L’auteur a travaillé pendant près de 20 ans sur la colline parlementaire à Ottawa, notamment à titre d’attaché de presse principal de Jack Layton, de secrétaire principal de Thomas Mulcair, puis comme directeur national du NPD. En plus d’agir en tant que commentateur et analyste politique, il est président de la Fondation Douglas-Coldwell et président de Traxxion Stratégies.
Dire que Justin Trudeau et Jagmeet Singh ont surpris la classe politique est un euphémisme. Avec cette « entente de soutien et de confiance » historique, les deux chefs ont bouleversé les plans de bien des stratèges. Pour les Canadiens à la recherche de stabilité politique toutefois, après un deuxième gouvernement minoritaire consécutif, il s’agit d’une bonne nouvelle.
Cette entente mettra en effet fin aux crises de confiance, aux psychodrames parlementaires et aux menaces électorales à répétition, avec en trame de fond un probable progrès social notable.
La bataille politique la plus intéressante ne sera pas entre cette alliance et les autres partis d’opposition, mais à l’intérieur même de l’alliance PLC-NPD. Et elle a déjà commencé. Ce qui est en jeu : qui pourra s’attribuer le mérite des nouvelles initiatives et obtenir la gratitude des électeurs.
D’habitude, dans ce genre de partenariat, le gouvernement l’emporte sur le partenaire. Sa caisse de résonance est plus puissante et ce sont les ministres qui font les belles annonces ! Le partenaire minoritaire finit par être enterré, et les électeurs, satisfaits du pouvoir en place, lui accordent leur confiance. De plus, le partenaire peut souffrir des actions du gouvernement : si jamais des scandales minaient le mandat de Trudeau, le NPD pourrait être entaché en permettant à un gouvernement à l’éthique douteuse de survivre. Les autres partis se feraient un plaisir d’associer l’un aux scandales de l’autre.
Pourquoi alors Jagmeet Singh prend-il ce risque ? D’abord, parce qu’il y a toujours des exceptions. Ensuite, parce que cela lui procure la chance de changer de stature : il a l’air d’un homme d’État. L’accord avec les libéraux donnera au NPD un bilan de gouvernance, sur lequel il fera ensuite campagne en tentant de convaincre les électeurs que plus de néo-démocrates à Ottawa amèneraient encore plus de bonnes choses pour eux et leurs familles. D’ailleurs, les attaques des autres partis, qui parlent du gouvernement NPD-libéral ou qui affublent Singh du titre de vice-premier ministre, ne nuisent pas, au contraire : elles normalisent cette possibilité dans l’esprit des électeurs.
Les néo-démocrates ajouteront que peu importe ce qui arrivera, c’était la bonne chose à faire pour le bien du pays. Les gens ont besoin d’aide, après deux ans de pandémie. Jack Layton avait l’habitude de me dire que l’on peut réussir beaucoup de bonnes choses en politique si on ne cherche pas à en obtenir le mérite. Je ne pouvais m’empêcher de lui rétorquer qu’un politicien qui n’obtient pas de mérite ne fera pas de bonnes choses très longtemps.
Si cette alliance est surprenante, c’est d’abord en raison du moment où elle a été scellée. D’ordinaire, un gouvernement minoritaire désire s’assurer une certaine garantie de stabilité en s’associant à un autre parti dès les jours suivant le scrutin. Ou lorsqu’il est en difficulté et risque d’être renversé par les partis d’opposition, tout en faisant face à une éventuelle déroute électorale.
Six mois après les élections, sans crise de confiance en vue, le moment choisi est particulier. Pourquoi les deux partis ont-ils ressenti le besoin de s’entendre à ce moment-ci pour faire survivre le gouvernement jusqu’en 2025 ?
Les négociations ont eu lieu au plus haut niveau, ce qui a permis d’éviter les fuites. Justin Trudeau a ouvert la porte à un tel arrangement alors que ses conversations avec Jagmeet Singh se multipliaient, crise des camionneurs et guerre en Ukraine obligent. En plus des chefs de parti, les deux cheffes de cabinet ont pris part au processus. Le cercle des conseillers au parfum des démarches était très restreint.
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Pour Trudeau et les libéraux, il y a très peu à perdre. Le premier ministre a maintenant plus d’autorité sur la Chambre des communes — et donc plus de marge de manœuvre. Tant que le NPD sent que le gouvernement progresse sur les points de l’entente (qui cadrent largement avec le programme libéral), Trudeau est aux commandes. Ce dernier redore du même coup son blason progressiste. Par ailleurs, l’accord lui donne également plus de temps pour planifier son départ, ainsi que la course à la direction pour le remplacer… si d’aventure il décidait de quitter la politique.
Pendant ce temps, le NPD obtient des gains relativement à certaines de ses principales propositions politiques. Le plus important est la création d’un nouveau programme d’assurance dentaire pour les familles dont le revenu annuel est inférieur à 90 000 dollars par année. Ajoutons à cela les engagements plus ou moins concrets de progresser vers la mise en œuvre d’un régime universel d’assurance médicaments, d’augmenter le nombre de médecins et d’infirmières, d’améliorer les soins en santé mentale, les soins à domicile et les soins de longue durée. Singh suit les traces de Tommy Douglas, le père de l’assurance maladie au Canada, en poussant les libéraux à mettre en œuvre « la prochaine phase de l’assurance maladie ».
Pour les alliés syndicaux du NPD, c’était aussi Noël. L’accord contient la garantie d’offrir 10 jours de congé de maladie payé à tous les travailleurs sous réglementation fédérale dès cette année. L’engagement de déposer d’ici la fin de 2023 un projet de loi interdisant le recours à des briseurs de grève — une revendication de longue date du monde syndical — est fortement applaudi. Reste à voir si le projet de loi progressera rapidement.
Il y a aussi des engagements sur la réconciliation avec les Autochtones, sur les changements climatiques, sur une fiscalité équitable, sur les garderies, sur le logement et sur l’amélioration de la démocratie… Beaucoup de matériel, en somme.
Le NPD a également insisté pour ajouter l’engagement de s’assurer que le nombre de sièges du Québec à la Chambre des communes demeure constant. Si on veut désigner un perdant immédiat à la suite de cette entente, c’est bien le Bloc québécois : Yves-François Blanchet n’est plus incontournable pour le Parti libéral. L’accord diminue clairement l’influence du Bloc au sein de ce Parlement. La fameuse balance du pouvoir est désormais uniquement entre les mains du NPD. Le Bloc se cantonnera simplement dans le rôle de défenseur des intérêts du QuébecMD contre les méchants centralisateurs, ce qui par ailleurs fera l’affaire de François Legault.
Pour le Parti conservateur, même si on y déchire sa chemise, l’entente est en fait une bonne nouvelle. Cela signifie que le futur chef aura le temps d’apprendre son nouveau rôle (même si Jean Charest était élu, notons qu’il a passé une décennie loin de la politique et qu’il ne connaît pas vraiment la bête…) et de mettre en place un plan et une équipe solides, plutôt que d’être plongé dans des élections précipitées.
Mais l’entente change également la dynamique de la course à la direction, puisque l’ennemi à vaincre a maintenant un allié. Cela amène les conservateurs à ressortir les épouvantails de la « coalition socialiste » et du « détournement de la démocratie ». Le fait que la manœuvre soit absolument démocratique et légitime n’a aucune importance pour les conservateurs, car cela galvanisera une certaine partie de leur base, qui déteste les libéraux, et surtout Justin Trudeau.
La candidature de Pierre Poilievre s’en trouve renforcée parmi la base conservatrice, lui qui s’impose depuis longtemps comme le pourfendeur par excellence de Trudeau.
Si les stratèges libéraux avaient peur de Poilievre, ils ne lui auraient pas fait ce cadeau. De là à tirer la conclusion contraire, il n’y a qu’un pas…
Ce qui est intéressant c’est que cela démontre que la proportionnelle fonctionnerait bien au pays car les libéraux et le NPD ont reçu plus de 50% des votes lors de la dernière élection. De plus, l’entente prévoit que le NPD appuie le gouvernement libéral pour les votes de confiance mais il peut aussi voter contre le gouvernement pour les autres votes qui ne risquent pas de déclencher des élections.
Un bémol toutefois: le texte écrit que cette entente favorise les «engagements sur la réconciliation avec les Autochtones» alors que le NPD de Colombie-Britannique a fait justement le contraire en envoyant ses paramilitaires contre les Wet’suwet’en qui s’opposent au gazoduc CGL et dont les chefs traditionnels n’ont jamais été consultés contrairement aux exigences de la Déclaration des NU sur les droits des peuples autochtones. Le NPD a prouvé qu’il est un parti de syndicats et fait tout pour protéger les emplois, même au prix des violations des droits des peuples autochtones. C’est un parti qui sacrifierait volontiers les caribous des bois sur l’autel des «jobs» et on ne peut pas lui faire confiance au sujet des changements climatiques et des dangers des énergies fossiles.
Le NPD a toujours fait la promotion de l’abolition du Sénat , prétextant que le Sénat n’avait aucune utilité dans notre système démocratique . Maintenant le leader du Gouvernement au Sénat va devoir présenté et défendre les projets de loi du NPD devant le Sénat . Les gens ont la mémoire courte mais je m’en souviens .
Sénateur Jean-Guy Dagenais
Loin d’être stratège ou étudiant de la politique fédérale, mais il me semble que la dernière élection donnait une pertinence relative aux 2ème et 3ème partis d’opposition avec le gouvernement libéral minoritaire en place. Une pertinence assez rare pour ces 2 partis. À moins de faux pas ou scandales considérables de la part du parti au pouvoir, il me semble chacun avait avantage à maintenir cet équilibre du pouvoir et maintenir cette pertinence relative. (… et ainsi convaincre leurs bases de leurs besoins relatifs lors des élections)
Effectivement, il me semble que les grands perdants ici sont le Bloc (pour la perte de sa pertinence dans l’équilibre du pouvoir) et le parti conservateur (pour aspirer à récupérer le pouvoir dans un court terme). Les gagnants sont évidemment les 2 partis de l’entente, la majorité des canadiens (stabilité et programmes sociaux). Faut-il le répéter, la majorité des canadiens ont votés par cumul pour ces 2 partis. Si le parti conservateur désire offrir une plateforme rassembleuse et convaincre une majorité, il devra clairement ajuster son tir, ce que sa base ne semble pas prête à faire. C’est une impression.
Une entente de gouvernement jusqu’en 2025 ? Les alliances où que ce soit (pas seulement au Canada) sont habituellement comme des feux de paille, elles durent tant qu’il y a de la paille. Leur durée est presque aussi courte que l’espérance de vie d’un gouvernement minoritaire.
Conclure une alliance dans le contexte de la crise internationale qui prévaut actuellement est une faute politique grave. Elle positionne le NPD dans une position de soutien à la guerre totale (économique et militaire) qui se joue actuellement.
On aurait pu concevoir que Jagmeet Singh jouait dans les rangs des colombes, le voici résolument dans le nid des faucons, faisant de son parti un soutien indéfectible de l’Otan.
Donner une chance à la paix et soutenir ce mouvement (même s’il est en apparence minoritaire) est selon moi le meilleur choix. Il sera difficile pour le chef du NPD de devenir une alternative crédible lors de prochaines élections dont la date reste encore hypothétique et parfaitement incertaine.
Le NPD vient selon moi de perdre toute chance de former jamais au Canada le moindre gouvernement. Ou même à tout le moins d’être en position de négocier dans une véritable alliance des places de ministres dans quelque gouvernement. Être à la remorque du Parti libéral ne saurait en seulement 3 ans, rien n’apporter de bon à la population.
S’imaginer que le NPD puisse de façon significative faire avancer le filet social lorsque les risques d’une crise économique planétaire se profile à l’horizon, tendrait à démontrer que le ce parti manque singulièrement de vision.
Contester le bienfondé de cette alliance factuelle devrait à mon humble avis être considéré tout à la fois comme une position progressive, vertueuse et de bon aloi.