Le code secret de Santé Québec   

On connaît maintenant la future configuration du réseau de la santé. Reste à découvrir l’essence même de cette refondation menée par Christian Dubé. Une série d’indices dissimulés tout au long de son parcours professionnel permet d’y parvenir.  

marchmeena29 / Getty Images / montage : L’actualité

Vice-président de l’agence de relations publiques TACT, Pascal Mailhot a gravité dans les hautes sphères comme conseiller politique au cabinet du premier ministre du Québec successivement pour Lucien Bouchard, Bernard Landry et François Legault. Il a aussi occupé différents postes de cadre supérieur dans le réseau de la santé, notamment à l’hôpital Maisonneuve-Rosemont à titre de porte-parole.

Le projet de loi 15 sur la nouvelle agence Santé Québec annonce une transformation importante du système de santé. S’agit-il d’une « vaste décentralisation », comme promis dans le Plan santé présenté en mars 2022 ? Ou, au contraire, du « Saint-Graal des réformes centralisatrices », comme l’affirme Gabriel Nadeau-Dubois ? Le débat est lancé. 

Il est clair que la compréhension et l’assimilation complètes des mille et quelques articles de cette pièce législative demanderont un certain temps. L’adoption du projet de loi ne marquera pas non plus la fin des discussions.

Pour saisir l’essence de Santé Québec, il est nécessaire de prendre en compte l’historique professionnel et politique du ministre de la Santé, Christian Dubé. Les piliers de sa réforme ne sortent pas de nulle part : ils sont au cœur du discours, ou des volontés, du ministre depuis des années.  

Trois mots-clés résument son approche : transparence, performance et imputabilité. Des principes qui jalonnent son cheminement, et qui forment la base du « changement de culture à long terme » qu’il souhaite instaurer dans tout le réseau. 

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Transparence

Élu dans la circonscription de Lévis en 2012 sous la bannière de la CAQ, Christian Dubé plonge en politique avec l’intention de se battre pour une plus grande transparence du gouvernement. S’inspirant des meilleures pratiques du secteur privé, l’ex-président de la division européenne de Cascades entend aussi importer les innovations des gouvernements d’ailleurs dans le monde pour moderniser le processus décisionnel des élus. 

Il déchante rapidement.

« Depuis que je suis député, confie-t-il à L’actualité en novembre 2013, je comprends le cynisme des citoyens envers l’appareil étatique : tout est fait pour cacher le plus d’information possible, parce que l’information, c’est le pouvoir. On peut faire croire n’importe quoi aux gens. Il faut plus de transparence. De toute façon, le gouvernement peut se cacher un certain temps, mais ça finit toujours par lui éclater au visage. Autant arrêter ce petit jeu et fournir toute l’information facilement. Il faut davantage de divulgation proactive. »  

« Êtes-vous un député frustré ? » lui demande alors le journaliste Alec Castonguay. « Je suis souvent frustré par toutes les occasions ratées d’améliorer la transparence de l’État. Mais je ne suis pas désabusé », répond le comptable de formation. 

Quelques mois plus tard, il tourne le dos à la politique pour devenir vice-président de la Caisse de dépôt et placement.  

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Performance

Cinq années s’écoulent avant qu’un appel impromptu de François Legault, au début de la campagne électorale de 2018, ramène Christian Dubé sur les banquettes de l’Assemblée nationale. Nommé à la présidence du Conseil du Trésor, fonction qui lui confère beaucoup de pouvoir et d’ascendant sur les différents ministères, ce chantre de la transparence va-t-il assumer ses prises de position antérieures ?  

Dans un premier temps, Christian Dubé exige de tous les ministères un plan stratégique, lequel doit inclure des indicateurs de performance afin de mesurer les bénéfices en faveur des citoyens. Puis il demande que toute cette information soit rendue publique chaque année, dans un format facile à comprendre pour la population.  

La Ville de New York lui sert d’inspiration. Chaque année, le maire présente un rapport d’activités qui permet aux citoyens de connaître les résultats des services comme la voirie, les parcs, la santé, etc. « Ça met une pression énorme sur la machine étatique quand c’est public », confie Christian Dubé dans une autre entrevue accordée à L’actualité, où il explique son plan pour réformer l’État. 

La mesure de la performance est une clé essentielle. « Je veux un État plus efficace et je veux pouvoir le mesurer. C’est facile de critiquer les autres, l’ancien gouvernement, mais à partir de maintenant, on va se critiquer nous-mêmes », affirme alors le président du Conseil du Trésor… sans savoir qu’il sera catapulté quelques mois plus tard à la tête du plus gros ministère du gouvernement du Québec.   

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Imputabilité

En ce 22 juin 2020, la première vague de COVID-19 tire à sa fin, mais le combat contre le virus et ses variants est encore loin d’être terminé. Dans la cellule de crise du gouvernement du Québec, on « construit un avion en plein vol », dixit le bon docteur Arruda. Sauf que le système de santé craque de partout. Le premier ministre François Legault provoque alors un coup de tonnerre dans le monde politique en nommant Christian Dubé à la tête du ministère de la Santé et des Services sociaux.  

Prenant place dans le cockpit, avec à ses côtés sa nouvelle sous-ministre, Dominique Savoie, le député de La Prairie n’a pas l’intention de piloter à vue. Mais un premier coup d’œil au panneau de contrôle des commandes lui fait constater que les instruments de vol sont bien incomplets. Et certains cadrans paraissent défectueux.  

Il n’est pas possible de connaître le nombre exact de préposés aux bénéficiaires manquants dans les CHSLD en déroute. Ni de savoir combien de postes sont vacants. Sur le terrain, les gestionnaires ne semblent pas responsables des actions et des résultats obtenus.

« Ce qui est mesuré est fait », selon le gourou de la gestion Peter Drucker. Les organisations gouvernementales, surtout dans un domaine aussi complexe que la santé, ont donc besoin de données précises et fiables pour établir les priorités. Car allouer des ressources sans être capable de mesurer l’efficacité des interventions va à l’encontre d’un principe fondamental pour le ministre : l’imputabilité. C’est encore plus vrai lorsqu’il s’agit de gérer une pandémie. Les données permettent de surveiller les tendances, de prévoir les problèmes, de mettre en place des programmes efficaces, bref, de prendre les bonnes décisions. De l’ordre s’impose.   

« À compter d’aujourd’hui, annonce fièrement Christian Dubé sur Twitter le 26 janvier 2021, nous publierons quotidiennement un tableau de bord qui présente un sommaire de quelques indicateurs clés qu’on regarde chaque jour pour suivre la situation épidémiologique au Québec. » Nouveaux cas, hospitalisations, décès, éclosions actives, vaccins administrés, le tableau de bord du ministre détaille toutes les données essentielles, représentées par des graphiques clairs et faciles à comprendre.  

Au sortir de la crise de la COVID-19, c’est le réseau de la santé dans son ensemble qui devra à son tour se mettre à nu. Une foule de nouveaux indicateurs, rendus publics, permettront de mesurer le redressement promis par le ministre. Une petite visite guidée vous est offerte ici

Mystère dévoilé 

Avec le projet de loi 15, le système de santé est maintenant invité à se mettre à l’heure des grands principes modernes de gestion : 

  • Les établissements et les gestionnaires devront faire preuve de transparence par une communication claire et accessible de l’information pertinente.
  • Ils devront chercher l’efficacité et l’efficience dans la gestion des ressources et des budgets, et « développer une culture axée sur les résultats ».
  • Ils devront prendre la responsabilité de leurs actions et rendre des comptes par rapport aux résultats obtenus.

Le projet de loi porte véritablement l’empreinte de Christian Dubé, qui souhaite faire de la transparence, de la performance et de l’imputabilité les piliers d’une transformation du réseau de la santé. Voyons comment ces principes pourront être appliqués de manière efficace et durable dans la pratique, avec notamment le recrutement de « top guns » du privé pour gérer Santé Québec.

Car l’absence de résultats tangibles et positifs pour les patients aurait pour effet de révéler un secret peu enviable, c’est-à-dire que cette énième réforme de la santé ne serait finalement qu’un autre brassage de structures. 

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Lorsque le système de santé ne fonctionne pas, c’est le ministre que l’on blâme. À juste titre, probablement, puisqu’il incarne le sommet du réseau. Ou injustement s’il n’a pas les moyens de faire descendre ses consignes ou de savoir ce qui se passe localement. Dès lors, la moindre des choses, s’il doit être blâmé de tous les échecs, est qu’il ait tous les leviers en main.
Il ne peut pas recevoir le blâme quand les décisions sont prises localement par des roitelets ou des structures tellement décentralisées qu’elles sont quasiment autonomes. J’ai souvenir que, pendant la Covid, il y avait au moins cinq directeurs de la santé rien que dans la région de Montréal, et qu’on ne savait pas qui était responsable de quoi! C’est d’une absurdité sans nom.
Aucune structure ne peut être efficace sans hiérarchie. Certains voudront, par politicaillerie, appeler ça une centralisation pour mieux la dénoncer et tromper l’électorat. Le fait est pourtant qu’une hiérarchie est à la fois saine et indispensable, qu’il s’agisse de faire descendre les ordres et autres mesures pris en haut lieu ou de rendre des comptes à son supérieur, du bas de la pyramide jusqu’à son sommet, de sorte que l’on sache qui est responsable d’un échec, qui est l’auteur d’un bon coup, à qui s’adresser pour obtenir des moyens ou des autorisations ou que l’on puisse analyser l’efficacité des politiques menées localement ou à chaque échelon.
Contrairement à ce que certains veulent accréditer, la hiérarchie du réseau n’est aucunement incompatible avec une certaine décentralisation, une initiative locale ou même une hiérarchie locale. Si on nomme des directeurs locaux, c’est bien pour qu’ils dirigent leur antenne locale et y fassent preuve de l’initiative voulue. C’est aussi pour qu’ils soient l’œil des instances supérieures et puissent faire remonter l’information, notamment les besoins locaux, jusqu’au sommet.
Il faut en finir avec les ministres aveugles ou impuissants (mais à qui on demande des comptes) et les directeurs locaux qui se prennent pour des boss et ne rendent pas de comptes, ou si peu. De la même façon, les achats doivent-ils être laissés entre les mains d’administrateurs locaux qui n’ont pas le même pouvoir de négociation que l’État ou peuvent être moins enclins à rechercher les économies?
Ce réseau ne peut pas fonctionner sans une hiérarchie formelle. La décentralisation à outrance a mené au système inefficace et informe que nous subissons collectivement. Réclamons un réseau avec un chef qui soit un chef. Cela ne l’empêchera nullement de déléguer localement quand il y a lieu.

—ooo—
PS : il faudrait en finir une fois pour toute avec l’anglicisme imputabilité. Les mots responsabilité et responsabilisation sont-ils si difficile à retenir et à employer, en français?

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