Le pari nationaliste de François Legault

Legault était coincé entre la ferveur souverainiste de PKP et le fédéralisme assumé de Couillard, sans rien pouvoir offrir aux électeurs. Et il en avait marre de jouer le rôle muet du film.

CAQ Leader Francois Legault gestures during question period at the Quebec legislature, on Thursday July 3, 2014 in Quebec City. THE CANADIAN PRESS/Clement Allard
Photo: Clement Allard/La Presse Canadienne

PolitiqueEn politique, ne pas avoir de position sur un sujet revient à s’exclure du débat. Depuis sa fondation, en 2011, la Coalition Avenir Québec avait un angle mort: la question nationale, la place du Québec dans le Canada. François Legault vient d’y remédier en puisant dans les racines du parti qu’il a avalé sur son chemin, l’Action démocratique du Québec, et son penchant autonomiste. Ce qui ne garantit pas pour autant le succès.

Dès la fondation du parti, le chef de la CAQ avait fait le pari que la question nationale ne mobilisait plus suffisamment de gens pour justifier une position sur le sujet. S’il n’avait pas tort en ce qui a trait au constat, la politique de la chaise vide est rarement payante. À l’époque, cette absence de position lui permettait de garder tout le monde heureux au sein de sa nouvelle formation politique, un regroupement de souverainistes et de fédéralistes qui ne s’entendaient pas facilement sur ce point, c’est le moins qu’on puisse dire. Le risque d’éclatement de la jeune équipe était réel.

Quatre ans plus tard, la formation de François Legault est moins fragile. Il y a également moins de libéraux désabusés très fédéralistes dans ses rangs: ils sont retournés au PLQ et au PLC, ce qui lui donne une marge de manœuvre.

La réflexion à la CAQ sur le virage nationaliste n’est pas nouvelle. Elle a commencé au lendemain du dernier scrutin afin de s’adapter au paysage politique reconfiguré par l’arrivée de Pierre Karl Péladeau. Sa ferveur souverainiste, couplée au fédéralisme assumé de Philippe Couillard, polarise le débat. La prochaine élection pourrait de nouveau se jouer autour d’un possible référendum. Rien pour aider la CAQ, laissée en marge du débat, faute de position. Legault était coincé entre les deux options, sans rien pouvoir offrir aux électeurs. Et il en avait marre de jouer le rôle muet du film.

La CAQ souhaite donc rapatrier des pouvoirs d’Ottawa, étape par étape, tout en restant dans le giron canadien.

«Ce projet devrait permettre au Québec de disposer de plus de pouvoir et d’autonomie à l’intérieur de la fédération canadienne. Ultimement, il devrait aboutir à la reconnaissance constitutionnelle du Québec en tant que nation. Se voulant résolument pragmatique, le nationalisme de la CAQ vise donc avant tout des résultats concrets. Des résultats qui vont permettre aux Québécoises et aux Québécois d’affirmer leur identité, de développer leur économie et de déployer un projet collectif qui leur est propre tout en établissant les bases d’une réconciliation durable avec le reste du Canada» — Extrait du document de la CAQ «Un nouveau projet nationaliste».

À première vue, il y a un grand potentiel d’électeurs dans cette troisième voie, celle d’une nouvelle entente, d’une redéfinition de la relation Québec-Canada, comme le démontrait un récent sondage CROP (mené du 15 au 18 octobre dernier) commandé par la Chaire de recherche sur la démocratie et les institutions parlementaires de l’Université Laval, à l’occasion du 20e anniversaire du référendum de 1995.

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Des partisans d’une voie plus nationaliste, entre le statu quo fédéraliste et la souveraineté, se retrouvent autant chez ceux qui voteraient oui à un référendum que ceux qui voteraient non.

Ils sont d’ailleurs en plus grand nombre chez les fédéralistes (52 %), et ce n’est pas anodin dans le choix de la CAQ: François Legault et son équipe estiment que l’option souverainiste ne va nulle part, et que le choix de Pierre Karl Péladeau de tout miser sur la promotion de l’indépendance ne peut qu’aider les libéraux à se maintenir au pouvoir. Le chef de la CAQ souhaite s’imposer comme une solution de rechange à Philippe Couillard, mais pour y arriver, il doit davantage gruger dans les appuis libéraux. Lui remettre en quelque sorte la monnaie de sa pièce, puisque depuis qu’il est au pouvoir, le chef libéral pige dans le programme de la CAQ — ménage dans les finances publiques, accent sur l’économie, etc. — et ne laisse que des miettes à François Legault. Couillard lui siphonne des votes… et des vedettes, ce qui explique une défection comme celle de Dominique Anglade.

Le coup de sonde de CROP montre que les jeunes, notamment, sont plus ouverts à une nouvelle relation avec le Canada. Un bassin d’électeurs qu’aucun parti ne peut négliger s’il veut poursuivre sa croissance.

Ça ne veut toutefois pas dire que ce bassin d’électeurs potentiel est mobilisable sur la question nationale. Le constat de François Legault en 2011 demeure pertinent: les gens ont une position sur la place du Québec dans le Canada, mais les récentes élections, tant à Québec qu’à Ottawa, tendent à démontrer que ce n’est plus le facteur décisif aux yeux de bien des électeurs quand vient le temps de mettre un X sur le bulletin de vote.

Les Québécois, de plus en plus volages en matière de choix électoraux, regardent d’abord les chefs et les plateformes des partis. Les allégeances se promènent et ils votent sur la gestion de l’économie, des finances publiques, la santé ou l’éducation, le désir de changement, etc. Les sondages internes des partis montrent que près d’un électeur sur trois ne fait plus de la question nationale un facteur important dans son choix électoral. Une proportion qui a doublé depuis 2003.

En bout de piste, le plan nationaliste de François Legault a plus de chances de jouer un rôle défensif dans la stratégie de la CAQ qu’un rôle offensif de séduction. Le chef pourra aborder les dossiers Québec-Canada avec plus de mordant et de confiance, il pourra tenter de se différencier des autres formations sur ce plan, mais une vaste mobilisation des électeurs autour de ce sujet paraît peu probable à l’heure actuelle.

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Le changement de garde à Ottawa

Certaines idées évoquées par la CAQ sont dans l’air depuis quelque temps déjà et pourraient trouver un dénouement sans même porter la CAQ au pouvoir.

Par exemple, exiger que les transferts d’Ottawa aux provinces en matière de santé tiennent compte de la démographie, et donc du vieillissement de la population — ce qui avantagerait le Québec —, est déjà une revendication de Philippe Couillard dans ses négociations avec Ottawa (voir l’entrevue qu’il a accordée à L’actualité à l’automne 2014). Il se pourrait fort bien que Québec obtienne gain de cause dès 2016. Même chose pour la nomination de juges bilingues à la Cour suprême, qui a l’appui de Justin Trudeau.

François Legault est devant à une réalité politique nouvelle depuis le 19 octobre, ce qui complique son virage nationaliste: il n’a plus de partenaire naturel avec qui danser à Ottawa.

Justin Trudeau est un allié de Philippe Couillard. Il ne prendra pas position et ne fera pas de déclaration de nature à favoriser la CAQ de François Legault, de surcroît menée par un ancien souverainiste. Trudeau a également dit ne pas vouloir toucher à la Constitution, sous aucun prétexte.

Par exemple, l’idée d’exiger que les entreprises de compétence fédérale (port, aéroport, banques, télécommunications, etc.) respectent la loi 101 au Québec aurait trouvé un écho plus favorable auprès du NPD de Thomas Mulcair. Il serait étonnant, à la lumière des positions passées de Justin Trudeau, qu’il bouge en ce sens. Même scénario pour l’abolition ou une réforme en profondeur du Sénat.

À plusieurs égards, la présence au pouvoir à Ottawa du Parti conservateur aurait facilité la vie de François Legault. Non pas que Stephen Harper aurait été en accord avec tous les volets du plan de la CAQ — certainement pas sur la loi 101 appliquée aux entreprises à charte fédérale au Québec ou l’abolition de la fonction de lieutenant-gouverneur général, par exemple —, mais sa conception du rôle de l’État fédéral était plus propice à certaines ententes. Stephen Harper caressait l’idée d’un État fédéral minceur, alors que le PLC de Justin Trudeau aime un État fédéral fort. Ça change la perspective des négociations.

On aurait pu imaginer un Stephen Harper ou un autre chef conservateur permettre un transfert de points d’impôt aux provinces, comme ce fut le cas avec les baisses de la TPS récupérées par le Québec et la Nouvelle-Écosse. Même chose pour la fin du chevauchement des études environnementales, puisque Harper souhaitait en sortir pour laisser plus de place aux provinces en cette matière. La position de Harper sur le Sénat était aussi plus près de la CAQ que celle du PLC.

Sans compter le fait que le PC — tout comme le NPD — n’a pas d’allié naturel politique au Québec qu’il aurait voulu éviter de froisser, contrairement au Parti libéral du Canada.

On ne peut pas reprocher à François Legault de vouloir reprendre pied dans le débat national et d’étoffer sa position. Son premier effet a d’ailleurs été de redonner de l’exposition médiatique à la CAQ. Mais il faudra que le chef et ses militants soient patients. Les astres ne semblent pas alignés pour un brusque mouvement sur ce front, autant de la part des électeurs que du côté fédéral. Il s’agit d’un bon test pour François Legault, pour qui la patience n’a pas été la principale vertu dans le passé.

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Mon sentiment a toujours été que la CAQ devrait s’ouvrir plus et donc amener plus de monde vers ce parti de manière à construire une alternative conséquente lors de la prochaine élection. Ici je ne sais pas s’il faut parler de cette ouverture espérée ou si ce recentrage démontre l’incapacité de la « nouvelle » CAQ de jamais pouvoir former un gouvernement.

Ou à tout le moins, le souffle et le message ne s’y trouvaient pas. Une sorte de troisième voie seulement et seulement pour la forme. Lorsque le changement consisterait à organiser un rassemblement.

Ce qui explique ces transfuges qui ont envie ou eu envie de participer à un gouvernement pour vrai.

Objectivement, je me demande si les québécois ont vraiment envie — du moins à présent — de connaître un jour « leur moment » Legault. Ce parti devrait plutôt travailler fort à bâtir une alternative solide aux péquistes et aux libéraux. Cela ne se réduit pas à cette sorte « d’étapisme » qui finalement consiste à renforcer ou remplacer morceaux par morceaux une bureaucratie fédérale par une bureaucratie provinciale.

C’est en bâtissant, en rassemblant et en combattant qu’on gagne une province ou peut-être… un pays. Depuis les romains, c’est une chose que bien des politiciens semblent avoir compris. Pas encore — semble-t-il — cette fin de semaine dernière… monsieur François Legault.

« Le nationalisme est essentiellement cette perversion de l’État en instrument de la nation et l’identification du citoyen comme membre de cette nation. » – Hannah Arendt

Bien sûr, cette citation d’Arendt serait détournée de son sens si vous vous mettez à croire qu’elle ne s’applique qu’au nationalisme québécois ! En fait, « l’identification du citoyen comme membre de la nation » est la double lubie propre aux Deux Turpitudes – nationalisme québécois et nationalisme canadien. Dans mes mots, je dirais que le nationalisme est l’obsession (parfois forcenée) de faire correspondre voire de fusionner une citoyenneté et une identité « nationale ». Pour ma part, citoyen de la patrie (et pas « nation ») québécoise, je suis plus généralement citoyen de la fédération (et pas « nation ») canadienne, mais je ne suis le national de personne et personne ne me nationalisera.

Parfois il est bien important de savoir au fond de son cœur « ce que nous ne sommes pas, ce que nous ne voulons pas », comme disait un certain Montale. Dire que l’identité est essentiellement CULTURELLE, c’est dire deux choses QU’ELLE N’EST PAS : d’abord et d’une – priorité des priorités – elle n’est pas NATURELLE, donc pas héréditaire, pas biologique (ce qui concerne le racisme, dont il n’est pas question ici ; et bien rarement, me semble-t-il, avec la CAQ) ; et deuxièmement, elle n’est pas NATIONALE (ce qui concerne le nationalisme, tant canadien que québécois).

Notons maintenant une troisième chose, qui est en fait un pataquès : la confusion systématique entre nationalité et « race », donc entre nationalisme et racisme, est une spécialité très « canadian », une spécialité notamment du PLC, surtout lorsqu’il s’agit des séparatistes québécois. Or cette confusion, qui fournit depuis des décennies un réservoir d’accusations de racisme si « payantes » stratégiquement (elle procure des martelages d’accusations de racisme en quantités industrielles) est ELLE-MÊME hautement suspecte, puisque prendre les nationalités pour des « races », pour des faits non pas culturels mais naturels, transmis par le sang, c’est justement cela le racisme !! (Lisez par exemple l’étrange ‘BLOOD AND BELONGING’ de Michael Ignatieff.) Alors avec le comte Sforza, fameux antifasciste historique de la première heure, je dénonce, je fustige, je pourfend « les misérables déformations nationalistes ou raciales du sentiment patriotique » : mais je me garde bien de la confusion entre misérables déformations nationalistes et misérables déformations raciales, car c’est souvent un indice fort que quelque chose ne va pas du tout entre les deux oreilles, qu’un poison se prend pour le remède…

Salut m’sieur Castonguay !

Avec les nouvelles propositions de la CAQ, je me suis demandé: Comment les ministres fédéraux parleraient à l’étranger, lorsqu’un thème est partagé
entre Ottawa et Québec? Bref, l’État fédéral ne devrait-il devenir Confédéral pour pouvoir absorber toutes les demandes caquistes? La question se pose
mais la réponse viendraIt PLUS VITE, SI D’AUTRES PROVINCES CANADIENNES SOUHAITAIENT une dévolution de pouvoirs dans d’autres domaines…Bref, la CAQ risque de danser seule…

@ Gérald Durocher,

Par usage, on parle volontiers de « fédération canadienne » et de deux paliers de gouvernement, mais la Constitution de 1867 fait bien du Canada une « confédération », aussi nous ne pouvons théoriquement pas devenir ce que nous sommes déjà.

Ce sont plus spécifiquement les guerres mondiales, comme celles de 14-18 puis 39-45 qui ont retranché des prérogatives aux provinces, renforçant par le fait-même la prévalence d’Ottawa dans la hiérarchie du Canada.

« Ce sont plus spécifiquement les guerres mondiales, comme celles de 14-18 puis 39-45 qui ont retranché des prérogatives aux provinces, renforçant par le fait-même la prévalence d’Ottawa dans la hiérarchie du Canada. »

C’est exact. Mais la tendance s’est poursuivie dans le second après-guerre, pour connaître une brusque aggravation entre les deux référendums sur la séparation du Québec.

Sporadiquement avant 1982, et systématiquement depuis, notre fédéralisme s’est dégradé en nationalisme et notre fédération en nation. C’est un des facteurs qui explique que l’on soit passé de 40 pour cent à presque 50 pour cent de Oui. `(Mais vous ne trouverez pas trace de ce genre de post-mortem dans les années 1995-98 : l’hystérie qui régnait chez nos amis de la classe militante rendait ce genre d’analyse non certes inconcevable, mais irrecevable, car c’eût été critiquer le gentil Canada, qui est sacré, exactement comme le Québec est sacré pour les crétins d’en face).

Deux observations sur votre analyse. 1) « En politique, ne pas avoir de position sur un sujet revient à s’exclure du débat. » C’est bien beau le sondage pour indiquer la préférence constitutionnelle des québécois, mais la question est : sur une liste de 10, 15 ou 20 préoccupations, à quel rang arrive la question constitutionnelle? Ou de façon plus pratique, à part les journalistes, qui se préoccupe de la constitution? Donc, tant qu’avoir une position sur un sujet qui n’intéresse personne, aussi bien ne pas en avoir.

2) « On aurait pu imaginer un Stephen Harper ou un autre chef conservateur permettre un transfert de points d’impôts aux provinces, comme ce fut le cas avec les baisses de la TPS récupérées par le Québec et la Nouvelle-Écosse. » Je ne peux parler pour la Nouvelle-Écosse, mais Stephen Harper a transféré de l’argent du gouvernement fédéral vers les contribualbles et notre gouvernement québécois a décidé de venir nous la chercher. En passant, il y a beaucoup de monde qui veulent voir dans la même Québec et Nouvelle-Ecosse? Je crois que cela en dit beaucoup sur la sitution des finances publiques du Québec.

Exact.

Dans mon entourage, peu de gens sont prêts s’ouvrir les veines sur les marches de l’hôtel de ville pour rouvrir le débat constitutionnel.

Pour ce qui est des points d’impôts, lorsque le fédéral redonne de l’oxygène au peuple, ce devrait être assorti d’une entente où les provinces respecteraient ce remboursementet s’engageraient à NE PAS taxer leurs citoyens du même montant en retour. D’ailleurs, depuis que le Québec a augmenté sa TVQ d’un montant équivalent à la baisse de la TPS du gouvernement fédéral de Harper, quelqu’un a remarqué une baisse des impôts québécois?