Avec la surchauffe immobilière actuelle, il n’est pas étonnant que les questions de logement s’invitent dans la campagne électorale fédérale. Le chef libéral Justin Trudeau y est allé de ses propositions mardi. L’une d’entre elles, le compte d’épargne pour l’achat d’une première propriété (CAPP), paraît alléchante, mais pourrait avoir des effets pervers sur la retraite et… le prix des propriétés.
Le CAPP proposé constituerait une sorte de REER parallèle. Les contribuables de moins de 40 ans pourraient y verser jusqu’à 40 000 dollars au total, dans le respect des plafonds annuels de cotisation au REER, soit 18 % du revenu jusqu’à un maximum de 27 830 dollars, plus toute cotisation antérieure inutilisée. Ces cotisations seraient exemptes d’impôt, comme pour les cotisations faites au REER. Afin d’acheter une première propriété, le contribuable pourrait retirer cet argent, libre d’impôt.
Ça existe déjà, dites-vous ? En effet, le Régime d’accession à la propriété — plus connu sous son cool acronyme, le RAP — permet de tels retraits libres d’impôt. Mais l’acheteur doit absolument rembourser la somme dans les 15 années qui suivent. Il n’y aura aucun remboursement exigé avec le CAPP. Le CAPP, ce sera un RAP amélioré et bonifié (la limite du RAP est de 35 000 dollars).
Cette mesure répond peut-être à une demande. En 2017, la Fédération des chambres immobilières du Québec notait une perte de vitesse du RAP. Au sommet de sa popularité en 2004, quelque 42 000 Québécois avaient « rappé », pour des retraits de presque 490 millions de dollars. En 2015, ils étaient un peu moins de 27 000 à l’avoir fait (-36 %), pour des retraits totalisant 379 millions de dollars (-23 %). Les libéraux disent vouloir répondre aux gens leur ayant confié que l’obligation de remboursement du RAP pesait « comme une deuxième hypothèque ».
Mais cet allègement aura toutefois un prix. En premier lieu, il fera un trou dans le bas de laine du contribuable. Les citoyens pourraient se retrouver, en théorie, avec moins d’épargne pour leurs vieux jours.
En pratique, on peut penser que pour bien des petits épargnants, les remboursements du RAP amputent d’autant les nouvelles cotisations au REER. Mais comme le souligne le fiscaliste Luc Godbout, de la Chaire de recherche en fiscalité et en finances publiques de l’Université de Sherbrooke, ce 40 000 dollars constitue de l’espace REER perdu à tout jamais que l’épargnant aurait pu autrement utiliser dans ses dernières années de vie active, généralement les plus lucratives.
On peut aussi se demander si cette mesure se justifie. Cela revient à immobiliser son épargne-retraite dans un véhicule non imposable. Le citoyen qui sera demeuré locataire toute sa vie et aura maximisé son REER devra payer de l’impôt sur les intérêts générés. Le citoyen qui aura acheté une maison — grâce à de l’argent libre d’impôt — n’aura rien à payer sur le gain en capital. « On est en train de dire qu’acheter une maison, c’est noble, et de ne pas le faire, ce n’est pas bien », note M. Godbout. La Commission d’examen sur la fiscalité québécoise, qu’il avait présidée en 2015, avait d’ailleurs conclu que les mesures de soutien à l’accès à la propriété étaient suffisantes et n’avaient pas besoin d’être bonifiées.
En 2014, le Parti libéral du Québec avait proposé une mesure semblable au CAPP, quoiqu’encore plus généreuse parce que les dépôts (plafonnés à 50 000 dollars) n’auraient pas affecté les cotisations autorisées au REER. Devant les critiques, l’idée avait été abandonnée.
Cette disponibilité accrue de capitaux pourrait aussi avoir un effet pervers sur le marché immobilier lui-même. « Augmenter les cadeaux aux acheteurs de maisons, c’est augmenter leur capacité d’emprunt et donc… favoriser la hausse du prix des maisons », a écrit sur Facebook l’auteur et chroniqueur Pierre-Yves McSween.
Comme pour lui donner raison, c’est devant une maison en construction que Justin Trudeau a fait son annonce mardi matin. De ces maisons-monstres de plus de 3000 pieds carrés avec garage intérieur. C’était à Hamilton. Une ville où, selon la chambre immobilière locale, le prix moyen d’une résidence a bondi de 32 % entre mars 2020 et avril 2021, pour s’établir à… 872 368 dollars !
Un autre effet pervers : les acheteurs de plus de 40 ans seront pénalisés. Il leur sera difficile d’acheter une première maison dont le prix aura gonflé en raison du pouvoir d’achat supplémentaire dont profiteront les plus jeunes.