Le Conseil de Trudeau

Justin Trudeau serait mal avisé de ne pas apporter des changements importants à son conseil des ministres, écrit notre collaborateur.

Adam Scotti (CPM) / Montage L'actualité

L’auteur a travaillé pendant près de 20 ans sur la colline parlementaire à Ottawa, notamment à titre d’attaché de presse principal de Jack Layton, de secrétaire principal de Thomas Mulcair, puis comme directeur national du NPD. En plus d’agir en tant que commentateur et analyste politique, il est président de la Fondation Douglas-Coldwell et président de Traxxion Stratégies.

Le premier ministre Justin Trudeau vient de gagner ses troisièmes élections de suite et déjà, il doit prendre des décisions cruciales — à commencer par la formation de son nouveau conseil des ministres. Ces décisions, importantes pour la gouvernance du pays, seront aussi motivées par des considérations politiques et les tout récents objectifs que s’est fixés le Parti libéral : remporter un quatrième mandat d’affilée, et ce, de manière majoritaire.

Première considération : comment Justin Trudeau peut-il démontrer qu’il a compris le message que les Canadiens lui ont envoyé ? Après avoir perdu près d’un million d’électeurs en 2019, voilà qu’un autre demi-million a abandonné le navire libéral. Pour gagner les prochaines élections, il faut absolument inverser cette tendance. Le changement dans la continuité produit rarement des résultats probants. 

Ainsi, en regardant autour de la table du Conseil, Justin Trudeau doit se poser quelques questions : parmi ceux qui ont été réélus, lesquels, par leur performance, ont nui à l’image du gouvernement libéral ? Et qui sont ceux qui ont aidé ? Justin Trudeau vient de répondre d’entrée de jeu que la ministre des Finances et vice-première ministre, Chrystia Freeland, était le principal pilier de son gouvernement : il a confirmé qu’elle continuerait dans ses fonctions. Les LeBlanc, Duclos, Garneau, Joly, Blair et Miller devraient également demeurer au Cabinet.

À l’opposé, le ministre de la Défense nationale, Harjit Sajjan, a été un boulet pour son gouvernement. Les multiples allégations d’inconduites sexuelles dans les plus hautes sphères de l’armée n’ont pas été prises au sérieux et le moral des troupes est au plus bas, surtout à la suite de la débâcle politique en Afghanistan. Le remplacer par une femme serait tout un électrochoc. Les noms d’Anita Anand et de Carla Qualtrough circulent. Pourrait-on voir la seconde ministre de la Défense féminine de l’histoire du pays, après Kim Campbell ?

Le ministre de l’Environnement, Jonathan Wilkinson, a perdu beaucoup de crédibilité auprès des environnementalistes en répétant à qui mieux mieux que l’achat de l’oléoduc Trans Mountain allait permettre au gouvernement libéral d’avoir l’argent nécessaire pour lutter… contre les changements climatiques ! Il est temps d’envoyer un signal différent, un signal fort. Perdu au Patrimoine, Steven Guilbeault pourrait changer la donne en devenant un ministre incontournable, redorant du coup le blason vert du Parti libéral. Une telle nomination pourrait être mal reçue dans les Prairies, mais moins qu’il y a deux ans, alors qu’il sortait à peine du militantisme. Pour le moment, la rumeur l’envoie à l’Infrastructure, ce qui serait déjà un moindre gaspillage.

Il ne faut pas oublier non plus la gestion chaotique de la pandémie, qui a sans doute fait hésiter beaucoup d’électeurs à réélire ce gouvernement. Après 28 000 morts, remplacer la ministre de la Santé, Patty Hajdu, ne ferait de peine à personne — même si les provinces ont évidemment une grande part de responsabilité dans la réponse à la crise. Après des mois d’improvisation et d’incohérence, un changement à ce ministère permettrait d’insuffler une nouvelle crédibilité au message gouvernemental. François-Philippe Champagne m’en voudra sûrement de suggérer son nom, lui qui vient tout juste de redonner une direction cohérente au ministère de l’Industrie. Mais ce serait un choix intéressant.   

Autre considération : l’incontournable réalité géographique. Avec la défaite de Bernadette Jordan, la Nouvelle-Écosse aura une nouvelle voix au gouvernement. Lena Diab a réussi son saut au fédéral, ayant quitté son poste de ministre de l’Immigration de la province pour tenter sa chance à Ottawa. À l’autre bout du pays, il est aussi important pour Justin Trudeau que la nouvelle équipe ministérielle reflète la croissance du parti en Colombie-Britannique et, surtout, la percée des libéraux en Alberta. Après avoir été blanchis dans cette province lors des élections de 2019, ils y ont remporté deux sièges la semaine dernière. La nomination de Randy Boissonnault fait peu de doute, son seul collègue albertain, George Chahal, faisant l’objet d’une enquête de la police pour avoir volé des dépliants conservateurs… 

Le Québec, ensuite. Dans la province qui devait livrer une majorité à Justin Trudeau (selon le plan des stratèges libéraux), pourrait-on voir des ministres changer de poste ? Il serait naturel que Diane Lebouthillier (Gaspésie–Les Îles-de-la-Madeleine), sous-performante au Revenu, se retrouve aux Pêches pour remplacer Bernadette Jordan. Sinon, la nouvelle députée de Pontiac, la fiscaliste Sophie Chatel, pourrait-elle aller au Revenu, permettant à l’Outaouais d’être de retour au Conseil des ministres pour la première fois depuis Lawrence Cannon en 2011 ? À moins que Steven MacKinnon (Gatineau), qui prend déjà beaucoup de place comme secrétaire parlementaire, accède au saint des saints ? Une autre option, la syndicaliste Pascale St-Onge (Brome–Missisquoi), qui connaît bien les médias, pourrait apporter une touche gauchiste à ce remaniement, afin que le PLC continue de jouer dans les platebandes du Bloc et du NPD. 

Dans ses calculs, Trudeau doit aussi prendre en considération la question de la parité. La défaite de trois femmes ministres — Bernadette Jordan (Pêches), Maryam Monsef (Femmes et Égalité des genres et Développement économique rural) et Deb Schulte (Aînés) — de même que le départ de Catherine McKenna ouvrent la porte à un remaniement ministériel majeur. Trudeau serait mal avisé de ne pas en profiter pour faire des changements importants, pour signaler qu’il a bien compris le message de la population.

Il faudra donc au moins quatre femmes pour atteindre la parité hommes-femmes que le premier ministre féministe autoproclamé a établie en 2015. Pourquoi « au moins » ? La tendance chez les gouvernements qui perdurent est d’ajouter des ministres (et des limousines !), histoire de gérer le caucus et de récompenser les vétérans qui rongent leur frein à l’arrière, près des rideaux. Trudeau saura-t-il résister à cette tentation ? Du sang neuf avec ou sans rétrogradation, telle est la question.

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Détrompons-nous.
Quelque soit la devanture, ça sera les mêmes vieux « Baystreeters » qui vont continuer de tirer les ficelles à l’arrière-scène, et ce sera le même Jagmeet Singh qui sera leur sous-marionette pour dire « oui » gratis à tout et à n’importe quoi.