Le choix de la CAQ

Des investissements en santé et en éducation qui soulageront peut-être des réseaux exsangues, mais aussi des baisses d’impôt qui amputeront la marge de manœuvre du gouvernement, au nom du « portefeuille des Québécois ». L’analyse de notre chef du bureau politique.

Jacques Boissinot / La Presse Canadienne / montage : L’actualité

Eric Girard a pris grand soin de justifier mardi la baisse d’impôt que contient son budget. Selon le ministre des Finances, elle n’aura « aucun impact sur les services », elle est « totalement cohérente » avec le nouvel objectif de réduction de la dette et elle devrait stimuler l’offre de travail. Fort bien. Mais la valeur de chaque explication ne change pas la conséquence de la décision : l’État québécois se privera de 9,2 milliards en revenus au cours des cinq prochaines années (et c’est récurrent…). C’est ainsi que le gouvernement caquiste remplit sa promesse électorale de « remettre de l’argent dans le portefeuille des Québécois ».

C’est donc un choix pleinement assumé — et idéologique : s’endetter et réduire un peu sa marge de manœuvre et sa capacité d’action (le collectif) pour favoriser le pouvoir d’achat et d’épargne de chaque contribuable (l’individuel). Car gonfler le « portefeuille » du citoyen a un effet sur celui de l’État, même s’il ne paraît pas de prime abord.

Eric Girard a beaucoup expliqué son choix fiscal mardi parce qu’il sait qu’il ne fait pas l’unanimité. Loin de là. Les consultations prébudgétaires lui ont permis de prendre la mesure de la réaction tiède, voire négative, de plusieurs intervenants à la perspective d’une baisse d’impôt, notamment ceux qui auraient dû être ses alliés en ce domaine.

Le ministre a ainsi été surpris de l’opposition du Conseil du patronat du Québec, qui estime que le contexte n’est pas favorable à une telle mesure. Le Québec demeure en déficit (le retour à l’équilibre est prévu dans cinq ans) et le risque d’une récession est réel (Eric Girard l’évalue à 50 %). Plusieurs économistes ont aussi plaidé pour que Québec ne renonce pas à ces milliards et les utilise plutôt pour bonifier l’offre de services.

Les experts de la Chaire en fiscalité et en finances publiques de l’Université de Sherbrooke avaient pour leur part suggéré au gouvernement des solutions de rechange pour rendre la mesure plus efficace et faire en sorte qu’elle soit plus généreuse envers les gens à faible revenu.

Eric Girard avait des appuis, bien sûr. Celui du premier ministre, d’abord — le ministre a raconté en conférence de presse durant le huis clos que l’allègement du fardeau fiscal des Québécois avait été au menu de sa toute première rencontre avec François Legault, il y a cinq ans. Et celui des deux tiers des électeurs, qui ont voté en octobre pour l’un des trois partis qui proposaient des baisses d’impôt.

Québec va donc de l’avant exactement comme il l’avait promis en campagne électorale : les consultations n’ont rien changé à l’approche. Il y aura une baisse d’un point de pourcentage des deux premiers taux d’imposition. Pour la première tranche de revenu imposable, jusqu’à 49 275 $, le taux passera de 15 % à 14 %. Pour la deuxième tranche (de 49 275 $ à 98 540 $), il baissera à 19 %.

Près de 4,6 millions de Québécois profiteront de la mesure, financée par une réduction des versements au Fonds des générations. Mais tous n’en bénéficieront pas de la même façon… Les salariés gagnant 100 000 $ auront droit à une baisse d’impôt de 814 $ (le maximum), montre le document budgétaire. Ceux qui gagnent 60 000 $ auront droit à deux fois moins (428 $)… et ceux dont les revenus sont de 20 000 $ pourront profiter d’une grosse économie de 8 $.

Pour les ménages comptant deux revenus égaux, Québec calcule une économie de 1 627 $ pour des revenus totaux de 200 000 $, mais de seulement 256 $ pour ceux gagnant 60 000 $. Et n’oublions pas les quelque 2,2 millions d’adultes québécois qui ne paient pas d’impôt — et ne sont donc pas visés par la mesure phare du cinquième budget Girard.

Le ministre a plaidé que 90 % des bénéficiaires de la baisse d’impôt gagnent moins de 100 000 $, et que son budget comprend plusieurs autres mesures de soutien social. Ce n’est pas faux. Mais il aurait pu atteindre des résultats semblables tout en faisant en sorte que les moins nantis profitent d’un allègement fiscal plus important que ceux dont le salaire fait six chiffres.

Dans sa réaction au budget, Québec solidaire a dénoncé un « appauvrissement collectif et durable » du Québec pour des baisses d’impôt qui profiteront davantage aux dirigeants des supermarchés qu’aux caissières de ceux-ci. Le vernis populiste de l’équation ne la rend pas moins vraie.

« Ce n’est pas parce que c’est une promesse que c’est une bonne idée », a pour sa part affirmé la présidente de la CSN, Caroline Senneville. Les 9,2 milliards qui n’arriveront pas à Québec auraient dû être investis dans les services publics, a-t-elle dit en pointant nombre d’enjeux qui pourraient bénéficier d’un financement supplémentaire : logement social, santé, éducation, transport collectif, lutte contre les changements climatiques… Le Parti québécois fait essentiellement la même lecture des effets de la décision du gouvernement.

Le budget Girard demeure tout de même généreux à l’égard des missions de l’État. Il incarne l’ADN économique de la Coalition Avenir Québec : un financement important en santé et en éducation, jumelé à un allègement du fardeau fiscal. Quand il a fondé son parti, François Legault le présentait comme n’étant ni de gauche ni de droite. Une dizaine d’années et cinq budgets plus tard, on remarque qu’il est effectivement quelque part entre les deux.

Le budget prévoit ainsi des dépenses supplémentaires de 5,6 milliards dans le domaine de la santé (7,7 % de croissance), de 2,3 milliards en éducation (6 %), et de 3,6 milliards pour diverses mesures de soutien aux Québécois. Le Plan québécois des infrastructures est bonifié de 7,5 milliards, pour atteindre 150 milliards (période 2023-2033).

Près de 1 milliard sera consacré à la crise du logement, et quelque 533 millions iront au milieu communautaire. En culture (pierre angulaire de l’identité québécoise, note-t-on), le budget annonce un investissement (imposant pour le secteur) de 650 millions.

En environnement, Québec ajoute 1,4 milliard à l’enveloppe réservée au Plan pour une économie verte 2030, qui atteint maintenant 9 milliards. Un autre milliard est prévu pour la création du Fonds bleu et la mise en place du Plan Nature 2030.

La liste complète est évidemment plus longue : il y a pour 24,5 milliards d’initiatives sur cinq ans, et Québec finit par toucher un peu à tout. Intégration et francisation des immigrants, services sociaux, pénurie de main-d’œuvre…

Mais tout dépend de l’ampleur. Les 1 500 nouveaux logements abordables promis dans le budget ne répondront par exemple qu’à une infime partie des besoins, fait valoir le FRAPRU ; quelque 37 000 ménages québécois attendent un logement à prix modique. En environnement, les besoins iront croissant à mesure que les impacts de la crise climatique deviendront concrets (une lecture du rapport du GIEC dévoilé lundi ne rassure pas à cet égard). Il y a le vieillissement de la population. La vétusté des écoles. Les problèmes de santé mentale. Et tant d’autres. Beaucoup d’enjeux, en somme, pour lesquels le gouvernement aurait pu décider d’en faire plus en ne sacrifiant pas ses points d’impôt : question de choix.

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Depuis des années, il me semble que tous les commentaires provenant des médias et autres, concernant la CAQ sont négatifs. Le gouvernement aurait dû faire ceci ou cela.Il ne sait pas gérer, il m’anque énormément pour ce qui est du soutien au pauvre, à l’habitation à prix modique, etc. etc., Il me semble bien évident que chialer est le sport nationale des Québecois qui sont des soit disant influanceurs . Heureusement que le simple citoyen se foute bien de ce qu’ils racontent. Après tout et ce malgré les incessantes critiques, le citoyen utilise toujours son GBS quant-il vote….

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Bonjour,
Pour une des rares fois qu’un gouvernement remplit sa promesse électorale, on entend tous les gérants d’estrade le critiquer! S’il n’avait pas respecté sa promesse, imaginez comment on l’aurait critiqué ! il faut également rappeler que près de 70% des simples contribuables sont favorables à la baisse d’impôts, selon un récent sondage; c’est vrai que cela ne compte pas car ces gens ne connaissent rien aux finances (Ironie, pour ceux et celles qui ne le comprennent pas !).

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Je pense que nous n’avons pas lu le même article.Qui aura de vraies baisses d’impot? Les plus aisés. Moins de 60,000, des peanuts, et les 2.2 millions qui ne paient déjà pas d’impots =0.Combien coûte la RAMQ cette année? Autour de 700$ indépendamment riche ou pauvre….et a 65 ans, tu dois la payer. Question: avec l’augmentation des taux d’intérets, combien de plus nous coûtera la dette nationale/an?