C’est un pacte parlementaire unique en son genre à deux égards qu’ont conclu le premier ministre libéral Justin Trudeau et le chef néo-démocrate Jagmeet Singh le mois dernier.
Dans le passé, d’autres gouvernements minoritaires libéraux — sous Pierre Elliott Trudeau en 1972 et plus récemment sous Paul Martin en 2005 — avaient eu recours à des ententes tacites ponctuelles avec le Nouveau Parti démocratique (NPD) pour écarter ou retarder la menace d’un vote de censure, qui aurait précipité le pays en élections.
Mais aucun gouvernement minoritaire fédéral n’avait scellé un accord aussi officiel et d’une aussi longue durée avec un parti d’opposition. Car ce n’est pas un plat de lentilles que le NPD a accepté en échange de son engagement à assurer la survie des libéraux au pouvoir jusqu’à l’échéance d’un plein mandat de quatre ans, en 2025.
Justin Trudeau ne partage peut-être pas le volant avec Jagmeet Singh, mais le chef néo-démocrate vient de s’installer dans le siège du copilote pour une partie de la feuille de route du gouvernement fédéral pour les trois prochaines années.
Du financement de la santé à la lutte contre les changements climatiques en passant par la réconciliation avec les Premières Nations, les deux partis ont circonscrit une demi-douzaine de terrains sur lesquels ils ont convenu de faire ensemble un bout de chemin.
Ce parcours commun correspond à des engagements qu’une majorité d’électeurs qui ont appuyé l’un ou l’autre des deux partis en cause au scrutin fédéral de l’automne dernier (50,4 %) reconnaîtront d’emblée. À l’époque, des sondages montraient que le partenariat que le NPD et les libéraux viennent de nouer était la formule que privilégiaient les trois quarts de leurs sympathisants respectifs.
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L’autre nouveauté, c’est que cette alliance a été conclue par un gouvernement minoritaire qui n’en avait pas absolument besoin.
En Ontario en 1985 et plus récemment en Colombie-Britannique, ce genre d’entente était intervenue seulement pour permettre au parti qui avait terminé la soirée électorale en deuxième place de former quand même le gouvernement.
Cette expérience équivaut à une occasion de briser un cercle vicieux qui rend de plus en plus stérile la conversation politique à Ottawa.
En comparaison, le Parti libéral du Canada de Justin Trudeau — avec 40 sièges de plus que l’opposition officielle — s’est retrouvé assez confortablement en selle pour un troisième mandat l’automne passé.
Et contrairement à Paul Martin qui était acculé au mur lorsqu’il a offert des concessions budgétaires à Jack Layton, Justin Trudeau aurait pu continuer à assurer la survie de son gouvernement au cas par cas, tout au moins jusqu’à ce que le nouveau chef du Parti conservateur soit choisi l’automne prochain, et probablement au-delà.
Ce qu’a plutôt obtenu le premier ministre fédéral en échange de son engagement à mettre davantage d’eau néo-démocrate dans son vin libéral, c’est d’abord et avant tout du temps pour faire avancer certains des principaux chantiers de son gouvernement.
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Bien sûr, le pacte conclu entre Justin Trudeau et Jagmeet Singh pourrait faire long feu.
On verra si la politique avec un p minuscule reprendra ses droits le jour où l’un ou l’autre des partenaires trouvera un avantage à mettre fin à l’expérience, soit dans l’espoir de remporter une majorité lors d’un scrutin anticipé, soit parce qu’un scandale ferait que les libéraux deviendraient infréquentables pour les néo-démocrates.
Mais en attendant, cette expérience équivaut à une occasion de briser un cercle vicieux qui rend de plus en plus stérile la conversation politique à Ottawa : sur les sept scrutins fédéraux des dernières années, cinq se sont soldés par l’élection d’un gouvernement minoritaire. En moyenne, cela donne un scrutin tous les 28 mois depuis 17 ans.
Avec six partis en lice — en comptant le Parti populaire de Maxime Bernier —, ce n’est pas demain que la fragmentation de l’électorat va se résorber.
Pour les sportifs de la politique, ces retours aux urnes à répétition sont d’un intérêt certain. Mais sur le front des politiques publiques, les résultats sont tout sauf probants.
Sitôt élus, opposition et gouvernement commencent à planifier la campagne électorale qui les attend vraisemblablement au tournant du deuxième anniversaire du scrutin précédent. Dans ce climat, les effets de toge prennent rapidement le dessus sur la mise en œuvre de politiques, aussi consensuelles soient-elles.
Ce n’est pas par hasard que le débat électoral fédéral se résume trop souvent à un concours entre des promesses plus ou moins en l’air et des procès d’intention. Personne, d’un côté comme de l’autre de la Chambre des communes, n’y trouve vraiment son compte, et les électeurs encore moins !
Cette chronique a été publiée dans le numéro de mai 2022 de L’actualité.
Les partis devraient devoir respecter les dates aux élections fixes tout comme les électeurs doivent le faire lors d’un mandat majoritaire. Notre volonté (minoritaire) devrait être respectée. Nous voyons des alliances en Europe afin de former des coalitions. Nos élus devraient être obligés d’en faire autant afin de gouverner plutôt que de planifier le meilleur moment pour retourner en élection
Notre volonté minoritaire ? Je ne me rappelle pas qu’on pouvait voter pour un gouvernement minoritaire aux dernières élections.
Un gouvernement minoritaire est issu du nombre de députés élus. Ce n’est pas une volonté exprimée par les électeurs.
D’usage, le principe de coalition et ainsi d’entente entre les partis est acquis dans nombre de pays du monde, cela consiste en général à admettre des membres de partis tiers au Conseil des ministres. Dans le cas du pacte entre libéraux et néo-démocrates, c’est une entente de Chambre (la Chambre des communes) qui garantit seulement d’un soutien au niveau du vote des députés alliés.
Dans le meilleur des cas, on consulte le parti allié sur les projets de lois, mais au final, c’est le parti au pouvoir qui a le dernier mot et plus encore le contrôle de l’agenda, puisque comme l’écrit Chantal Hébert, nous ne sommes pas à l’abri d’une élection générale avant 2025 tout dépendant des circonstances.
Il existe des formules populaires pour définir ce genre de pactes. On dit que ce parti est à la remorque du gouvernement ou encore on dit plus vulgairement qu’il est à la botte du gouvernement, dans des temps plus anciens, on n’hésitait pas à dire que ce parti suivant était le « godillot » du parti au pouvoir.
Étant plutôt sympathique du NPD, je suis carrément déçu et je trouve que monsieur Singh manque en tous points de leadership, ses chances de devenir un jour premier ministre sont nulles, cette alliance factuelle portera plus mal au NPD qu’elle ne fera de bien.
Cela ne garantit même pas que les propositions faites par les néo-démocrates, qu’elles iront d’ici 2025 le moindrement de l’avant, lorsque sur certains dossiers, on peut penser à l’habitat, il y a nécessité d’aller vite en concertation avec les provinces et les collectivités locales ; il y a un inventaire des ressources qui devrait être mené promptement et une offre de solutions compatibles avec chaque milieu.
En attendant, le NPD comme un seul homme votera mécaniquement en faveur des offres (généreuses ?) faites par le gouvernement. Dans les anciens régimes monarchistes, on parlait de la préséance du monarque ou du régent. Je ne comprends pas que des pays issus pourtant du même creuset, comme la Nouvelle-Zélande notamment, qu’ils se démarquent, lorsque d’évidence le Canada se réfugie dans d’apparentes traditions qui n’ont même plus court dans le Royaume-Uni actuellement.
Bien dit Chantal, Cette communication et négociation est rafraichissante.
Le Bloc étant pas là pour la cause fédérale « sauf si le Québec y gagne » (égocentriste dangereux), et les conservateurs qui jouent un jeu de pouvoir absolue sinon tout est mauvais… O’Toole a vraiment bien essayé!
Le NPD devient le plus désirable des parties, pour leur ouverture et leur intérêt du progrès social au niveau Fédérale, et les Libéraux ont bien fait de sceller (on espère) le gouvernement en place jusqu’en 2025.