre balado sur les sondages, c’est par ici).

Ça promet une fin de campagne sur les chapeaux de roue et une soirée électorale imprévisible !

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À quelques heures à peine du vote, nous ne ferons pas pour la nième fois le procès de notre système électoral, ni celui de notre système politique, ni celui de notre modèle constitutionnel… Quant à moi, je laisserai ce débat à d’autres… Mais… admettons-le… à l’ère du multipartisme… dans une campagne électorale plutôt bipolarisée… il n’est pas excessivement facile et simple et évident de voter exclusivement, seulement et essentiellement avec ce que commande notre cœur.

Dans cette ère de nouvelles plus ou moins vraies, de manipulation ou d’orchestration volontaire ou involontaire de l’information, dans cette époque merveilleuse où le « big data » est roi… comment faire pour ne laisser parler que son cœur, quand le cœur est parfois trompé ? Quand quelquefois on se dit qu’on pourrait être ou avoir été manipulé.

Ce dilemme déjà présent dans la tragédie antique : la raison du cœur et la raison de la raison (appelée aussi : raison d’État dans le siècle des Lumières), ce choix quelquefois déchirant est dans l’instant présent : omniprésent.

Je me garderai bien de dire aux électeurs ce qu’ils doivent faire. Je me contenterai d’évoquer ici ma seule expérience : lorsqu’en d’autres temps je profitais très souvent du vote par anticipation, mon choix était arrêté rapidement, je relève que depuis quelques scrutins : provinciaux, municipaux et fédéraux, je vote le jour du vote et parfois en fin de journée seulement.

Cela m’est arrivé de prendre ma décision dans l’isoloir et de voter pour un candidat ou une candidate tout autre que celui d’un parti qu’en principe je soutenais (je pense tout particulièrement à la dernière élection provinciale) et mon vote a permis de faire élire ce ou cette candidate dans un vote serré.

Il est très probable compte-tenu de la donne, que je vote le 21 octobre pour le parti ou la candidate ou le candidat qui soit à même de former le moins mauvais gouvernement, n’en déplaise à monsieur Singh ou monsieur Blanchet. Ils auront peut-être un jour ma voix lorsque l’un ou l’autre de ces protagonistes pourront me démontrer et me prouver qu’ils formeront le prochain gouvernement du Canada, pas celui d’un pays de rêve ou d’un pseudo-pays.

Il est possible que d’autres électeurs.ices se retrouvent dans mes propos. Somme toute, observer la réalité n’est pas le fruit de la raison ou d’une stratégie très élaborée, c’est simplement faire expression de la vertu dans un monde qui ne l’est définitivement plus. C’est en toute loyauté, démontrer que le droit de vote a encore une valeur qu’aucune démocratie ne saurait inévitablement retrancher.

Justement, si tout les progressistes se disent la même chose, il n’y aura jamais de changement et on se dirige la tête la première dans la catastrophe. Les 2 partis majeurs ont fait à peu près la même chose au cours des dernières décennies et penser qu’ils seront différents le 22 octobre est de la folie. L’avantage des libéraux c’est d’avoir beaucoup de belles paroles et de dire ce que les progressistes veulent entendre mais le lendemain du scrutin, c’est business as usual. Les conservateurs ont au moins la décence d’être moins hypocrites !

Si tout le monde qui était dans la rue ces dernières semaines pour l’environnement votaient selon leur conscience, on pourrait se débarrasser des deux vieux partis mais on sait tous que ça n’arrivera pas. C’est là où le bât blesse.

@ NPierre,

Merci pour vos commentaires. Comme vous dites : le bât blesse… en effet. Cependant, je ne pense pas qu’on puisse se libérer du joug de l’oppression par seulement des pensées magiques. Cela prend de l’organisation, de la discipline, de l’ordre, une volonté commune largement partagée.

Au chapitre de l’hypocrisie, je n’embrasse pas votre jovialité. Je ne pense pas qu’un seul parti politique ait le monopole de l’hypocrisie et franchement je ne sais pas comment mesurer qui est plus ou qui est moins hypocrite. Selon moi, on est hypocrite ou on ne l’est pas. Et… c’est peut-être la politique et l’exercice du pouvoir qui rend les gens comme cela.

Je vous souhaite de voter … si ce n’est déjà fait ; selon votre conscience, ce guide qui nous conduit quelquefois à toute forme de dépassement.