La responsabilité de protéger et la Syrie : une façade

Photo: Anwar Amro / Getty Images
Photo: Anwar Amro / Getty Images

La question n’est pas nouvelle : doit-on intervenir militairement et tuer des civils afin de sauver des civils? Que l’intervention armée soit débattue ou justifiée par une convention contre les armes chimiques, au nom de l’humanité (intervention humanitaire), un « devoir d’ingérence » (dans la tradition française) ou une soi-disant responsabilité de protéger (la nouvelle « norme » onusienne), la question demeure.

Soyons d’abord clair : la situation en Syrie est horrible et s’empire de jour en jour. La Commission d’enquête de l’ONU rapportait dernièrement les « crimes contre l’humanité » des forces gouvernementales et les « crimes de guerre » des groupes rebelles. Il n’y a pas de beau jour à l’horizon. Le scénario d’une partition entre trois régions – une région kurde semi-indépendante liée au Kurdistan iraquien (en accord, peut-être, avec la Turquie), une autre dominée par le régime Assad et une troisième contrôlée par des milices diverses – semble de plus en plus probable à court terme.

Le choix truqué

Confronté à un conflit aussi atroce, la doctrine sur l’intervention humanitaire armée nous offre toujours un choix dichotomique : soit vous appuyez l’action militaire, soit vous ne l’appuyez pas et donc vous êtes en faveur d’un régime brutal (ou d’une violence inacceptable).

La présentation d’un tel choix n’est possible que si nous faisons abstraction du passé et des conditions qui ont mené au conflit. Des pays comme la Syrie (ou comme le cas de la Libye et bien d’autres) reçoivent le soutien (politique, économique, militaire) des grandes puissances comme les États-Unis et la Russie. C’est dans ce contexte qu’il faut analyser la levée de l’embargo sur les armes de l’Union européenne, la permission d’utiliser les revenus du pétrole pour financer la rébellion, la possibilité d’une intervention militaire américaine et la résistance russe (et d’autres pays) à une telle intervention.

Il ne faut donc pas s’étonner de la résistance internationale à l’intervention américaine. Non seulement devons-nous considérer les conséquences négatives sur une région d’une opération militaire, mais les enjeux géopolitiques et impérialistes (des États-Unis, de la Russie, Israël et autres pays de la région) sont indissociables des objectifs humanitaires.

La responsabilité de protéger

En théorie, la responsabilité de protéger est la nouvelle norme internationale, Elle doit protéger les populations de génocide et divers crimes contre l’humanité. Elle doit empêcher un autre Rwanda. Elle aurait, selon certains analystes, servi en Libye en 2011 et sauvé les Libyens des mains du régime de Kadhafi.

Elle devait également limiter les risques d’une intervention menée pour des raisons autres qu’humanitaires. Les critiques (l’Union africaine, la Russie, la Chine et autres) de l’opération en Libye disent plutôt que la responsabilité de protéger a été un prétexte, galvaudé par la France, la Grande-Bretagne et les États-Unis afin de renverser Kadhafi.

Il n’y a pas de norme « responsabilité de protéger » en soi (malgré les dires de ses plus ardents défenseurs de la responsabilité de protéger, notamment Gareth Evans). Il existe plutôt deux notions. D’abord, celle votée par l’Assemblée générale de l’ONU en 2005 qui parle d’une « responsabilité de protéger » mais n’autorise aucune intervention en dehors des procédures normales dictées par la Charte.

Ensuite, une version occidentale qui autorise une « responsabilité de protéger » sans l’autorisation du Conseil de sécurité ou une « responsabilité de protéger » extensible au changement de régime, comme l’intervention en Libye en 2011 l’a bien démontré.

La Syrie n’a pas besoin d’une opération militaire punitive ou humanitaire. Elle a besoin d’une action internationale qui forcerait les belligérants à négocier une solution pacifique. D’un côté, les Européens et la CIA pourraient arrêter d’armer les rebelles et imposer l’embargo. De l’autre, les Russes pourraient faire de même avec le régime Assad, alors que les Israéliens pourraient mobiliser leurs troupes sur le plateau de Golan (syrien, qu’Israël occupe déjà) afin de forcer Assad à déplacer ses forces vers le sud. Ainsi, tant le régime que les rebelles verraient leurs options politiques et militaires diminuées les forçant, à moyen terme du moins, à négocier.

Il ne s’agit que d’un scénario parmi d’autres. Sûrement, si les États-Unis et autres puissances intéressées désiraient l’arrêt des combats, les efforts auraient été plus convaincants. L’appel à une responsabilité de protéger n’est donc que façade.

 

Bruno Charbonneau

Directeur de l’Observatoire sur les Missions de paix et opérations humanitaires

Chaire @RDandurand @UQAM