La machine à fabriquer du vide

Sur fond de ballet diplomatique sur la question de la Syrie dans les grandes capitales, l’été politique canadien a été dominé par l’aveu du chef du troisième parti à Ottawa qu’il avait consommé de la marijuana au cours de sa vie de député.

Photo : Reuters / Mike Cassese
Photo : Reuters / Mike Cassese

Par sa confession publique et la promesse de légaliser ladite substance, Justin Trudeau a volé la vedette au premier ministre, Stephen Harper, et au chef de l’opposition officielle, Thomas Mulcair (tout en faisant un ménage préventif de son placard.)

Au nombre des paradoxes actuels au Canada, il y a le fait que la conversation politique s’apparente de plus en plus à du bavardage, alors que Harper et Mulcair, qui devraient animer le débat à titre de principaux chefs fédéraux, sont tous les deux des hommes de contenu.

Dans l’ouvrage Shopping for Votes, publié cet automne, ma collègue du Toronto Star Susan Delacourt affirme, recherches à l’appui, que la vacuité croissante du propos politique canadien n’est pas un accident.

Elle résulterait plutôt du fait qu’une partie importante de la classe politique a troqué ses habits d’officiant de l’État contre ceux de marchand du temple. De citoyens convoqués aux rites d’une société démocratique, les électeurs sont devenus, aux yeux de ceux qui convoitent leurs votes, des consommateurs qu’on cherche à fidéliser en s’appuyant sur les règles de l’art du marketing commercial.

Selon l’auteure, aucun parti n’a autant adapté les techniques du clientélisme à ses objectifs que celui de Stephen Harper. Au-delà de l’image, c’est le discours conservateur dans son ensemble qui est filtré à travers le tamis du marketing.

• Le populisme à la Tim Hortons que cultive le chef conservateur ne reflète en rien la personnalité distante du premier ministre. Il s’agit de l’emballage qui correspond le mieux aux goûts de la clientèle recherchée par son parti.

• Les propos, presque robotisés, qui sortent de la bouche de ses députés n’ont pas pour objectif d’alimenter intelligemment la conversation publique, mais de marteler le message — le plus simple possible — conçu par les faiseurs d’image du parti.

• La mise à l’écart de la presse parlementaire découle de l’utilité tout à fait relative de cette dernière dans les nouvelles stratégies de communication de la classe gouvernante. Armés d’une banque de données personnelles de plus en plus élaborée, les partis — conservateur en tête — sont à même de découper l’électorat en tranches de plus en plus minces et de cibler des messages de plus en plus pointus. La notion d’auditoire pancanadien devient alors une abstraction.

Les trois victoires électorales de Harper témoignent du succès de la recette, mais celle-ci comporte ses effets pervers. Delacourt note entre autres la disparition de la ligne entre le cycle électoral et la gouvernance, laquelle est désormais au service des impératifs d’une campagne permanente.

Dans un monde où le client a toujours raison, personne ne lui dira que l’habit qu’il aime le mieux ne lui convient pas. De plus en plus, les partis fédéraux préfèrent remettre cinq cents dans la poche de chaque contribuable que d’en convaincre 20 d’investir un dollar dans l’infrastructure sociale de la collectivité.

Enfin, les politiciens s’approprient les méthodes de marketing commercial tout en se soustrayant, au nom de leur statut d’agents démocratiques, aux critères de rigueur auxquels l’entreprise privée est soumise. Et contrairement aux grandes chaînes, qui s’astreignent à ne pas faire de marketing sur le dos de leurs concurrentes, les partis se vilipendent à qui mieux mieux, avec pour résultat, note l’auteure, que de plus en plus d’électeurs décrochent de la politique.

Le Parti conservateur n’a déjà plus le monopole du marketing 2.0. Susan Delacourt raconte comment, en prévision des dernières élections fédérales, le NPD avait trimé dur pour mettre sa machine et son discours au même diapason.

Ironie de la chose, la vague orange québécoise qui a donné au résultat du NPD, en 2011, son caractère historique a été obtenue à l’ancienne, à coups de discours rassembleurs, plutôt qu’à l’aide des nouvelles techniques de pointe du marketing politique. C’est peut-être parce qu’au Québec le « nous » collectif est trop enraciné dans les mœurs pour que la stratégie axée sur le « je » que décrit Susan Delacourt dans son livre soit vraiment efficace. Mais pour combien de temps ?