Il ne faut pas s’étonner que le chef libéral se soit rendu dans Markham—Unionville mardi pour réitérer sa promesse de verser 30 milliards de dollars en cinq ans aux provinces afin de financer des services de garde.
D’abord, il s’agit d’une des circonscriptions ontariennes que le Parti libéral du Canada (PLC) espère reprendre dans sa quête d’une majorité. Longtemps le fief de l’ex-ministre et ambassadeur John McCallum, Markham—Unionville est passé aux mains conservatrices en 2015, mais par une marge loin d’être insurmontable. Ensuite, l’Ontario est la province où les places en garderie coûtent le plus cher au pays. Et Toronto (en bordure de laquelle se trouve Markham) trône au sommet de ce triste palmarès. Pour un poupon, le prix médian d’une place dans cette ville est d’environ 20 000 dollars par année. Bien plus cher qu’une année à l’université ! Cette promesse sera donc douce aux oreilles des électeurs courtisés par le PLC.
La ligne d’attaque libérale est simple : avec Justin Trudeau au pouvoir, des places en garderie seront créées. Avec Erin O’Toole, les familles auront seulement droit à un remboursement d’impôt… pour peu qu’elles trouvent une place !
« Les familles ne peuvent pas compter sur l’approche conservatrice, une approche rétrograde digne de Stephen Harper qui ne créera pas une seule place pour les enfants », s’est délecté à dire Justin Trudeau. Voilà un enjeu parfait lui permettant de dépeindre les conservateurs comme des dinosaures.
Deux bémols s’imposent néanmoins. Premièrement, le plan libéral ne créera pas de places dans l’immédiat. Les ententes à cet égard signées jusqu’à présent avec sept provinces (l’Ontario du conservateur Doug Ford se fait encore tirer l’oreille), et dont les détails ne sont pas connus, prévoient dans un premier temps une réduction de moitié des frais payés par les parents. Ce n’est qu’à plus long terme qu’Ottawa pense stimuler la création de 250 000 places. Bref, à court terme, les positions libérale et conservatrice se ressemblent : cela coûtera moins cher aux parents.
Deuxièmement, il n’est pas superflu de rappeler que les services de garde pour la petite enfance sont de compétence provinciale. Rien n’oblige le fédéral à s’en mêler. Le gouvernement de l’heure fait preuve de prodigalité. Mais qu’en sera-t-il dans 10 ou 15 ans ? Continuera-t-on de transférer les milliards aux provinces afin de financer un système qui reste à construire à l’extérieur du Québec ?
Le conflit perpétuel opposant Ottawa aux provinces au sujet des transferts en santé enseigne la nécessité de demeurer vigilant. À l’origine, les dépenses de santé étaient assumées à parts à peu près égales par les deux paliers. Avec le temps, et en particulier avec l’exercice de rééquilibrage du budget de 1995, la participation d’Ottawa a chuté à moins de 22 % en 2021-2022. Les provinces s’époumonent depuis pour récupérer leur dû. En vain. En sera-t-il de même avec les garderies ? Une fois les places créées, il sera difficile pour un gouvernement provincial de les abolir faute d’argent. Mais pour Ottawa, réduire les transferts ne nécessitera qu’un coup de crayon… ou de gomme à effacer.
Justin Trudeau peut bien dire qu’il prend un engagement à long terme, mais rappelons qu’en 1995, ce sont des libéraux qui ont mis la hache dans les transferts aux provinces. Pas des conservateurs. Compte tenu de la taille de la dette accumulée pendant la pandémie, peut-on vraiment écarter la possibilité d’un dégraissage futur ? Les provinces mettront donc le doigt dans un engrenage dangereux lorsqu’elles créeront des places avec de l’argent fédéral susceptible de disparaître à tout moment.
Au Québec, les 6 milliards de dollars obtenus d’Ottawa pourront être utilisés pour d’autres missions de l’État, puisque le réseau québécois est déjà bien établi. Le gouvernement de François Legault considère d’ailleurs comme un « paiement d’arrérages des 25 dernières années » la cagnotte à venir. Québec entend néanmoins bonifier le salaire des éducatrices avec l’argent reçu. Qu’il fasse attention de ne pas prendre d’engagements qu’il ne saurait assumer seul plus tard.