Vice-président de l’agence de relations publiques TACT, Pascal Mailhot a gravité dans les hautes sphères comme conseiller politique au cabinet du premier ministre du Québec successivement pour Lucien Bouchard, Bernard Landry et François Legault. Il a aussi occupé différents postes de cadre supérieur dans le réseau de la santé, notamment à l’hôpital Maisonneuve-Rosemont à titre de porte-parole.
En pleine canicule à la mi-août, la politique est en pause, à quelques semaines de l’effervescence d’une campagne électorale à l’automne. C’est dans cette période de flottement que le ministre de la Santé, Christian Dubé, choisit d’annoncer que la Coalition Avenir Québec s’engage, si elle est réélue, à créer une nouvelle structure pour améliorer la gouvernance du système de santé. Nommée « Santé Québec », cette agence sera le fer de lance du Plan pour mettre en œuvre les changements nécessaires en santé.
L’ambition affichée par le ministre est de séparer la gestion du réseau de la santé des opérations sur le terrain. Cette transformation, insiste-t-il, sera l’occasion de « décentraliser » et « débureaucratiser », de rendre plus « imputable » le réseau de la santé. Des mots qui résonnent peu à l’oreille de la population, alors occupée à ses activités estivales. L’annonce, pour l’essentiel, passe sous le radar. « Un show de boucane », dénonce Monsef Derraji, porte-parole du Parti libéral du Québec en matière de santé, qui n’y voit que des changements cosmétiques dans l’organigramme du Ministère.
Quelques semaines auparavant, la sous-ministre de la Santé et des Services sociaux, Dominique Savoie, avait pourtant démontré le sérieux de la démarche en présentant une série de recommandations pour redéfinir les rôles du Ministère et du réseau de la santé. Son rapport, intitulé Une gouvernance renouvelée du réseau de la santé et des services sociaux, laissait planer peu de doute sur les grands gestes à venir.
Étonnamment, la campagne menant aux élections générales du 3 octobre fera l’impasse sur cet engagement phare. Voilà pourtant un beau « hochet », comme avait l’habitude de dire Jacques Parizeau à propos d’une proposition ou d’une nouvelle susceptible d’accrocher l’attention médiatique. La promesse a beau être formulée par un parti politique presque assuré de demeurer à la tête de l’État, les commentateurs médiatiques effleureront à peine le sujet.
Il faut croire, comme l’avait admis candidement l’ancienne première ministre du Canada Kim Campbell en 1993, que « l’avenir des programmes sociaux est trop important pour être débattu en campagne électorale » !
Apparition soudaine
Sitôt de retour au bureau après les élections, Christian Dubé convoque ses hauts fonctionnaires, ordonnant immédiatement la préparation d’un projet de loi pour créer Santé Québec. Il vise un dépôt au cours de la session parlementaire d’hiver, puis une mise sur pied à partir de l’été 2023.
Les mandarins échangent alors entre eux un regard décontenancé, envahis de torpeur, me dit-on. S’ils doutaient encore de la volonté du ministre de mettre en route cette énième réforme des structures du réseau de la santé, force est maintenant d’admettre qu’ils n’y échapperont pas. Attachez vos tuques, ça va brasser !
C’est un peu comme dans la comédie dramatique Déni cosmique (Don’t Look Up), avec Leonardo DiCaprio. Il n’est plus possible de nier la chute prochaine d’une grosse comète sur la Terre — ou, dans le cas présent, d’un changement majeur dans le réseau de la santé : tout est visible dans le ciel.
Le débat est lancé. Les réactions vont dans toutes les directions. « C’est vraiment du n’importe quoi », tonne le président du Syndicat des professionnelles en soins de l’Est-de-l’Île-de-Montréal, Denis Cloutier. « Nous savons que personne ne sera imputable, car leur grande expertise, c’est de prendre des décisions dans le réseau de la santé sans qu’il y ait personne d’imputable. » Pour Éric Duhaime, « c’est un peu l’initiative de Ponce Pilate, qui veut se laver les mains et politiquement se déresponsabiliser ». Le chef conservateur invite plutôt Christian Dubé à se concentrer sur ses projets d’hôpitaux privés. D’autres, comme le président de la Fédération des médecins spécialistes du Québec (FMSQ), Vincent Oliva, trouvent le concept prometteur, tout en souhaitant des résultats rapides.
De quoi aura l’air cette nouvelle bibitte ? Tant que le projet de loi n’est pas déposé à l’Assemblée nationale, il est difficile d’en tracer un portrait précis. Mais en gros, Santé Québec sera responsable des activités quotidiennes dans les hôpitaux, les cliniques — bref, des opérations sur le terrain, ce qui laissera au Ministère un rôle limité à la planification, l’orientation, la mesure de la performance et le budget du réseau.
Santé Québec sera composée d’une « petite équipe », a précisé le ministre dans une entrevue donnée au journal Le Devoir. Son président-directeur général et les membres de son conseil d’administration seront nommés par le gouvernement. Les 35 PDG des CIUSSS et des CISSS en relèveront directement. Qu’adviendra-t-il des conseils d’administration de ces 35 établissements ? On verra… dans le projet de loi.
Il s’agira d’une loi costaude, de type « mammouth », a révélé Le Devoir. On sait aussi que quelque 400 fonctionnaires rattachés aux équipes des technologies de l’information et des infrastructures du Ministère seront mutés à la nouvelle agence. Pour le reste, le ministre se garde de donner trop de détails.
Une idée qui ne date pas d’hier
Déjà au début des années 2000, le rapport de la commission présidée par l’ancien ministre Michel Clair suggérait la création d’une agence nationale ou d’une « société d’assurance santé du Québec ». Plus récemment, la commissaire à la santé et au bien-être, Joanne Castonguay, dans son rapport sur la performance des soins et services sociaux aux aînés durant la pandémie de COVID-19, conviait aussi à une « transformation radicale de la gouvernance ». Une recommandation reprise à la page 75 du Plan santé de Christian Dubé. On y cite d’ailleurs le père de la commissaire, qui est également qualifié de « père de l’assurance maladie ». En 2008, l’ancien ministre Claude Castonguay constatait qu’« au plan de la gouvernance, un changement de culture s’impose. Présentement, le ministère de la Santé est engagé dans la micro-gestion du système, les processus décisionnels procèdent du haut vers le bas, le contrôle budgétaire est strict et à courte vue et les missions des établissements ne sont pas clairement définies. »
Le projet de Christian Dubé s’apparentera-t-il au fameux « Hydro-Québec de la santé », un concept évoqué au fil des années, notamment par l’ancien président du Collège des médecins, Yves Lamontagne ? Le fondateur de l’Action démocratique du Québec, Jean Allaire, avait aussi proposé en 2009 un nouveau modèle de gestion de la santé basé sur la structure d’Hydro-Québec, c’est-à-dire créer une société d’État avec un seul actionnaire : le gouvernement du Québec.
Se pose alors la question du niveau d’autonomie de la nouvelle structure par rapport au gouvernement. « C’est le ministre qui va dire : voici votre budget », précise Christian Dubé. Une telle transformation placera-t-elle la partie « opérationnelle » du réseau de la santé à l’abri des interventions politiques ? D’aucune façon le ministre ne dit vouloir se déresponsabiliser des problèmes en santé. « Je reste imputable, je structure autrement. »
« L’une des clés de la réussite sera sans aucun doute de procéder à la nécessaire décentralisation souhaitée par nombre d’acteurs du milieu, alors que des années de réformes sont allées dans le sens inverse », écrit Caroline Senneville, présidente de la Confédération des syndicats nationaux (CSN), dans une lettre ouverte publiée en janvier dernier. Il est vrai qu’au fil des différentes réformes, la centralisation et la bureaucratisation du réseau se sont accentuées, ce qui a érodé le sentiment d’appartenance qui existait jadis dans des établissements gérés à l’échelle locale.
« Il faudra une bonne dose de vraie décentralisation, m’a confié Michel Clair récemment. Les services de proximité des CLSC, des CHSLD et des GMF devraient rendre des comptes à une autorité locale selon une approche souple et non uniforme à la grandeur du Québec. Là, les communautés embarqueraient dans un Santé Québec moteur de changement et non pas bulldozer de nivellement », estime l’ancien ministre péquiste.
La création de Santé Québec n’est certainement pas une panacée aux maux qui affligent le réseau de la santé. Christian Dubé veut toutefois en faire son legs politique. Le défi est ambitieux, mais le ministre a déjà prouvé son habileté à surmonter les obstacles jusqu’à devenir le politicien le plus apprécié au Québec, selon le dernier baromètre des personnalités de Léger.
Cependant, la véritable réussite de Santé Québec sera déterminée par la capacité de la future agence à apporter des améliorations concrètes et durables au réseau de la santé pour la population québécoise.