Vice-président de l’agence de relations publiques TACT, Pascal Mailhot a gravité dans les hautes sphères comme conseiller politique au cabinet du premier ministre du Québec successivement pour Lucien Bouchard, Bernard Landry et François Legault. Il a aussi occupé différents postes de cadre supérieur dans le réseau de la santé, notamment à l’hôpital Maisonneuve-Rosemont à titre de porte-parole.
Ce mois-ci marque le 30e anniversaire du dépôt du projet de loi 86. Incapable d’assumer les conséquences politiques d’un renouvellement de la disposition de dérogation (ou « clause nonobstant »), le gouvernement de Robert Bourassa s’est senti contraint d’adopter en 1993 une position de repli ayant eu pour effet d’altérer considérablement la Charte de la langue française.
Retour à l’affichage en anglais à l’extérieur des commerces, abolition de la Commission de la protection de la langue française, bilinguisme de l’appareil d’État dans ses relations avec les citoyens : c’était dans les faits un coup sévère porté à la loi 101, qui a réduit grandement son effet et sa portée. Dès lors, le français n’a cessé de reculer, notamment à Montréal.
Trois décennies plus tard, l’heure est au redressement.
Certains observateurs de la scène politique estiment que la Loi sur la langue officielle et commune du Québec (communément appelée loi 96), adoptée à l’Assemblée nationale le 24 mai 2022, aurait dû être plus audacieuse dans ses mesures et ses objectifs.
En tant qu’ancien conseiller politique ayant participé activement à l’élaboration de cette pièce législative, je ne peux prétendre être neutre dans mon évaluation. Il faut savoir que des débats et des compromis ont été nécessaires pour arriver à ce consensus. Mais quel que soit le point de vue, il est indéniable que cette loi renforce l’utilisation du français dans les institutions gouvernementales, les entreprises et la société en général. Pas assez au goût de certains (comme le Parti québécois), mais ce n’est certainement pas un mouvement de recul…
Par exemple, la Loi ouvre la porte à des poursuites contre les commerces qui négligent de servir les clients en français. Parmi les autres mesures clés, elle rehausse les obligations des employeurs en matière de français au travail. Le français devra aussi figurer de façon « nettement prédominante » dans les marques de commerce et l’affichage public des entreprises.
En outre, afin de protéger la Loi de l’arbitraire des tribunaux et d’affirmer ainsi la souveraineté de l’Assemblée nationale du Québec, le gouvernement Legault n’a pas hésité à recourir à la disposition de dérogation — une disposition que les libéraux de Robert Bourassa s’étaient refusés à maintenir 30 ans plus tôt.
En prime, la spécificité linguistique du Québec se voit maintenant inscrite dans la Constitution canadienne : « Les Québécois et les Québécoises forment une nation. Le français est la seule langue officielle du Québec. Il est aussi la langue commune de la nation québécoise. » Voilà ce qu’on peut lire désormais en toutes lettres dans la Loi constitutionnelle de 1867.
Il est à noter que cette modification a été obtenue sans qu’il soit nécessaire de mener des négociations avec Ottawa et les autres provinces, grâce à une procédure d’amendement jusqu’alors méconnue.
On peut imaginer que Robert Bourassa aurait été enchanté de se voir proposer une telle stratégie à l’époque où il s’évertuait à trouver une réponse à l’échec de l’accord du lac Meech, qui cherchait à reconnaître la spécificité du Québec…
Nouveau chantier
Voyons ce que nous réserve le Groupe d’action pour l’avenir de la langue française, une initiative du gouvernement Legault lancée en janvier 2023 dans le but d’inverser la tendance au déclin de la langue de Félix Leclerc. Composé d’une demi-douzaine de ministres, le Groupe pourrait présenter son plan d’action dès la fin du printemps.
Évidemment, on espère davantage qu’une offensive publicitaire, comme celle sur l’oiseau « vraiment sick ». Très critiquée, la campagne a tout de même le mérite d’avoir fait jaser. En ce sens, elle a sans doute atteint son but.
D’emblée, la création d’un tableau de bord qui permettra de suivre l’évolution de la situation linguistique au Québec est sur la planche à dessin du Groupe d’action. Un peu à l’exemple de Christian Dubé avec le réseau de la santé, on veut mettre en place des indicateurs qui assureront une surveillance précise, au-delà des informations de recensement fournies tous les cinq ans par le fédéral. Comme l’a annoncé le ministre de la Langue française, Jean-François Roberge, des échéanciers seront établis pour chacun des objectifs qui apparaîtront dans le plan d’action.
La possibilité d’étendre la loi 101 au collégial est définitivement exclue, mais des sources au gouvernement me confirment qu’un grand coup de barre sera donné afin d’orienter les étudiants étrangers vers les collèges et universités francophones. « On s’en va vers une grosse rupture », me confie-t-on.
Entente entre Roberge et Petitpas Taylor
Il y a trois décennies, chaque développement concernant la langue française était scruté à la loupe, suscitant des débats enflammés et des analyses approfondies. La relative indifférence avec laquelle est accueillie l’adoption presque à l’unanimité à Ottawa du projet de loi C-13, qui réforme la Loi sur les langues officielles, témoigne aujourd’hui du désintérêt croissant pour la question.
Pourtant, c’est dans ce contexte que l’entente survenue en avril dernier entre le ministre de la Langue française, Jean-François Roberge, et son homologue à Ottawa, Ginette Petitpas Taylor, prend tout son sens. Cet accord vise à contraindre les entreprises de compétence fédérale à respecter les dispositions de la Charte de la langue française.
En principe, la réforme de la Loi sur les langues officielles doit donc obliger les entreprises de compétence fédérale à offrir des communications internes en français à leurs employés non seulement au Québec, mais aussi ailleurs au Canada dans les régions à forte présence francophone, par exemple en Acadie. « Un tournant dans les relations entre Québec et Ottawa sur la délicate question linguistique », rapportait La Presse le 8 avril dernier.
Nouvelle dynamique ?
Le fondement des politiques linguistiques est depuis longtemps considéré comme une ligne de fracture entre Québec et Ottawa. Est-ce possible que cette dynamique entre les deux gouvernements soit en train de changer ?
« Les gens pensent que ça doit toujours être la chicane avec le gouvernement fédéral et les provinces. Ce n’est pas du tout le cas. Les gens veulent nous voir travailler ensemble pour faire avancer leurs priorités », a commenté la ministre Petitpas Taylor. Et pour cause, les signes de déclin du français continuent de se manifester, autant au Québec que dans les autres provinces canadiennes.
Pour pouvoir considérer que l’entente conclue entre Roberge et Petitpas Taylor constitue une avancée notable dans la promotion et la protection de la langue française, il faudra cependant que les entreprises de compétence fédérale soient bel et bien tenues de respecter la Charte de la langue française.
Voyons comment les dispositions précises ajoutées à la Loi sur les langues officielles donneront des garanties suffisamment solides en ce sens. Car l’efficacité et le poids réel de ces dispositions dépendront de leur mise en œuvre concrète et de la volonté politique de les faire respecter. C’est seulement à ce moment qu’on pourra conclure à une véritable évolution quant à l’importance de la diversité linguistique au Canada.
Entre-temps, le nouveau plan d’action pour les langues officielles du gouvernement Trudeau prévoit paradoxalement de consacrer 137,5 millions de dollars à la communauté anglo-québécoise (argent qui, dit-on, est censé servir notamment à la francisation). Mais il n’y a pratiquement rien pour la protection du français au Québec — ce qui n’aidera pas à améliorer les indicateurs du tableau de bord.