Les nations construisent leur réputation par l’image autant que par la force. Dans le monde d’aujourd’hui, en tout cas celui qui prévalait en 2020 avant le coronavirus, le pouvoir de convaincre est devenu plus important que la puissance militaire. Par leur réputation, les pays rivalisent pour attirer les talents, les investissements et les touristes.
Il n’est pas surprenant que la pandémie se soit rapidement transformée en guerre d’images et de propagande. Le président Trump persiste par exemple à nommer la pandémie le « virus chinois ». La propagande chinoise, pour sa part, réécrit l’histoire et fait naître le virus en Italie…
Pendant que le torchon brûle entre les deux puissances mondiales, la Chine met en place un important effort de diplomatie médicale. Elle propose déjà des ressources humaines et matérielles au reste du monde. C’est Pékin, pas Washington ou Bruxelles, qui a fourni l’Italie en matériel médical. Le Canada recevra des millions de masques de la part de l’État chinois, un retour d’ascenseur après l’aide canadienne à Wuhan en février. La Chine a même poussé l’effort jusqu’à envoyer 1 000 respirateurs artificiels à l’État de New York, l’épicentre américain de la COVID-19. Pour subvenir aux besoins, la Chine a multiplié sa production quotidienne de masques par cinq depuis un mois.
Si l’aide chinoise est la bienvenue partout, l’amalgame commercial n’est jamais bien loin. Par exemple, le fondateur de la plateforme de commerce Alibaba, Jack Ma, a fait don début mars d’un million de masques au Japon et à l’Iran. L’entreprise de télécommunication Huawei y est pour sa part allée d’un don de masques, de lunettes protectrices et de gants au Canada. Cette générosité tombe à point nommé alors que l’administration Trump tente de limiter les exportations de masques du géant 3M vers le Nord. Le conseiller pour le commerce du président, Peter Navarro, avait lui-même accusé la Chine de placer des restrictions à l’exportation des convoités masques N-95. Le pari de la diplomatie médicale est que l’aide chinoise contribuera à amoindrir les différends diplomatiques là où s’est installée une importante tension, dont au Canada.
Au cœur de cette nouvelle guerre très très froide : la course au vaccin. Les scientifiques chinois ont d’ailleurs fait bonne impression en publiant rapidement le génome du virus, alors que le partage d’informations n’est pas la plus grande force de Pékin. Une façon de montrer le leadership de la Chine, au moment où les États-Unis ferment les frontières aux étrangers, aux vérités scientifiques et à l’autocritique par rapport à leur gestion de la crise. La découverte chinoise d’un vaccin donnerait à Pékin une arme de choix dans cette guerre diplomatique. En plus de la réputation, plusieurs estiment que le pays qui fera la découverte initiale contrôlera l’approvisionnement à court terme.
Une telle éventualité pourrait bien venir marquer un jalon de plus dans ce que plusieurs appellent déjà le déclin de l’empire américain. La crise actuelle fera mal à la réputation des États-Unis. Elle met d’ailleurs en lumière certaines de ses plus grandes faiblesses.
1. L’isolationnisme
Depuis quelques années, les Américains ont perdu l’appétit de la scène internationale, tant du point de vue scientifique qu’économique. Lors de l’apparition du VIH, comme lors de la crise économique de 2008, c’est vers les États-Unis que tous les yeux se sont tournés pour organiser la réponse internationale. Aujourd’hui, les Américains se sont choisi un président qui a fait campagne sur le repli identitaire, en promettant un coup de frein à la mondialisation. Les États-Unis ressemblent à ces empires hégémoniques du passé devenus incapables de soutenir l’ensemble de leur territoire étendu et se recentrant sur la capitale… Pendant ce temps, la Chine a augmenté ses investissements dans la diplomatie internationale, par exemple ses contributions aux Nations unies, son investissement dans les forces de paix et a multiplié sa présence culturelle avec les instituts Confucius dans différents coins du monde.
2. Les inégalités sociales
Tous les Américains ne profitent pas équitablement de l’avancement de cette société. Une part importante d’entre eux vivent dans des conditions précaires et le système de santé privé limite l’accès aux soins. Comme la majorité des Américains détiennent une assurance par le truchement de leur employeur, la vague de licenciements liée au confinement a de quoi inquiéter. Aussi, le système américain est très décentralisé, ce qui limite la capacité de l’État à faire appliquer des directives claires par un chapelet d’entreprises indépendantes. Si plusieurs se consolent en espérant que les Américains mettront le mercantilisme de leur système de santé entre parenthèses le temps d’une pandémie, les inégalités et l’absence de filets sociaux contribueront à la propagation, surtout chez les moins nantis. D’ailleurs, les Afro-Américains comptent pour le tiers des hospitalisations alors qu’ils ne forment que 13 % de la population. Cet écart est criant aussi dans les décès. Du Wisconsin à la Louisiane, en passant par Chicago, les Noirs comptent pour plus du deux tiers des morts, bien qu’ils ne représentent qu’environ 30 % de la population. La moitié des Américains se disent sous-assurés et, pire, 10 % de la population du pays le plus riche au monde n’a aucune assurance-maladie. Les États-Unis demeurent un des rares pays industrialisés à ne pas offrir de congé de maladie. En bref, face à une infection potentielle, de nombreux Américains n’ayant pas droit à un congé payé et craignant la perte de leur emploi se présenteront au travail et contribueront à faire de cette pandémie une infection exponentielle.
3. La direction des ressources
Les Américains ont beaucoup augmenté leurs dépenses militaires à la suite du 11 septembre 2001. Comme les États ont des budgets limités, d’autres secteurs ont été sous-financés durant la même période. La science et la recherche sont deux des secteurs qui ont été touchés. Par exemple, le budget de la lutte contre les infections a été amputé du tiers (en dollars constants) depuis 2010. La même année, la Chine dépassait les États-Unis pour le nombre de chercheurs. Ironiquement, en mai 2018, l’administration Trump a démantelé le bureau de préparation aux situations d’urgence dans un effort de minimiser les coûts. Le pays le plus riche semble s’être trompé d’ennemi. Les tanks ne serviront à rien et le système de santé approche la pleine capacité. Cette pandémie permettra peut-être de réaligner les priorités américaines et de construire des nouvelles trames narratives du héros américain et du patriotisme. Peut-être verrons-nous des infirmières saluées au prochain Super Bowl ?
Peut-être sera-ce seulement une occasion pour les Américains de remettre en cause leur destinée manifeste face à des nations qui ont mieux géré la situation, ont mieux soigné leurs malades et se sont serré les coudes derrière des leaders plus rassembleurs que celui qui les guide ?
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Excellente analyse. Espérons que les Américains auront bientôt un président plus compétent.
Avec l’ère industrielle, le concept d’hégémonie a été élaboré et popularisé par Vladimir Ilyich Ulyanov plus connu dans l’histoire sous le nom de Lénine. L’hégémonie se réfère plutôt à la notion de classes plus qu’à celle proprement dite de pays.
La structure dans laquelle nous vivons, confère à une élite — ceux qui détiennent le capital (physique ou moral) -, le droit d’exercer cette hégémonie sur toutes les autres classes ; insufflant ses valeurs, ses principes, son mode de vie, etc. Du temps de Lénine, c’était la bourgeoisie qui insufflait ses valeurs aux classes inférieures.
Dans l’antiquité, l’hégémonie se rapportait plutôt à la puissance militaire ou politique. En Grèce il y avait deux puissances hégémoniques : La puissance militaire de Sparte et la puissance politique d’Athènes.
À l’heure actuelle, peu de pays exercent une véritable hégémonie militaire. Les États-Unis restent la première puissance, elle est depuis quelques temps concurrencée à nouveau par la Russie, la Chine est sur le papier la troisième puissance. Il existe entre les puissances militaires une sorte de statu quo. Il est depuis la fin de la 2ième guerre mondiale rare qu’elles s’opposent frontalement. Un des éléments modérateurs, c’est d’abords les coûts afférents à toutes formes d’interventions.
Les relations internationales soutenues qui régulent le commerce et donc la prospérité, propulsent le concept d’hégémonie à l’économie politique. Ainsi c’est la souscription au libéralisme qui détermine l’orientation de tous les États. Depuis une quarantaine d’années, le libéralisme s’est muté en une forme plutôt néolibérale.
Parce que les plus grandes capitalisations boursières sont toujours aux États-Unis, on pourrait dire que ce pays exercerait une triple hégémonie : militaire, financière, politique. Mais l’argent est aussi placé en grande quantité par des étrangers. C’est donc l’ingénierie financière qui retire la part du lion. La Chine se rapproche, mais n’exerce pas encore cette position dominante.
Suite à cette pandémie et aux coûts exorbitants qu’elle aura. Un retour à l’étatisme n’est pas à exclure où que ce soit. C’est pourquoi les néolibéraux réclament un nouveau « Brenton Woods » permettant en quelques sortes à Washington de continuer de mener la danse.
Étant donné que nous ne savons pas qui sortira le premier le vaccin (ce pourrait-être aussi le fruit de la coopération) ni quel sera son efficacité, il me semble un peu prématuré — à moins de disposer d’un don de voyance extra-lucide hors pair -, de déterminer qui exercera la suprématie absolue dans ces prochains mois. Je pense qu’il faudra un peu plus qu’un vaccin pour modifier les grands équilibres existants.