« Lisée est frileux »

Dans Après le naufrage : refonder le Parti Québécois, l’historien Frédéric Bastien analyse les raisons de la défaite du Parti Québécois aux dernières élections provinciales, faisant de Jean-François Lisée le fossoyeur de son propre parti. L’actualité vous en propose un extrait.

Photo : Éditions du Boréal

[Pages 199 à 204 tirées du chapitre 5 : La débâcle]

(…) je tente de l’influencer sur la question de l’immigration. Je trouve que nous allons dans la bonne direction avec la promesse d’imposer la connaissance du français comme préalable à ceux qui veulent venir chez nous. Pour éviter une partie des conséquences négatives du phénomène migratoire, il importe de mieux cibler notre immigration, quitte à la réduire, et c’est précisément ce qu’entraînerait notre proposition. Toutefois, elle n’est pas suffisamment assumée. À mes yeux, nous pouvons aller plus loin. Le 14 juin, je déclare ceci à mon chef : « Faute de faire campagne sur la Constitution, le seul thème qui peut nous aider est celui de l’immigration. Nos propositions sur le français et les immigrants sont supérieures à celles de la CAQ. Encore faudrait-il être plus catégorique sur les chiffres. Avec un test de français relativement demandant, on tendrait plus, selon certains experts, vers trente mille immigrants par année. Il faudrait marteler ce message plus souvent au lieu d’avancer avec cinquante priorités. »

Afin d’enfoncer le clou, je lui propose de faire deux promesses supplémentaires à ce sujet. D’abord, supprimer le programme d’immigrants investisseurs, dont l’équivalent canadien a été aboli. Ce programme permet en principe à des gens riches de s’établir au Québec moyennant un investissement. Ils doivent avoir 1,6 million de dollars d’actifs et prêter huit cent mille dollars sans intérêt à Investissement Québec. En réalité, 90 % d’entre eux ne s’établissent pas au Québec. Ils profitent plutôt de cette mesure pour obtenir un passeport canadien et n’investissent absolument rien dans la province. De plus, comme l’ont démontré les journalistes de l’émission Enquête, ce programme donne lieu à de la corruption et à des malversations, raison d’ailleurs pour laquelle Ottawa l’a supprimé. L’éliminer est un geste simple qui ne coûte pas grand-chose et qui sert le bien public.

Ma seconde proposition consiste à abolir le programme d’aide domestique en résidence. Celui-ci permet à des riches de faire venir des gouvernantes au Québec et de leur verser un salaire bien moindre que ce qu’ils devraient payer en employant des natifs pour faire la même chose. Il s’agit ni plus ni moins d’une mesure permettant l’exploitation de femmes du tiers-monde qui sont prêtes à tout pour tenter leur chance en Occident.

À ces deux suggestions, Jean-François Lisée me rétorque ceci : « Je choisis mes batailles. » Il ne veut absolument pas s’engager à abolir ces programmes. J’en conclus qu’il y a de l’hostilité à l’interne contre toute tentative visant à réduire l’immigration. Je peux d’ailleurs le constater dans des discussions que j’ai par la suite avec les uns et les autres. Certains (mais pas tous) dans le parti ne veulent surtout pas qu’on mentionne que nos mesures ayant pour but d’imposer le français aux immigrants puissent engendrer une réduction de l’immigration. Ils souhaitent plutôt que le PQ adhère sans discussion au logiciel du multiculturalisme canadien. J’ai entendu des gens me dire qu’il ne fallait pas discuter de ce sujet. Ils ne se rendent pas compte qu’en agissant de la sorte nous coupons la branche sur laquelle nous sommes assis. Notre timidité favorise la montée de groupes comme La Meute et permet à la CAQ d’occuper ce terrain politique en mettant en avant de moins bonnes mesures que les nôtres.

Malheureusement, en raison du manque  d’ascendant et de volonté de Jean-François Lisée, nous allons de nouveau dans la mauvaise direction. Il ne souhaite pas imposer l’enjeu davantage. Au lieu de dire ce qui est évident, c’est-à-dire que nos propositions auront pour effet de réduire le nombre d’immigrants venant au Québec, il affirme qu’il refuse « la numérologie ». Le chef explique par ailleurs qu’un gouvernement péquiste remboursera les cours de français suivis à l’étranger par ceux qui seront sélectionnés pour venir chez nous, comme si c’était à nous de payer pour ça quand des immigrants veulent avoir la chance de s’établir au Québec.

Lisée propose aussi de confier ce dossier au vérificateur général. Il ne s’agit pourtant pas d’examiner les comptes publics et de s’assurer de la bonne gestion de l’administration. Cette affaire est éminemment politique et a des liens avec le fédéral. En quoi est-ce que cela concerne le vérificateur ?

Le chef péquiste parle également de « réussir l’immigration », une formule mal choisie. À sa place, j’aurais dit « réussir le Québec », en expliquant qu’en sélectionnant uniquement des immigrants parlant notre langue, on renforcerait le fait français au Québec, car on augmenterait le pourcentage de francophones dans la province. Au mieux, notre slogan est flou. Au pire, il laisse croire que nous suivons la même politique que celle prônée par QS ou celle pratiquée par le gouvernement libéral et par Ottawa. On brûle complètement nos meilleures munitions.

Mes arguments ne convainquent toutefois pas l’intéressé et, en fin de compte, mon rôle dans la campagne est plus que modeste. Comme je suis un militant ayant de la crédibilité intellectuelle et un peu de notoriété, j’offre mes services pour prononcer des discours dans différentes circonscriptions, ce que je fais à quelques reprises, notamment à Laval-des-Rapides au début de septembre. J’en profite pour faire une allocution nationaliste que j’avais au départ préparée pour le chef dans l’espoir de le convaincre de centrer la campagne sur de grands rassemblements patriotiques. Outre l’immigration, j’aborde la question du régime, malgré le peu de marge que nous nous sommes donnée sur ce point. Notre promesse de faire des études sur la souveraineté constitue un engagement tellement faible que je ne la mentionne même pas. Reste notre proposition d’utiliser la clause dérogatoire pour contrer l’arrêt Jordan, que Lisée n’évoque plus du tout. J’en parle et je suggère notamment que nous pourrions l’employer pour protéger une éventuelle loi sur la laïcité, chose dont le chef péquiste ne parlera pas, mais que Legault, lui, mettra en avant.

Le clou de ce discours est cependant ailleurs. Il concerne une déclaration de Justin Trudeau faite en 2013 : à cette occasion, il a comparé le débat sur la laïcité au Québec à la ségrégation raciale américaine, qui avait notamment mené au lynchage de 4 075 personnes entre 1877 et 1950. Comme le premier ministre passe son temps à s’excuser pour les injustices qui ont été commises au pays contre des minorités, je lui demande de s’excuser d’avoir comparé la laïcité à la pratique maléfique de la ségrégation américaine. Malheureusement, Jean-François Lisée ne veut pas parler de ce sujet.

Après le naufrage : refonder le Parti Québécois
par Frédéric Bastien
© Éditions du Boréal

En librairie le 7 mai 2019

 

Les commentaires sont fermés.

Merci pour cet éclairage de la dernière campagne électorale côté péquiste. Je crois que J.F. Lisée s’est perdu dans une montagne de stratégies, il a entraîné son parti (députés, militants) là-dedans, mais la population n’a pas été dupe. Le résultat final est que la sincérité de la CAQ l’a emporté sur la stratégie du PQ.