La foire aux questions de Qc125

À trois dodos du Noël des aficionados de la politique québécoise, notre collaborateur de l’agrégateur de sondages Qc125 répond aux questions que vous lui posez le plus fréquemment.

John Rensten / Getty Images

Chaque semaine à L’actualité, Philippe J. Fournier vous fait part des mouvements dans l’humeur collective et de leur influence sur les intentions de vote. Avec le modèle numérique qu’il a élaboré, il se sert des tendances qui se dégagent des très nombreux sondages effectués auprès de l’électorat québécois afin de déterminer qu’untel a de bonnes chances d’être élu, qu’un autre devra travailler fort dans les coins pour sauver son siège, ou encore que la course est trop serrée pour que le résultat soit prévisible.

C’est une machine complexe qui vous inspire bien des questions. Il tente, dans ce qui suit, de satisfaire votre curiosité.

Comment est établie la projection du vote ?

Le modèle numérique Qc125 calcule une moyenne pondérée des sondages qui tient compte des chiffres nationaux et de leurs découpages régionaux et démographiques. Les paramètres de ce calcul sont les suivants : la taille de l’échantillon du sondage, les dates pendant lesquelles il a été effectué et la cote de la maison de sondages qui l’a publié.

Ainsi,

  • Un sondage de 3 000 répondants possède plus de poids dans la pondération qu’un sondage de 800 répondants, par exemple ;
  • Plus un sondage vieillit, plus son influence dans la pondération s’estompe. La demi-vie d’un sondage (si on peut s’exprimer ainsi) s’accélère plus on s’approche du jour du vote, de telle sorte que la veille de l’élection, seuls les tout derniers sondages entrent dans les calculs ;
  • Un sondage d’une maison bien cotée vaudra son pesant d’or comparé à un autre réalisé par une maison au passé récent plus difficile, pendant lequel elle a publié des enquêtes d’opinion aux résultats diamétralement opposés à ceux des concurrents.

Comment ces intentions de vote projetées peuvent-elles donner une projection de sièges précise ?

Le mouvement des intentions de vote au niveau local est souvent (en fait, presque toujours) lié au mouvement national.

Un exemple pour illustrer ce phénomène : à l’élection de 2012, le Parti québécois a récolté 33 % des suffrages. Un an et demi plus tard, à l’élection de 2014, la formation souverainiste obtenait 25 % des voix, une perte de huit points au niveau national par rapport à l’élection précédente. Le PQ a-t-il perdu huit points dans chaque circonscription ? Non, mais il a quand même perdu du terrain dans 124 des 125 circonscriptions par rapport à 2014 (l’exception : Pascal Bérubé dans Matane-Matapédia). Pendant ce temps, le Parti libéral du Québec passait de 32 % en 2012 à 41 % en 2014 et augmentait sa part du vote dans… les 125 circonscriptions.

Bref, les électeurs bougent souvent en bloc. Nous n’assistons pas à 125 élections indépendantes, mais à des courses interreliées dans la vaste majorité des cas. Le mouvement n’agit pas avec la même force dans chaque région, mais il va généralement dans une direction en particulier, à quelques exceptions près.

Autre exemple, celui de l’élection de 2018, où le PQ a vu sa part du vote de 25 % récoltée à l’élection de 2014 diminuer à 17 % ; ses performances étaient aussi à la baisse dans 117 des 125 circonscriptions. Quant au Parti libéral, il est passé de 41 % à 25 % et a reculé dans… 125 circonscriptions.

Certes, les disparités régionales existent, et c’est en étudiant les comportements passés et les mouvements démographiques que l’on peut estimer la part du vote dans chacune des circonscriptions, même si les chiffres associés à ces dernières comportent un plus haut niveau d’incertitude que les chiffres nationaux.

Pourquoi y a-t-il une marge dans les projections de sièges ? La CAQ est par exemple projetée gagnante dans 97 circonscriptions pour le moment, mais elle pourrait en gagner entre 80 et 105 ?

Si je me présentais à la télévision tout confiant et affirmais haut et fort que la CAQ va gagner exactement 97 sièges (en cognant mon point sur le bord de la table en plus), cela ferait probablement de la meilleure télé que si je disais que le résultat est probabiliste et suit une courbe de probabilité en forme de cloche (semblable à une distribution normale, ou gaussienne).

Par exemple, voici les dernières courbes de projection de sièges pour la CAQ et le PLQ :

Ce que ces graphiques nous indiquent, c’est que la CAQ est présentement projetée comme favorite dans 97 circonscriptions, mais que sa récolte de sièges pourrait descendre jusqu’à 80 (dans le pire des scénarios pour ce parti) ou grimper jusqu’à 106 (dans le plus favorable), selon le résultat du vote (qui, lui aussi, comporte une marge d’incertitude). Pour le PLQ, nous remarquons que la projection est de 18 sièges avec un intervalle entre 10 et 26 sièges.

Ces fourchettes contiennent 95 % des scénarios les plus probables (le fameux 19 sur 20). C’est ce qu’on appelle les intervalles de confiance des projections.

Il est important de souligner que l’incertitude des projections n’est pas un bogue, mais bien une propriété du modèle. Le modèle est incertain, car les chiffres sont incertains.

Comment sont établies les projections pour ce qui est des circonscriptions ? Par des sondages locaux ?

Lorsque des sondages locaux sont accessibles, ils sont ajoutés aux calculs du modèle en parallèle avec les sondages nationaux et régionaux. Évidemment, les sondages locaux constituent un outil précieux pour apporter des ajustements quand des phénomènes passent sous le radar des sondages nationaux — en particulier dans des circonscriptions où des candidats-vedettes peuvent faire pencher la balance. Toutefois, la prudence est de mise. Les sondages de circonscriptions comportent généralement un niveau élevé d’incertitude (les échantillons sont souvent plus petits).

Néanmoins, sans vouloir négliger l’importance des candidats locaux lors d’une campagne, peu d’entre eux sont réellement capables de faire bouger l’aiguille de façon significative. Ces candidats existent, bien sûr, mais ils sont l’exception plutôt que la règle. Des sondages passés ont mesuré cette tendance : une forte majorité des électeurs votent d’abord et avant tout pour le parti et pour le chef. Les candidats capables de faire mieux que leur propre parti et de remporter la circonscription d’eux-mêmes se comptent sur les doigts de la main (disons les doigts des deux mains).

Comment doit-on interpréter les intentions de vote projetées dans une circonscription par rapport aux « probabilités du vainqueur » ?

Les probabilités de victoire sont un concept souvent mal compris. Je persiste à les ajouter aux pages des circonscriptions, car ce n’est pas en évitant le concept que les lecteurs vont apprendre !

Commençons la leçon ! Le modèle fonctionne avec un simulateur de type Monte-Carlo : il effectue des milliers de simulations en changeant quelque peu les paramètres du modèle chaque fois. En compilant les données des simulations, nous obtenons les moyennes, les intervalles de confiance ainsi que les probabilités du vainqueur dans chaque circonscription.

Dans des circonscriptions où il y a une réelle course entre les candidats, ces probabilités vont naturellement fluctuer durant la campagne. Ceci n’est pas anormal : quand les chiffres changent, les probabilités de victoire changent aussi.

L’incompréhension du public vient souvent avec le fait de ne pas saisir ce que les chiffres signifient en réalité. Si, par exemple, à un certain point de la campagne, le candidat de la CAQ dans une circonscription X possède 83 % des chances de gagner et le candidat libéral, 17 %, certains diront « victoire assurée de la CAQ », non ?

Non. Nous devrions plutôt dire « victoire probable de la CAQ », car les 17 % de chances que le PLQ l’emporte sont l’équivalent de lancer un dé et d’obtenir un 6. Une victoire du PLQ n’est donc pas le scénario le plus probable, mais ce n’est pas impossible non plus.

Nous classons les circonscriptions en catégories selon les chances de gagner du candidat favori :

  • Solide (c’est dans la poche, à moins d’une catastrophe) : probabilités de victoire supérieures à 99,5 % (ou plus de 199 fois sur 200) ;
  • Probable (c’est presque dans la poche, mais on n’est pas à l’abri d’un imprévu qui changerait le résultat) : probabilités de victoire entre 90 % et 99,5 % ;
  • Enclin (la confiance est au menu, mais de nombreux électeurs pourraient changer d’idée) : probabilités de victoire entre 70 % et 90 % ;
  • Pivot (lançons les dés !) : probabilités de victoire de moins de 70 %.

Est-ce que le modèle Qc125 prend en compte l’effet que peut avoir un candidat-vedette dans une circonscription ?

La réponse courte est oui. Il y a une variable ajoutée pour les candidats-vedettes, comme les chefs de parti, les ministres et autres personnes bien connues.

Toutefois, cette variable est très compliquée à évaluer, car, comme mentionné plus haut, la forte majorité des députés sont élus grâce à la bannière sous laquelle ils se présentent et le profil du chef de leur parti. Donc, prédire quels candidats auront une personnalité plus importante quel leur profil est une tâche hautement incertaine — même pour les chefs de parti !

Jean Charest a perdu dans Sherbrooke en 2012, Pauline Marois a perdu dans Charlevoix en 2014 et Jean-François Lisée a perdu dans Rosemont en 2018. Ce ne sont pas tous les chefs qui bénéficient d’une prime à l’urne.

Quel avait été le taux de succès du modèle Qc125 dans les projections de sièges circonscription par circonscription en 2018 ?

En 2018, la première version du modèle Qc125 avait correctement prédit 112 des 125 gagnants, soit un taux de réussite de 90 %. Aux dernières élections fédérales, c’est 312 des 338 vainqueurs (92 %) qui ont été correctement prédits.

Le modèle n’est pas parfait. Il ne peut pas l’être. Nous étudions un système dynamique multidimensionnel avec des données incomplètes sur des électeurs qui n’agissent pas toujours de façon rationnelle.

Sauf que, pour comprendre l’état de la course, je vais me fier bien plus à des sondages et à des projections qu’à un politicien qui affirme « ah, ce n’est pas ça que j’entends sur le terrain ! » sept jours sur sept et 24 heures sur 24.

Les commentaires sont fermés.

Imaginez ce qui arriverait si un nombre croissant d’électeurs, méfiants envers les médias et les maisons de sondages, commençaient à mentir aux sondages. Tous ces modèles tomberaient par terre! Je crois qu’il y a eu un appel dans ces sens dans le champ trumpiste en 2020.
Bon, en attendant ce scénario catastrophe, Qc125 et d’autres sites comme 538 aux États-Unis, font un travail remarquable et nécessaire pour la démocratie. Merci!

Faudrait m’expliquer avec sérieux et méthode comment les sondages sont nécessaires et contribuent à assurer la »démocratie » au lieu d’influencer ceux qui ne manifestent pas suffisamment d’intérêt pour se renseigner par eux mêmes et ainsi se faire leurs propres opinions. Bien sûr, il a les gouvernements qui par manque de convictions et/ou par opportunisme électoral ou autre sont disposés à se fier à 800 participants a un sondages pour gouverner au lieu de le faire pour répondre aux besoins réels.

Monsieur Fournier applique avec rigueur les règles des probabilités et statistiques avec ce modèle numérique QC-125. Son travail est digne de mention. C’est la science qui parle vraiment.

Les résultats qu’il nous présente sont donc éminemment plus fiables que les propos partisans des politiciens et de leurs supporters ou les commentaires des analystes et chroniqueurs qui nous disent qu’il y a encore un suspense ou des enjeux importants dans cette élection.

Le seul point d’incertitude est sur le nombre de siège que va remporter chaque parti, ce qui ne va rien changer à la fin soit un gouvernement de la CAQ majoritaire. La certitude est de 99% d’après QC-125.

Il ne faut pas oublier que le modèle n’est pas une prédiction, c’est un portrait de la situation au moment présent.
M. Fournier lui-même l’a rappelé ce matin.
Et Léger l’a déclaré récemment au sujet des sondages : ce ne sont pas des prédictions, c’est une photographie du moment présent.

Heureusement, sinon les campagnes électorales seraient inutiles.
En 2018, au début de campagne, la CAQ et le PLQ étaient nez à nez, QS traînait de l’arrière à 8% et ne semblait pas destiné à avoir plus de 3 députés, 4-5 au mieux, tous à Montréal. Quant au PQ, bien qu’en retard sur les meneurs, il catacolait bien devant QS.
Et je ne parle pas d’élections surprises comme la vague orange de 2011, celle de Trudeau en 2015 alors qu’il avait commencé en 3e place, la défaite de Marois en 2014 alors que la seule question semblait être à savoir si elle serait majoritaire ou minoritaire.