Le grand écart

Les États-Unis forment-ils un pays ingouvernable? Il est impossible pour les deux partis de prendre le pouvoir sans… plaire à sa base. Et impossible de gouverner sans lui déplaire. C’est le dilemme auquel est confronté Joe Biden.

Mandel Ngan / Getty Images / montage : L’actualité

L’auteur est chercheur associé à la Chaire Raoul-Dandurand, où ses travaux se concentrent sur l’étude et l’analyse de la politique américaine.

En 1969, l’année où Richard Nixon a été assermenté 37e président des États-Unis, un de ses conseillers a publié un ouvrage largement méconnu dont l’influence se fait toujours sentir un demi-siècle plus tard. Dans The Emerging Republican Majority, Kevin Phillips expliquait comment le Parti républicain pouvait espérer bâtir une majorité durable aux États-Unis avec ce nouveau président. 

Cinq ans plus tard, le Parti républicain détenait moins du tiers des sièges à la Chambre des représentants. Et pourtant, aussi inexacte la prémisse de Phillips pouvait-elle être, elle a inspiré, au fil des ans, de nombreux pastiches. 

Ainsi, pendant les années Clinton, deux analystes démocrates ont publié The Emerging Democratic Majority. Puis Karl Rove, architecte des victoires électorales de George W. Bush, a rêvé ouvertement d’une domination républicaine durable — avant que les partisans de Barack Obama ne voient en leur poulain le sauveur qui allait livrer le pays aux démocrates pour les décennies à venir.

Et ainsi de suite.

Des coalitions instables

La raison de ces prédictions erronées et de ces espoirs brisés est essentiellement toujours la même : dans un pays aussi complexe, hétérogène et divisé, doté par surcroît de seulement deux partis politiques majeurs, les coalitions électorales sont intrinsèquement instables. Ces alliances sont trop vastes et les groupes les composant ont des intérêts trop divergents pour qu’elles tiennent de façon durable.

Autrement dit, dès qu’un parti est appelé à gouverner — et ainsi à prendre des décisions —, il est appelé à froisser certaines parties de la coalition électorale l’ayant porté au pouvoir.

C’est ce que Bush a vécu en cherchant à trouver sa voie au sujet de l’immigration entre les chambres de commerce qui voulaient l’augmenter et les conservateurs culturels qui demandaient à la restreindre. Obama, au moment de prendre position sur l’oléoduc Keystone XL, s’est retrouvé coincé entre les syndicats qui y voyaient une source d’emplois et les environnementalistes qui y voyaient une source de pollution.

L’administration de Joe Biden est prise avec la même dynamique, simultanément sur plusieurs fronts.

Entre l’arbre et l’écorce, entre la base et le centre

Sur divers enjeux majeurs, les démocrates sont coincés entre la base militante plus à gauche de leur parti et le reste de l’électorat. Les fissures étaient déjà particulièrement marquées dans les derniers mois de la campagne de 2020, après le meurtre de George Floyd, lorsque cette base réclamait un « retrait du financement de la police » et refusait de condamner les violences perpétrées lors des manifestations contre le racisme. La perte d’une douzaine de sièges à la Chambre des représentants a été attribuée à cette position de certains élus démocrates.

Or, depuis l’arrivée au pouvoir de Joe Biden, ces fissures se sont multipliées. Le gouffre entre les électeurs démocrates et le reste du pays force Biden à faire un grand écart que peineraient à réussir même les meilleurs gymnastes.

Le même genre de problème s’observerait dans le camp républicain si Donald Trump avait été réélu. En fait, même aujourd’hui, on continue à voir une cassure entre la base républicaine qui croit toujours au mensonge de Trump de la « fraude électorale » de 2020 et l’écrasante majorité de l’électorat américain qui le rejette. 

Or, les républicains étant actuellement relégués aux bancs de la minorité, les projecteurs sont davantage braqués sur les démocrates, divisés dans leur gestion du pays. La question de la pandémie en constitue un exemple remarquable. La grogne populaire ayant poussé les autorités démocrates à abandonner leurs restrictions rapidement a en effet peut-être caché une réalité fort simple : la majorité des électeurs démocrates, elle, soutient toujours les restrictions !

Croyez-vous qu’il devrait y avoir des restrictions contre la COVID–19 dans votre communauté ? 

 TotalDémocratesIndépendantsRépublicains
Oui26 %57 %20 %8 %
Non64 %30 %70 %85 %

Source : The Economist / YouGov

Une dynamique semblable s’observe dans deux autres dossiers politiquement chargés pour les démocrates. Lorsque l’on sonde les Américains au sujet des causes de l’inflation — toujours le problème politique numéro un pour la Maison-Blanche —, la pluralité montre du doigt l’augmentation importante des dépenses publiques. Or, la majorité des démocrates accuse plutôt les entreprises privées de hausser les prix afin d’accroître leurs profits ! La différence est majeure, parce qu’elle implique des approches diamétralement opposées pour faire face à l’inflation.

À quel point imputez-vous l’inflation aux programmes gouvernementaux ? 

 TotalDémocratesIndépendantsRépublicains
Beaucoup45 %27 %46 %74 %
Peu34 %51 %35 %14 %

Source : The Economist / YouGov

Puis, dans la foulée du débat sur le « racisme systématique » et de la politique identitaire, la question du rôle que devrait jouer le système d’éducation prend de plus en plus de place. Sur ce front aussi, les démocrates se trouvent dans une position politique profondément inconfortable — déchirés entre eux et détachés du reste de l’électorat, opposé en bloc à l’enseignement de certaines des approches les plus controversées.

Les écoles dans votre région devraient-elles enseigner que les États-Unis ont volé leur territoire et que les maisons dans lesquelles les élèves habitent sont construites sur des terres volées ?

 TotalDémocratesIndépendantsRépublicains
Oui25 %49 %22 %2 %
Non74 %50 %78 %97 %

Source : Manhattan Institute

Peut-être la manifestation la plus élémentaire de ce gouffre s’observe-t-elle lorsque vient le temps d’évaluer si les États-Unis vont actuellement dans la bonne direction. Bien que modeste, c’est néanmoins une pluralité claire de démocrates qui disent oui. Le problème : dans l’ensemble de la population américaine, 60 % des Américains répondent non.

Diriez-vous que les choses dans ce pays aujourd’hui sont…

 TotalDémocratesIndépendantsRépublicains
Sur la bonne voie27 %54 %19%9 %
Sur la mauvaise voie59 %29 %69 %87 %

Source : The Economist / YouGov

Les deux tiers des électeurs démocrates formulant une réponse répondaient par l’affirmatif. Et en même temps, dans l’ensemble de l’électorat, tout près de 60 % disaient non.

En janvier, Joe Biden était appelé à prononcer son discours annuel sur l’état de l’Union. La tradition veut que le président commence en qualifiant cet état de « solide ».

Dans cette affirmation, Biden a son parti derrière lui. Mais qui d’autre ?

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Il faudrait arrêter de gouverner selon les sondages, et le faire selon les solutions qui font surface après une analyse éclairée de la situation, analyse menée par des personnes qui connaissent bien la situation, et non par des idéologues à la recherche de solutions conformes à leur idéologie.

Pour que cela fonctionne par contre, il faudrait une bonne participation dans le débat d’une proportion importante de l’électorat. Le débat permettrais de faire paraître les nuances.

Or, de nos jours, nous sommes très pris par nos propres vies, nos propres objectifs au travail, et la multitude de distractions qui nous sont offerts.

Comment faire pour mieux faire comprendre à la population en général – nous sommes une démocratie, quand même – le bien-fondé des décisions prises? Un sujet de recherche pour nos intellectuels en mal de se sentir utiles?

L’une des questions sensibles du moment qui revient aux États-Unis, comme ailleurs dans le monde, c’est ce qui cause l’inflation. Dans une semaine l’élection du président ou de la présidente de la République française portera entre autre sur cette question. Le président sortant Emmanuel Macron a beau promettre — s’il est réélu -, le plein emploi en France (ce qui serait une toute première fois en quelque 50 ans), peu de personnes ne le croient d’autant que le plein emplois ne garantit pas une amélioration rapide du pouvoir d’achat.

Les Américains reprochent à Biden un taux d’inflation élevé (8,5% en un an), se trompent-t-ils totalement sur les dites causes ? Dans la situation qui prévaut aux États-Unis, il existe un déficit structurel qui est alarmant. Dans ce pays où siège le FMI, alors que cet organisme est toujours très pointilleux sur ce type de déficit dans les pays auxquels ils prêtent (exception faite de l’Ukraine qui en matière de gestion désastreuse de l’État peut tout se permettre). On considère que ce déficit est correct au pays de l’Oncle Sam puisque la croissance contrebalance presque toujours les déficits abyssaux.

Que vaut la croissance du PIB nominal (qui ne tient pas compte de l’inflation) versus le PIB réel qui mesure la croissance de la production après correction des variations de prix ? Cette problématique des États-Unis qui produisent moins que ce qu’ils pourraient, est soulignée par nombre d’économistes parmi lesquels Paul Krugman depuis des années. Une production plus élevée a toujours un impact positif sur les prix.

Avec les corrections boursières de 2008, on aurait pu penser que ce pays se serait recentré sur ce qu’il sait faire de mieux (produire de la richesse pour tous). Mais il n’en fut rien. Au royaume de la finance les experts comptables sont rois….

Avec les sanctions économiques prises contre la Russie. Le levier de la hausse des prix n’est pas près de s’abaisser. La classe politique ne semble pas encore avoir pris pleinement conscience de ce qu’est une économie globale. En attendant même des médias proches du pouvoir comme le Washington Post se montrent assez critiques envers la Maison Blanche. Car selon eux, ce qui fait plonger la cote de popularité de Biden, c’est que bon nombre de citoyens considèrent qu’il y a pire que l’inflation : les mensonges qui sortent de la bouche même du président.

Combattre de plus en plus la pollution et le réchauffement climatique est sûrement une cause qui ralliera rapidement démocrates et républicains aux États-Unis. Et alors il ne sera plus question de pointer du doigt uniquement les gouvernements ou bien les puissantes multinationales. Il nous faudra, nous aussi ,nous questionner sur nos choix de consommateurs.

Depuis 10 ans, j’ai fait le choix de ne pas avoir de véhicule car je vis en ville.

Je suis pour qu’on construise de moins en moins de véhicules VUS servant uniquement à la promenade en ville. Je suis pour qu’on construise de moins en moins d’autoroutes car nous devons protéger davantage de forêts et de terres agricoles, car nous devons aussi réparer le cycle mondial de l’eau et aussi renforcer le lent ruissellement des eaux dans la terre meuble.

Svp et Amérique du Nord, il n’est pas trop tard pour nous prémunir davantage contre la cupidité.

Sur ma rue à Montréal, je remarque qu’il y a de plus en plus d’énormes véhicules VUS stationnés sur la rue la nuit. Il existe donc des Canadiens qui n’ont toujours pas pris connaissance des conclusions et recommandations du GIEC, qui ont beaucoup d’argent et qui le gaspillent dans de la grosse ferraille en ville. Aveuglés probablement par trop de cupidité, ils en oublient le bien-être général et aussi le futur bien-être des enfants qui auront à vivre avec de sérieux problèmes environnementaux une fois devenus adultes.

Pour notre réflexion à tous, voici un extrait du « Guide de l’empereur Tang » (auteur: Chinghua Tang, Éd. J’ai lu, 2017):

« Taizong expliquait è ses ministres combien il est important que chacun soit honnête dans l’accomplissement de sa tâche. « Je travaille dur, dit-il, non seulement pour le petit peuple, mais pour vous. J’espère que la renommée et la fortune vous accompagneront longtemps. J’espère que vous craindrez la loi de la Terre autant que je crains le Ciel. Ainsi vous rendrez service au petit peuple, mais aussi à vous-même. Je me souviens d’un vieux proverbe qui dit: « L’argent émousse la volonté de l’homme intelligent et attire des ennuis à l’homme stupide. » La corruption est contraire à la loi. Il arrive qu’un coupable ne soit pas démasqué, mais il vit alors dans la crainte. La pression qu’il subit affecte sa santé et finit par écourter sa vie. Et ses enfants ont honte de lui. »

Prenons-en bonne note tous. Et encore aujourd’hui, des juges, des avocats, des politiciens, des banquiers au Canada ne pourront plus se soustraire encore longtemps à ces vieilles paroles sages prononcées en Chine par l’ancien empereur Tang.

Svp, faire circuler jusqu’à Washington. Ça doit aussi se rendre jusqu’à Ottawa, notre capitale fédérale bilingue au Canada.