La réforme Dubé, ou le cauchemar des oppositions

Quand un gouvernement dépose un projet de loi majeur comme celui de Christian Dubé, les partis d’opposition partent avec un gros désavantage. Notre collaborateur explique.

Jacques Boissinot / La Presse Canadienne / montage : L’actualité

Dominic Vallières a, pendant plus de 10 ans, occupé les postes d’attaché de presse, porte-parole, rédacteur de discours et directeur des communications auprès d’élus de l’Assemblée nationale et des Communes (Parti québécois, Bloc québécois, Coalition Avenir Québec). Il est directeur à l’agence TACT et s’exprime comme analyste politique à QUB radio.

Fin avril 2016, 5 h 15. J’ouvre l’œil et, dans les secondes qui suivent, mon iPad, afin de lire ma revue de presse. Je ne travaille plus en politique active depuis quelques semaines, mais je la suis toujours aussi avidement, et en voyant la une de La Presse+, je suis pris d’un vertige. On y annonce un système léger sur rail, le réseau électrique métropolitain (REM), pour desservir l’ouest de Montréal et sa banlieue.

« Tab*****, le PQ  n’aura rien à répondre à ça, le gouvernement aura toute la patinoire pour lui tout seul. » Le cauchemar de tout parti d’opposition.

Au fil du temps, nos critiques à ce propos se sont raffinées (comme mon langage, du reste). Certaines portaient davantage que d’autres, mais il nous aura fallu du temps pour trouver à redire à ce projet, et je n’ai probablement pas été le seul à Québec à commencer cette journée-là par un mot d’église.

C’est aussi de cette façon que les partis d’opposition de l’assemblée législative actuelle ont dû réagir le 28 mars dernier, lors du dépôt du projet de loi qui créera l’agence Santé Québec (PL15).

Quand un projet de loi de cette envergure est déposé, ça fait des mois qu’il existe dans la tête du ministre, de son cabinet, de ses collègues du gouvernement et de ses fonctionnaires. Les discussions pour en arriver à un tel document — dans ce cas-ci plus de 300 pages, près de 1 200 articles — sont longues et les arbitrages sont nombreux. En d’autres termes, l’équipe est en pleine possession de ses moyens lorsque le ministre se lève à l’Assemblée nationale pour procéder au dépôt. Les partis d’opposition, eux, partent pratiquement de zéro.

C’est un avantage non négligeable pour le gouvernement, alors que les médias font énormément de place dans leurs pages et leurs émissions au contenu du projet de loi et aux premières réactions.

Dans ce cas-ci, les oppositions ont eu droit à un breffage technique le matin du dépôt, mais on ne peut pas prendre connaissance d’un document aussi volumineux et lourd de conséquences et, quelques heures plus tard, en offrir une critique point par point. Aussi intelligents soient les porte-paroles libéraux, solidaires et péquistes en matière de santé, c’est impossible.

Ensuite, les oppositions sont aux prises avec leur propre dynamique interne. Quand Gabriel Nadeau-Dubois réagit lubriquement en qualifiant le projet de « wet dream de Gaétan Barrette », c’est le contexte qui le pousse à la faute.

Comprenez. Pour QS, l’objectif est de se démarquer du gouvernement, mais également des autres partis d’opposition, dans le but d’obtenir plus d’espace médiatique qu’eux. Or, les libéraux veulent eux aussi se distinguer et se retrouver plus haut que les solidaires. Résultat ? Une surenchère verbale, qui n’a servi aucun des partis la semaine dernière (Gabriel Nadeau-Dubois a reconnu lundi que son choix de mots était mauvais).

Poussés par le contexte — et incités par les médias — à réagir vite et fort, sans être à même d’offrir une critique globale et cohérente du projet de loi par manque de temps, les partis d’opposition décident de monter le volume. Je soupçonne certains conseillers politiques d’avoir estimé qu’ils avaient gagné la journée, puisque le « wet dream » s’est retrouvé sur toutes les lèvres.

Une fois ces premières réactions passées, on entrera dans une phase plus intéressante. Les partis d’opposition auront du temps pour développer une réelle critique. Les consultations auprès des divers groupes de la société civile n’ont pas commencé, ni l’étude du projet de loi article par article. On trouvera, autant chez QS qu’au PQ et au PLQ, des pierres d’achoppement, des attaques qui porteront. Le gouvernement entreprend un long, très long tango.

J’ai d’ailleurs sursauté quand, questionné sur le sujet, le ministre Dubé a mentionné qu’il aimerait que le projet de loi soit adopté d’ici l’été. Nous sommes au début avril, il reste sept semaines au calendrier parlementaire. En tout et pour tout, il reste 22 jours pour étudier le projet de loi, si l’on se fie au calendrier officiel. Vu l’ampleur du projet de loi, mon expérience me dit que c’est tout simplement impossible sans bâillon — ce que le gouvernement dit vouloir éviter.

Le projet de loi sera adopté — la CAQ est largement majoritaire. Le débat n’est pas là. Ce qui reste à déterminer, c’est dans quelle ambiance et avec quel ton. 

Ce projet de loi est majeur. Son objectif est louable. J’espère que le ministre donnera du temps au temps et que, en contrepartie, les membres de l’opposition et le gouvernement sauront éviter les pièges et la surenchère dans le but d’avoir une meilleure place dans les journaux télévisés de la soirée. À vouloir gagner la journée, on perd souvent le fil.

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Le cauchemar des oppositions, probablement, mais surtout le rêve inespéré de la population.
On se dit «ENFIN, UN VRAI COUP DE BARRE», y était temps!
On espère que ça va marcher et qu’il n’y aura pas trop de bâtons dans les roues, surtout de la part des politicailleurs et des syndicaleux.
L’idée, c’est pas de trouver des pierres d’achoppement ou de porter des attaques, ni de faire de la partisanerie ou de la petite politique ou du corporatisme intransigeant.
Qu’ils y apportent des critiques constructives et des points d’améliorations pour que çà marche vraiment pour le bénéfice de la population.
Le modèle actuel de la société québécoise en santé ne tient plus.
Bonne chance à cette réforme

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Plus ou moins d’accord avec vous, mais c’est vrai qu’ils devraient tous travailler ensembles.Mais cet article explique clairement notre situation politique.Pour moi quand un gouvernement est élu TRES majoritairement avec moins de 50% d’appuis du + ou moins 60% de voteurs, on a un problême.C’est presqu’une dictature et pas vraiment d’opposition parce que désunis. Quant au service de santé, nous n’avons rien a perdre,sauf l’universalité, car nous nous dirigeons de plus en plus vers le privé et il est là le danger.ET ma question:comment cette agence trouvera plus de personnel et qui sera imputable politiquement?

@ Michel:
Je crois qu’il n’y a rien de comparable avec une quelconque ¨dictature¨ comme vous dites. Dans une dictature, tout le monde est obligé de voter (et de voter du bon bord en plus), ce qui n’est pas le cas dans notre démocratie. Si les votants ne se présentent pas, les soldats n’iront pas les chercher dans leur maison. Mais je comprends que la faible participation ne représente pas la vrai majorité, mais ce n’est pas la faute des élus… du moins en partie.