
Caucasienne, hétérosexuelle, diplômée des plus grandes universités américaines (Wellesley College et Yale), mère de famille, ex-première dame, épouse dévouée et politicienne d’expérience : Hillary Clinton a tout pour elle.
Sa popularité est telle qu’un sondage récent estimait que près de 60 % de la population américaine avait une vision favorable d’elle, plus d’un an après qu’elle eut quitté son poste de secrétaire d’État — et ce, malgré le fait que les républicains continuent de la pointer du doigt en ce qui concerne les attentats de Benghazi.
Plus encore, un sondage Gallup classait Clinton au premier rang des femmes les plus admirées aux États-Unis pour l’année 2013.
En fait, si Hillary Clinton, ainsi qu’une poignée d’autres femmes — comme Condoleezza Rice (ex-secrétaire d’État sous l’administration Bush) et Elizabeth Warren (sénatrice démocrate de l’État du Massachusetts) — présentent le profil nécessaire à l’emploi, force est d’admettre que le chemin menant à la Maison-Blanche demeure de loin plus ardu pour les femmes.
Si Clinton décide de se lancer de nouveau dans cette conquête, la première étape majeure qu’il lui faudra franchir est d’obtenir la nomination de son parti.
En effet, si elle remportait les primaires démocrates en 2016, elle deviendrait la première femme à représenter l’un des deux grands partis à des élections présidentielles.
Bien que depuis 1872, plus de 35 femmes se soient déjà présentées aux élections présidentielles sous la bannière de partis de moindre envergure, la nomination de Clinton aux termes des primaires démocrates représenterait la première véritable occasion pour une femme d’accéder à la présidence.
L’illusion de l’égalité
Le mythe de l’«égalité-déjà-là» semble bien implanté au sein de la société américaine. Pire encore, il semble en pleine expansion.
Selon les plus récents sondages, 55 % de la population estime qu’il n’y a plus d’inégalités entre les hommes et les femmes, alors que ce pourcentage n’était que de 38 % en 1993.
En ce sens, il semble plus qu’à propos de rappeler que l’élection potentielle d’Hillary Clinton en 2016 ne représente guère une finalité pour les femmes qui luttent pour l’égalité.
Si l’accession de Clinton au poste de présidente témoigne certainement des avancées des droits des femmes aux États-Unis, elle ne représente en aucun cas l’avènement d’une quelconque égalité. D’ailleurs, son élection pourrait éventuellement avoir un effet pervers, soit celui de renforcer le mythe de l’«égalité-déjà-là».
Des droits en péril : «the war on women»
Bien au-delà des écarts salariaux et du plafond de verre auxquels se butent les femmes, ce qui inquiète le plus les mouvements de femmes aux États-Unis est ce retour de bâton auquel elles assistent depuis quelques années.
Plusieurs, dont de nombreux membres du Parti démocrate, estiment que les États-Unis vivent actuellement une nouvelle période de «backlash» semblable à celle vécue au cours des années 1980.
Si quelques indicateurs semblent infirmer cette thèse, dont l’augmentation du salaire moyen des femmes et l’augmentation du taux de diplomation des femmes, d’autres révèlent une tendance inquiétante visant à remettre en cause des droits durement acquis par les femmes.
L’exemple du droit à l’avortement est à ce titre flagrant. L’arrêt Roe c. Wade, légalisant l’avortement aux États-Unis, fêtait ses 40 ans en 2013. Au cours des années 1970 et 1980, plusieurs recours judiciaires ont été intentés pour renverser cet arrêt.
Ceux-ci se sont avérés infructueux, comme le démontrent les arrêts Webster c. Reproductive Health Services et Planned Parenthood c. Casey. Ainsi, jusqu’au début des années 2000, l’intégrité de l’arrêt Roe c. Wade a pu être relativement préservée.
Toutefois, il semble que l’on assiste à un accroissement exponentiel des législations qui restreignent les droits liés à la santé reproductive des femmes à l’échelle des États.
En effet, en 2011 uniquement, plus de 1 100 législations concernant la santé reproductive ont été déposées. Parmi celles qui furent adoptées, 68 % limitaient directement l’accès à l’avortement.
Ces restrictions prennent différentes formes. Elles visent d’abord les femmes qui souhaitent avoir un avortement en imposant des consultations obligatoires, des périodes d’attente, une nouvelle limite d’âge et des examens médicaux intrusifs supplémentaires.
Elles visent également les cliniques offrant l’avortement en leur imposant des normes si élevées qu’elles sont quasi impossibles à atteindre.
Une fois adoptées, ces lois résultent habituellement en une baisse importante du nombre de cliniques qui permettent l’avortement (voir à ce sujet l’exemple très récent du Texas). Et donc, alors qu’en 2000, seulement «13 États présentaient au moins quatre types de restrictions importantes à l’avortement et étaient considérés comme hostiles au droit à l’avortement», ce nombre est grimpé à 27 au cours de l’année 2013.

Si Hillary Clinton devient présidente, le milieu féministe accueillera certainement bien la nouvelle. Les militantes prendront probablement un moment pour célébrer la nomination de la toute première présidente des États-Unis.
Néanmoins, dès le lendemain, elles reprendront la lutte pour réduire les inégalités qui persistent, de même que pour protéger leurs droits si durement acquis et encore remis en question.
Véronique Pronovost
Chercheure en résidence, Observatoire sur les États-Unis
Chaire @RDandurand @UQAM
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À lire aussi :
Les États-Unis sont-ils mûrs pour leur première présidente ?
(Analyse d’Élisabeth Vallet paru dans Le Devoir le mardi 18 mars 2014)
Hillary l’«inévitable» ?
(Billet d’Amélie Escobar publié sur le site Web de L’actualité le mercredi 12 mars 2014)
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